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Lorsque les hommes modernes sont sortis d’Afrique, il y a environ 100.000 ans, pour se répandre dans toute l’Eurasie, ils ont rencontré leurs devanciers, les Néandertaliens. Des unions mixtes se sont produites et ont engendré des descendants hybrides.

La trace de ces métissages apparaît encore dans le génome des Européens et des Asiatiques contemporains. Mais de quels gènes néandertaliens ont hérité les humains actuels ? Deux études qui viennent de paraître, l’une dans Nature et l’autre dans Science (voir ici et là), montrent que certains des gènes transmis par les Néandertaliens aux hommes modernes ont pu faciliter l’adaptation de ces derniers au climat européen, plus froid que celui de l’Afrique.

Les deux études montrent également que si les deux espèces (ou sous-espèces) se sont bel et bien croisées, ce n’était pas leur tendance naturelle : « Quand les Néandertaliens et les hommes modernes se sont mélangés, ils étaient à la limite de la compatibilité biologique », estime le généticien des populations David Reich, de la Harvard Medical School à Boston, qui a dirigé l’étude parue dans Nature. L’autre étude,

menée par Joshua Akey, de l’université de Washington (Seattle), parvient à une conclusion similaire : les Néandertaliens et les hommes modernes étaient génétiquement très différents, de sorte que les croisements ont été limités ; et les descendants de ces unions mixtes ont été de moins en moins fertiles au fil des générations. Si bien qu’une grande partie des gènes initialement transmis par l’homme de Néandertal a disparu du génome humain actuel.

Autant dire que l’hybridation entre Néandertaliens et hommes modernes n’est pas comparable aux métissages qui existent entre les populations humaines modernes. L’ancêtre commun aux Néandertaliens et aux hommes modernes remonte à plus d’un demi-million d’années. Les Néandertaliens se sont établis en Europe et en Asie, tandis que l’homme moderne a quitté l’Afrique il y a moins de 100 000 ans. Les deux lignées ont donc été séparées pendant des centaines de milliers d’années, alors qu’aucune population humaine moderne n’a été isolée plus de quelques milliers d’années.

Les humains actuels, ou plus précisément les Européens et les Asiatiques, ont malgré tout conservé un héritage néandertalien, que les deux études évaluent à une proportion comprise entre 1 et 3% du génome total (les Africains ont très peu ou pas du tout de gènes néandertaliens, car il n’y a pas eu de mouvement des premiers Eurasiens vers l’Afrique). Mais quels sont précisément les gènes néandertaliens qui se sont maintenus dans le génome des hommes contemporains ?

Pour le savoir, l’équipe de Joshua Akey et celle de David Reich ont toutes les deux analysés des génomes d’Européens et d’Asiatiques actuels, dont les séquences ont été établies dans le cadre du projet 1000 Génomes, lancé en 2008, et qui constitue le plus grand ensemble de données disponibles  sur la diversité génétique humaine. Reich a étudié un total de 1004 génomes modernes, en utilisant un logiciel qui reconnaît la « signature » de l’ADN néandertalien. L’équipe a pris pour référence une séquence complète et de haute précision du génome d’une femme néandertalienne qui a vécu dans l’Altaï, en Sibérie. Cette séquence a été établie par le groupe Kay Prüfer et Svante Pääbo, généticiens à l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutionniste, à Leipzig (voir notre article ici).

Reich et ses collègues ont identifié, dans 60% des 1004 génomes européens et asiatiques qu’ils ont analysés, un gène associé à la kératine. Cette protéine joue un rôle dans la croissance des cheveux, des ongles et la formation de la peau. L’autre équipe de chercheurs, avec une méthode différente, a également constaté que les Néandertaliens avaient transmis aux hommes modernes des gènes associés à la kératine.

On peut donc supposer que la transmission de ces gènes liés à la kératine avait un intérêt biologique et évolutif : « Il est tentant de supposer que les Néandertaliens étaient déjà adaptés au froid en Eurasie, et que ces gènes ont aidé les hommes modernes à affronter le climat quand ils sont arrivés d’Afrique », dit Reich. La kératine peut rendre la peau plus protectrice contre l’humidité, le froid et les agents pathogènes. L’hypothèse, qui reste à confirmer, serait donc que les gènes néandertaliens aient aidé les hommes modernes, venus d’Afrique, à mieux s’adapter à leur nouvel habitat.

D’autres gènes néandertaliens identifiés par les chercheurs semblent plus délétères qu’utiles : ainsi, Reich a identifié des gènes transmis aux hommes modernes qui peuvent augmenter la vulnérabilité à des maladies comme de diabète, le lupus ou la maladie de Crohn. Le maintien de ces gènes n’est sans doute pas dû à la sélection, mais au simple hasard.

Les deux équipes de chercheurs constatent aussi qu’une grande partie du génome néandertalien est totalement absente chez les hommes modernes. Selon Reich, l’ensemble des gènes néandertaliens disséminés parmi les 1004 individus qu’il a étudiés représentent environ 30 % du génome néandertalien complet. Joshua Akey, lui, a retrouvé un cinquième du génome néandertalien « saupoudré » dans les gènes de 665 Européens et Est-Asiatiques.

Autrement dit, au moins les deux tiers du génome néandertalien ont été éliminés de la lignée des hommes modernes. De plus, l’équipe de Reich a observé que les gènes néandertaliens qui s’expriment dans les testicules ou sont localisés sur le chromosome X sont rares chez les hommes actuels. L’ensemble de ces données plaide en faveur de l’hypothèse que les hybrides entre Néandertaliens et hommes modernes n’étaient pas très féconds et tendaient à devenir infertiles au fil des générations. Les Néandertaliens et les hommes modernes se sont bien croisés, mais leur rencontre s’est produite alors qu’ils étaient en train de prendre deux voies différentes et de former deux espèces nettement distinctes.

Par MICHEL DE PRACONTAL



 
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