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De l’extérieur, le bâtiment ADOMA*, de la Butte blanche à Argenteuil, ressemble plutôt à une résidence 5 étoiles pour retraités aisés. Une fois la porte franchie, on se retrouve dans une isba du Goulag destinée à abriter des détenus pour délits d’opinions et non des travailleurs immigrés qui sont devenus pour la plupart des chibanis par la force des choses.

L’entrée du bâtiment ressemble à un ancien tribunal avec des murs sombres, une porte d’ascenseur pour faire semblant mais qui ne fonctionne pas, des portes blindées et fermées de l’extérieur menant vers des escaliers assez larges pour accéder aux étages supérieurs.

Accompagné de trois militants associatifs et moi-même comme simple observateur, nous avons vite pris contact avec quelques chibanis qui ont manifesté leur joie de voir des personnes, hors du foyer, venues prendre de leurs nouvelles et échanger avec eux leurs quotidiens et leurs douleurs profondes jusqu’à leur âme intime. A notre demande, un des résidents nous a autorisé à jeter un coup d’œil sur sa chambre avant de nous retrouver avec d’autres chibanis dans une des cuisines communes pour bavarder sur l’état de la résidence et les rapports qu’ils ont avec le gestionnaire des lieux, la société ADOMA.

Une odeur nauséabonde de pisse nous prend à la gorge dès l’emprunt des escaliers. La puanteur vient probablement de deux vieux matelas entreposés en bas des escaliers. On monte au quatrième étage, le résident nous ouvre la porte pour accéder à un long couloir qui fait à peine un mètre de largeur. Des portes sont alignées à environ deux mètres l’une de l’autre et on a aussitôt l’impression d’être dans un documentaire qui traite des problèmes des prisons. La seule différence, les portes n’ont pas ici une petite fenêtre pour surveiller l’occupant.

Mais la grande surprise fut quand la chambrette s’est ouverte. La piaule n’est pas plus large qu’un cabinet de toilettes car elle fait exactement 1,60 m de large sur environ 3,50 m de longueur. Un petit lavabo à l’entrée est le seul luxe que possède le caveau pour survivants. Un petit lit occupe le font de la piécette et une petite table qui sert de salle à manger, de bureau et peut-être aussi de table de repassage… Et tout ce bazar dans une surface qui fait à peine 7,50 m² contre 284 euros de loyer mensuel. Un prix au mètre carré bien payé si on le compare à la location d’un studio de 45 m² comprenant une chambre, un salon, une cuisine, des wc et une salle de bains.

Le colocataire doit quitter la chambrette pour faire sa toilette dans les douches communes, ses besoins dans les wc collectifs et sa gamelle dans la cuisine unique de l’étage. Si tous les occupants décident d’utiliser en même temps les lieux communs, il faudrait alors prendre un ticket d’attente comme chez pôle emploi. Je n’ose même pas imaginer les odeurs qui se dégagent après chaque utilisation des toilettes ou de la cuisine, le suivant doit être habitué pour supporter cette humiliation de partages intimes et est-ce qu’ils ont le choix me dis-je ?

La question que je me pose, comment ce genre de logement dortoir a pu être autorisé depuis l’époque et qu’aucun gouvernement n’a réagi pour corriger ce traitement inhumain que même les prisons en sont mieux dotées ? Ou est-ce l’esprit colonial est omniprésent et que l’immigré est encore considéré comme l’indigène inférieur à la race dominatrice ?

Après cette visite insolite, on s’est rendu dans la cuisine commune car c’est le seul endroit qui est encore accessible pour papoter avec ces braves gens qui nous ont surpris par leur gentillesse et surtout par leur sensibilité. Nous avons appris que ADOMA avait fermé les lieux de rencontres qui étaient une cafétéria au rez-de-chaussée et une petite salle de prière où les fidèles faisaient leur prière faute de place dans leurs chambrettes exigües.

Pour faire des économies sur les dépenses, ADOMA a supprimé le poste de gardiennage, réduit les frais pour le nettoyage, fait le minimum de réparations ce qui a pour effet la dégradation des lieux. ADOMA a fermé les salles de détente et de prière pour probablement dégouter les résidents et les empêcher de réfléchir ensemble et provoquer chez eux une sorte d’inquiétude et de servitude faute de quoi, ils perdraient leur unique abri.

Quelques hypothèses circulent sur une éventuelle politique menée par le gérant pour mieux rentabiliser les bâtiments en les exploitant dans un avenir proche comme résidences de luxe destinées à une clientèle plus aisées. L’avenir des actuels locataires ne semble pas être prometteur tant que le bailleur use des combines pour contourner les lois et imposer par petit feu l’expulsion, plus tard, des actuels occupants.

Malheureusement, les chibanis ne sont pas bien armés à lutter contre l’ogre qui tire ses ficelles des changements de la société qui favorisent un capitalisme à outrance et mettent sur le bas-côté les faibles et les plus démunis. L’analphabétisme de ces anciens travailleurs des 30 glorieuses et l’ignorance les poussent, de plus en plus, dans la précarité. Ils comptent parmi les plus vulnérables de la société car leur maigre pension ne leur permet pas de se prendre en charge afin d’améliorer leur situation.


Ce sont les damnés de la société, leurs pays d’origine ont d’autres chats à fouetter que de s’alarmer sur le sort de quelques dizaines de milliers de chibanis. Les pays d’accueil ne s’intéressent plus à cette population qui n’a plus une valeur ajoutée pour son économie. Les politiques les ignorent car cette communauté n’a pas le droit de voter et par conséquent, elle compte pour du « beurre ».

En attendant, seules quelques associations et âmes sensibles peuvent leur apporter un peu de réconfort moral.

A. Colin
Wakeupinfo

*Adoma, Société nationale de construction de logements pour les travailleurs (SONACOTRA), anciennement Société nationale de construction de logements pour les travailleurs algériens (SONACOTRAL), est une société d'économie mixte française dont le capital est détenu par des acteurs publics (État, SNI…) chargée de construire et gérer un grand nombre d'habitats à vocation sociale (foyers de travailleurs migrants, résidences sociales, pensions de famille, centres d'hébergement, centres d'accueil de demandeurs d'asile, aires d'accueil de gens du voyage, etc.), au total plus de 71 000 places de logement en France. Le 23 janvier 2007, la Sonacotra change de nom et devient « Adoma » (nom construit à partir du latin « ad » qui signifie vers et « domus », la maison).(Wiki)













 
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