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Après le coup d'état financier fomenté en juillet dernier contre la Grèce par la Commission européenne avec ses alliés la BCE et le FMI se dessine désormais un nouveau chantage à l'exclusion. 

C'est d'autant plus révoltant que la politique d'austérité drastique imposée à la Grèce a précisément privé le pays des moyens pour répondre aux exigences des sinistres accords de Schengen et de Dublin III en ce qui concerne l'accueil des réfugiés (notamment la règle du retour dans le premier pays d'accueil). Claude Calame

Bruxelles demande à Athènes de mieux surveiller ses frontières et d'enregistrer les demandes d'asile
La Grèce est menacée d'une suspension, voire d'une d'exclusion des accords Schengen sur la libre circulation, après être passée tout près d'une sortie de la zone euro en juillet. Evoqué discrètement depuis quelques semaines, le scénario a été dévoilé avant une nouvelle réunion des ministres de l'intérieur et de l'immigration, jeudi et vendredi, à Bruxelles. Il ne semble plus impossible si Athènes ne répond pas très vite aux demandes pressantes de ses partenaires européens, qui insistent sur la nécessité d'une meilleure surveillance des frontières du pays alors que plus de 800 000 migrants – surtout des Syriens – ont traversé la Méditerranée pour rejoindre l'Europe en 2015 et que la très grande majorité – environ 700 000 – est passée par les îles grecques de la mer Egée, en provenance de Turquie.

Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, a mis en garde le premier ministre grec, Alexis Tsipras, dimanche 29 novembre, en marge du sommet UE-Turquie qui se tenait à Bruxelles et était consacré à la crise des migrants. Selon certaines sources, M. Juncker aurait évoqué un " rapport " sur la gestion de la crise des réfugiés par son pays et par l'Italie. Selon une autre, il lui aurait indiqué que si son pays n'entreprenait pas des actions " décisives ", la question d'une suspension ou d'une exclusion du règlement Schengen serait sur la table du prochain sommet européen, les 17 et 18 décembre. Athènes doit, en tout cas, s'efforcer de créer des places d'accueil (elle en a promis 30 000 à la fin octobre), obtenir l'aide de l'agence Frontex pour la surveillance de sa frontière avec la Macédoine, réclamer le soutien d'équipes mobiles d'assistance rapide (Rabit) que peuvent fournir ses partenaires et, enfin, déclencher le mécanisme qui lui permettra d'obtenir, de la Commission de Bruxelles, une aide humanitaire d'urgence.

" Le sommet des 17 et 18 sera un moment de vérité ", a prévenu une source européenne, alors que l'exaspération est perceptible parmi les principaux pays " de destination " privilégiés par les réfugiés : l'Allemagne, la Suède, la Finlande, les Pays-Bas, la Belgique.

Ces pays, et d'autres, reprochent surtout à Athènes les lenteurs dans la mise en place des " hot spots ", ces centres d'identification et d'enregistrement à installer avec le concours de l'UE. Même si le commissaire (grec) aux affaires intérieures, Dimitris Avramopoulos, affirme que " cela fonctionne déjà à Lesbos ", les partenaires d'Athènes déplorent que les autorités grecques n'effectuent pas la répartition entre migrants " économiques " et réfugiés.

" Une passoire "
Sur les cinq centres d'accueil à mettre en place, seul celui de Lesbos est effectivement opérationnel, mais avec des lacunes. Le relevé électronique des empreintes est très insuffisant, les autorités grecques soulignant qu'elles manquent de moyens techniques et humains pour faire fonctionner les 300 machines que l'UE serait prête à mettre à leur disposition. Les demandes d'asile ne sont donc pas enregistrées, alors que c'est de Grèce (et d'Italie) que devraient partir 160 000 réfugiés à relocaliser dans l'Union. Ce plan, imaginé par la Commission – et difficilement accepté –, est un échec : 159 réfugiés ont effectivement été envoyés dans un pays d'accueil.

Un autre élément, évoqué mercredi par le quotidien belge Le Soir, a apparemment accru la colère contre Athènes. A son retour de Lesbos, le commissaire à la Santé, Vytenis Andriukaitis, a envoyé au président Juncker un courrier décrivant une situation dramatique qui règne à Lesbos. M. Andriukaitis y parle de la mort d'enfants par hypothermie, du manque cruel de moyens médicaux et de retards dans l'acheminement de l'aide européenne. Alors qu'Athènes a bénéficié de divers fonds européens, pour un minimum de 58 millions d'euros.

Si tous les regards se tournent à nouveau vers le " maillon faible " de l'UE, c'est que, de fait, les défaillances grecques expliquent en partie l'échec total des différentes solutions proposées par la Commission pour tenter d'endiguer la crise migratoire.

Considérant que la Grèce est " une passoire ", certains pays membres envisagent depuis quelques semaines de créer un " mini Schengen " et de restreindre l'espace de libre circulation à seulement quelques pays (l'Allemagne, le Benelux, l'Autriche, l'Allemagne, Suède). Le ministre des finances néerlandais, Jerœn Dijsselblœm, l'a expliqué sans nuances à la fin novembre : " Si l'Union ne protège pas mieux ses frontières extérieures, alors un petit groupe de pays le fera. " Plusieurs pays, dont la France, s'opposent à ce projet. " Il faut combattre cette idée et, d'ailleurs, éviter tout débat sur la remise en cause de Schengen ou l'exclusion d'un pays " déclarait au Monde, mercredi matin, le ministre luxembourgeois des affaires étrangères et de l'immigration, Jean Asselborn.

D'autres responsables soulignent que la Grèce n'est pas aidée par sa géographie et son administration défaillante et surtout qu'elle est fragilisée par plus de cinq ans d'austérité. Selon ces sources, la responsabilité de la crise actuelle revient aussi, pour une grande part, à l'appel d'air, généreux mais pas du tout concerté avec ses partenaires, qu'Angela Merkel a créé, à la fin de l'été, en disant que l'Allemagne allait accueillir tous les réfugiés syriens.

Risque sécuritaire
" Nous faisons tout ce que nous pouvons pour collaborer et trouver des solutions européennes à cette crise de réfugiés ", explique mercredi une source gouvernementale grecque, qui dénonce " un coup de pression que nous ne comprenons pas ". A Athènes, on souligne, par ailleurs, qu'on ne peut menacer la Grèce de sanctions tout en lui demandant de gérer, seule si elle était exclue, le risque sécuritaire : elle ne pourra pas contrer avec ses moyens uniquement la menace d'une incursion de djihadistes sur le sol de l'Europe.

Le gouvernement de M. Tsipras craint en tout cas que si aucune solution n'est trouvée, à court terme, à la crise des migrants, son pays devienne un vaste camp derétention puisque tous ses voisins risquent de fermer hermétiquement leurs frontières, faute d'une gestion plus ordonnée du flux de migrants. " Schengen est comateux ", juge M. Juncker. Il n'a visiblement pas tort.

Cécile Ducourtieux et Jean-Pierre Stroobants avec Adéa Guillot (à Athènes)

 
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