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Marina Smir est une balade de quelques dizaines de mètres, sur lesquels sont jonchés quelques restaurants, cafés et commerces au-devant de somptueuses résidences balnéaires et en face de la marina qui donne son nom à l’allée.

Sur ces quelques mètres linéaires se concentre une grande partie de la frime nationale. Depuis la création de cette station balnéaire, toutes les grandes familles de la bourgeoisie marocaine, et celles qui, aussi, pensent l’être, s’efforcent d’avoir une place, en été, sur cette vitrine de la frime marocaine. Ainsi, toute une topographie spéciale de cette allée est connue de ses visiteurs : ici c’est la table de la famille telle, ce Yacht c’est Monsieur X de telle administration, l’autre restaurant est à moitié occupé généralement par la famille Y, et ainsi de suite.

Cette année malgré la crise économique d’une part, et Ramadan de l’autre, les habitués de Marina Smir n’ont pas dérogé à la règle de venir s’exhiber le long de la marina durant la juste semaine qui est restée avant la rentrée, histoire de faire savoir qu’on est toujours parmi les gens qui « sont bien » ou comme on dit chez nous « labass 3lihoum ».

Cet acharnement à vouloir à tout prix impressionner « l’autre », est une particularité très marocaine qui n’est pas le propre des gens aisés. C’est notre éducation qui donne une dimension importante à cet « autre » dans notre pensée, et par la suite dans nos choix et donc toute notre vie.

J’ai eu l’occasion de constater ce syndrome quand je travaillais dans la décoration et l’aménagement des intérieurs pendant plusieurs années (80-90), et surtout aux débuts du boom immobilier de Marrakech et d’autres villes marocaines. J’avais remarqué que la plupart des ménages qui construisaient leurs villas, moyen ou haut standing, avaient presque la même conception de l’aménagement intérieur : Un salon marocain, un salon européen avec un coin de feu (cheminée) et éventuellement un espace pour salle à manger moderne. Cette partie se trouvait généralement au rez-de-chaussée juste après l’entrée principale, par contre l’étage supérieure est réservée aux chambres à coucher parents, enfants et invités. Les salons du rez-de-chaussée bouffent la quasi-totalité du budget de la construction, surtout le salon marocain pour le Zellij, plâtre et bois sculpté ou peint. Le problème c’est que cette partie de la maison demeure inutilisée que pendant les rares visites des « autres ».

Généralement, toute la famille s’entasse dans une ou deux pièces de la cave avec des murs en carrelage du sol au plafond, la cuisine à côté, la chambre de bonne aussi, pour ne pas déranger l’ordre et l’arrangement des salons des « autres ». Ainsi, certaines personnes de la famille ne mettent jamais leurs pieds dans ces lieux que quand on y reçoit ces « autres » pour qui on fait sortir la vaisselle et l’argenterie dont on se prive tout le temps, en attendant que cet « autre » arrive pour lui « crever » les yeux avec ce qu’on a. Heureusement, de plus en plus de jeunes aménagent leurs intérieurs de telle manière à profiter de tout ce qu’offre l’espace comme confort pour les résidents d’abord et les « autres » si jamais ils sont là.

Cette hantise de « l’autre » a gagné aussi d’autres aspects vitaux de notre vie de famille. Ainsi, plusieurs familles forcent leurs enfants à embrasser des études supérieures qui n’ont rien à voir avec leurs compétences ou potentiels, juste parce qu’untel a fait de même et que « l’autre » leur parle de la carrière de son fils ou fille en finances, NITC, … etc.

J’ai vu des familles envoyer leurs enfants devant des suicides pédagogiques sachant qu’ils ne disposent pas de bases suffisantes pour réussir ces études imposées par les parents. La mode est alors aux « prépa » pour des grandes écoles, sinon des MBA, Masters ou des appellations qui n’ont plus le même sens qu’avant avec la prolifération de ces écoles ou universités privés qui peuvent vous faire délivrer votre diplôme tout en restant à votre lit toute la journée, c’est le nouveau MBA : Minimum Basic Acquis. J’ai vu des jeunes forcés de faire des études en finances craquer devant la pesante et lourde besogne que de travailler dans des banques ou bourses étrangères. D’autres ont tout simplement changé de cap, sans tenir compte de l’avis de leurs parents, préférant ne plus revenir au pays, et vivre leurs vies comme ils l’entendent.

Le jour où les marocains se libéreront de cet « autre » qui les habite encore, et vivent leur vie pour ce qu’elle est et ce qu’ils sont, ce sera le jour qu’on doit fêter comme jour d’indépendance, car il concernera tout le monde.

Aziz Reznara

 
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