Menu

News

Encore cette année, des Marocains non-jeûneurs ont été harcelés par des intégristes ou même par des agents de l’État. On a même déféré devant la justice de jeunes gens qui n’ont pas respecté le jeûne. Quelle honte de malmener celles et ceux qui savent prendre soin de leur santé par une chaleur accablante (48° à Marrakech !).

Il faut savoir que c’est là un consensus hypocrite, qui consiste à faire ce que l’on veut dans la sphère privée à la condition d’indiquer le contraire dans l’espace public. Je me souviens qu’on nous apprenait, enfants, cette stupide sentence qui court certainement encore : « fais comme je te dis de faire et non comme je fais ».

Car en vérité, ce n’est que de l’hypocrisie et non une affaire de religion. Autrement ce serait l’obligation de la prière qui aurait dû être surveillée avant le ramadan. Faut-il rappeler que, dans l’Islam, la prière est le pilier de la religion, au sens fort du mot pilier : celui d’une tente qui, sans lequel, elle s’effondrerait. Or, à part là-bas chez des Talibans obscurs et obscurantistes, ou chez de nombreux théologiens d’Arabie saoudite dont la stupidité est notoire (pour eux l’Islam interdit à la femme de conduire une voiture), que je sache on ne maltraite dans nuls pays arabes les passants à l’heure de la prière. On ne leur demande même pas de se faire discrets.

Pour les musulmans qui vivent en pays d’Europe, où ils ne sont qu’une petite minorité et où une minorité seulement d’entre eux pratiquent le jeûne, il ne viendrait jamais à l’esprit d’aucun jeûneur de se sentir non-respect par ceux qui mangent en public, musulmans ou pas. Ce serait ridicule.

Par ailleurs on se souviendra qu’un dirigeant islamiste marocain avait répliqué fièrement à un journaliste qui le titillait sur cette question : « Mange chez toi, si tu veux, mais ne le dis pas dehors ! ». C’était autant dire : « il faut apprendre à tricher dans l’espace public ! ». De la part de quelqu’un qui se dit bon musulman, c’était le comble. Et de la part d’une société qui accepte ce genre d’arguments, c’est pire encore…
Cette année, le premier ministre en personne islamiste et fier de l’être a défié quiconque d’aller manger pendant le jeûne sur l’une des plus grandes places de Casablanca, laissant bien sûr entendre qu’il serait aussitôt lynché par la foule.
Soit ! Supposons que ce soit vrai. Mais on pourrait tout à fait lui rétorquer que lui-même, en tant que premier ministre, et tout en respectant le jeûne, pourrait-il se hasarder sur cette même place sans ses gardes ? D’autres très hauts personnages de l’État pourraient-ils, sans la multitude des gardes, s’en aller bon enfant expliquer à la foule des déshérités qui pullulent sur cette même place, la politique gouvernementale contre le chômage ? Hélas le ridicule ne tue pas. Et que de regrets qu’aucun journaliste ne l’ait apostrophé de la sorte. À croire que tous sont tétanisés par la question du ramadan…

Pour ma part, dès l’âge de dix-douze ans, je prenais un immense plaisir à me confronter péniblement à cette pratique réservée aux adultes, tel un rite d’initiation. Il faut dire que les veillées étaient si festives en ce temps-là que j’en éprouve encore de la nostalgie. Je me souviens qu’on passait d’agréables soirées dans les bistrots (les hommes, les hommes, rien que des mâles virils bien sûr, les femmes ce devait être haram dans la tête des hommes). Bref, on regardait la télé en noir et blanc, on jouait aux cartes, et aux Dames. Et si le lendemain on avait du mal à se réveiller, qu’à cela ne tienne, le ramadan savait assommer nos enseignants aussi.

Plus tard j’avais rejoint, pour mes dernières années marocaines, l’internat d’un lycée de Casablanca. Et ce fut dans cette ville tentaculaire que j’allais prendre conscience de l’incroyable mystification : on nous répétait à longueur de radio et de télé que le ramadan était une « ra’hma », une clémence, alors que la réalité vraie était tout autre : elle était dure, brutale, égoïste. Et elle l’est toujours ainsi, me semble-t-il, pour le peu que j’en ai vu cette année encore. Déjà en période normale, Casa est une jungle, mais quand le ramadan jette sur elle ses griffes inquiétantes, c’est aussitôt la catastrophe : cacophonie générale avec son lot de bagarres, d’insultes, d’incivilités en tous genres…

Eh oui, il n’y a aucun doute : le ramadan est transformé en calamité par la pratique qu’en font les Musulmans, du moins ceux des pays musulmans eux-mêmes, car en France et en Europe, ceux qui le pratiquent le font pour eux-mêmes, pour leur religion, sans chercher à empoisonner la vie des autres…

Au Maghreb, dès donc que le fin croissant de lune pointe le bout de son nez pour signifier l’arrivée de ce mois (censé être sacré pour les Musulmans), il n’y a plus rien de sacré. D’abord c’est le meilleur mois pour faire un maximum de profits. Et tout y prépare : les plus pauvres des pauvres, comme les moins pauvres, économisent pendant onze mois de quoi dépenser en un seul mois. C’est à croire que la vraie devise du ramadan, c’est de tous vivre comme des riches, et non le contraire.

Figurez-vous qu’au ramadan, tout augmente éhontément, subitement, comme par quelque injonction divine. Et sans le moindre soupçon d’égard pour le frère ou la sœur en l’Islam qui ne peut suivre pour nourrir son encombrante et nombreuse progéniture, censée pourtant être, pour lui ou pour elle, un don de Dieu. Et hop : les prix des produits de première nécessité flambent par un insolent claquement de doigts de ceux-là qui possèdent déjà l’essentiel des richesses. Et hop : les prix des produits alimentaires de luxe (les dattes, les gâteaux, les jus…) s’emballent du jour au lendemain.

Je vous le dis : tout, absolument tout est fait pour vous chaparder vos moindres économies. Et si vous n’avez pas mis assez d’argent de côté, pour autant que vous justifiez du plus petit revenu régulier, les banques du pays, les banques musulmanes devrais-je dire par opposition aux banques internationales (aux satanées banques internationales), eh bien, ces banques vont feront des prêts dont le ramadan bénira le taux prohibitif parce que le ramadan vous aura acculé à des dépenses qui dépassent vos capacités.

Par ailleurs les grossistes savent que le ramadan est une bénédiction pour eux : c’est le meilleur piège possible pour arnaquer le petit commerce. Et le bon petit commerce n’aura, pour se rattraper, qu’à faire casquer à son tour le bon petit musulman, qui lui-même n’aura qu’une idée en tête : grappiller ce qui peut l’être autour de lui…

Et la chaîne est longue ! Bref : une jungle où le plus fort mange le plus petit, et non une société d’hommes attachés à quelques valeurs universelles, telles la solidarité ou la fraternité par exemple. Et ne parlons pas d’égalité (valeur tant prêchée par toutes les religions et par toutes les idéologies), car durant le mois de ramadan, seule l’inégalité trône, comme par une sorte de droit divin.

On me dira que c’est partout pareil : chez les musulmans comme chez les chrétiens ou chez les bouddhistes. Et je confirme : nous vivons une époque de peu d’élévation d’esprit. Le libéralisme souffle sur tous les peuples de la terre, comme souffle un vent mauvais qui contamine tout sur son passage. Les sociétés ressemblent de plus en plus à des meutes de loups, et ce qui était considéré jadis comme sacré n’est maintenant qu’un objet commercial.

Je sais, par exemple, ce que sont devenues les fêtes de Noël : une dégoûtante aberration. On s’achète des produits chers et inutiles pour fêter la naissance d’un enfant de pauvres dans une grange, là-bas en Palestine. Là-bas où, encore de nos jours, un État reconnu par la communauté internationale assassine des gosses de pauvres pour simplement les empêcher de vivre chez eux, là où ils sont nés, sur la terre de leurs ancêtres… Et sans que la sacrée communauté internationale ne s’en émeuve outre mesure… Et sans d’ailleurs, soit dit en passant, que les bons musulmans eux-mêmes, ou les Arabes, ne s’en offusquent autrement que par des paroles stériles.

Mais revenons à ce sacré mois de ramadan et à ses terribles effets. Je pourrais affliger le sympathique lecteur de longues listes de statistiques, mais je m’en abstiens. Chacun peut aller de ce pas les trouver sur la toile sacrée de Google.

Que se passe-t-il durant le mois de ramadan ? Les enquêtes et les rapports officiels fleurissent sans cesse pour confirmer que c’est partout pareil chez ces bons musulmans, qu’ils soient du Maghreb ou d’Orient, qu’ils soient arabes ou ‘Ajam (non arabes).

Quand le ramadan s’en vient, les sociétés musulmanes sont soudain comme prise de folie : désagrégées, désarticulées, voire explosées. Et alors ce n’est pas à un mois de piété qu’on assiste, mais à un mois d’incivilité honteuse : outre les bons musulmans qui spéculent sur les produits de circonstance, sans morale aucune, d’autres non moins bons musulmans s’absentent notablement de leur travail, en tout cas plus que pour tous les autres mois. D’autres encore trichent sur les heures d’arrivée et de sortie.

Et bien sûr, malgré tous ces méfaits, il n’y a aucune contre-indication à aller prier pour ceux qui se mettent soudain à la prière, le temps d’un petit mois en bonne compagnie, en compagnie du même commerçant qui les saigne plus encore durant ce mois…

Bref : on est loin de ce que devrait être un mois de clémence, de miséricorde et de fraternité. C’est tout le contraire, bien qu’on s’évertue à distribuer quelques malheureuses piécettes en signe de charité envers la veuve voisine ou les misérables parents de la petite bonne qu’on traite par ailleurs comme une esclave.

Il y a en vérité, à chaque fois que revient le ramadan, comme une escroquerie collective. Pire, pire : la vie commune dans la rue devient impossible : les injures dans les espaces publics, dans les lieux de regroupements, voire jusque dans les écoles et dans les établissements publics. Sans compter là où on attend le taxi-sauveur qui ne nous fera pas perdre une seconde sur la première cigarette ou la première datte. Sans compter les bus bondés de gens gonflés à bloc contre ce je-ne-sais-quoi qui leur fait croire qu’ils sont absolument, absolument obligés de jeûner. Ces mêmes gens qui se passent allègrement de prière pourtant plus obligatoire encore. Ces mêmes gens qui pensent que leur religion ne les oblige en rien à vouloir et à faire le bien d’autrui, le bien de ses frères, le bien de la collectivité, le bien de la nature. Rien, sauf dans la parole bien sûr, dans la vaine parole, oui, car dans la réalité ils s’émancipent allègrement de toute morale humaine…

Au diable tout cela, pourvu que leurs intérêts mesquins passent en premier. Mais surtout, combien est grande la calamité sociale qui découle directement du ramadan : partout les accidents de la route augmentent. Cela devrait effarer n’importe quel homme sensé. Mais non, cela ne semble affecter personne, ni responsables de l’État ni citoyen avisé. Personne.

Dans une enquête marocaine sur dix ans (pour que le ramadan tourne dans les saisons), on souligne que ce mois, censé être une bénédiction, est partout le pire mois pour les accidents de la route. Y compris dans les transports en commun. Et y compris dans les transports d’enfants pour les écoles : c’est à croire qu’il vaut mieux ne pas confier son enfant à un conducteur qui jeûne !

Dans une étude algérienne, les chiffres donnent froid dans le dos concernant le ramadan. Écoutez seulement ce que relatent les urgences hospitalières : urgences médicales (+300%), accidents de travail (+150%), rixes avec blessures (+400%), aggravations des maladies pour cause de jeûne (+80%), etc. Par ailleurs, dans la même enquête, on ne peut que trembler à la lecture de ceci : accidents de la route (+52 %), accidents du travail (+72%), petite délinquance (+220%), etc. Ou encore : augmentation illégale et injustifiée des prix (+420%), produits impropres à la consommation (+540 %), tromperie sur la marchandise (+212%).

De ces sinistres statistiques, je garde le pire pour la fin, non sans une meurtrissure en moi. Écoutez, écoutez avec toutes vos oreilles et acceptez que je le dise avec toute ma colère : qu’est-ce donc ce mois durant lequel les hommes battent encore plus leurs femmes et leurs enfants (+ 120% par rapport aux autres mois de l’année) ? Je vous le demande et je persiste à le demander.

Et qu’on ne vienne pas me dire que l’Islam ne veut pas cela, car dans la bouche des gens qui tolèrent un tel degré de violence et qui n’agissent pas concrètement pour l’endiguer, une telle phrase perd tout son sens. Et du coup elle n’a plus aucun effet sur personne. Tout au plus, n’apparaîtrait-elle que comme une dangereuse excuse, dite non pour faire changer la réalité, mais au contraire pour la cacher comme on cache une maladie honteuse. Et qu’on ne vienne pas me rétorquer qu’il suffirait d’appliquer scrupuleusement l’Islam pour qu’aussitôt ce soit le paradis sur terre ou je ne sais quoi de semblable.

Non ! Il faut s’attaquer à la réalité concrète sans camoufler son impuissance derrière la religion. Laissez ce verbiage de côté, car si c’était vrai il y aurait eu amélioration depuis les nombreux siècles où les mêmes imams nous racontent tant de choses qu’eux-mêmes ne mettent jamais en pratique…

Pour ma part, je n’ai pas de réponse. J’ai seulement mal à tout cela à la fois, et mal à moi-même pour en être. Pour en avoir été. Mais à la différence de bien de bonnes consciences, j’ose m’interroger les yeux dans les yeux.

On est où, là ? Est-ce que le mois de ramadan est réellement une bénédiction pour ces sociétés ?
N’est-ce pas le contraire dans la réalité ?

Mustapha Kharmoudi
Écrivain
Dernière parution : « Maroc voyage dans les royaumes perdus », roman historique
Éditions : Harmattan

 
Top