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C'est arrivé au moins une fois à tout le monde de parler tout seul. Quand on se surprend, on en a honte. On a tort ! Explications.
« Un étranger s'est approché de moi dans une épicerie. Avez-vous besoin d'aide pour trouver quelque chose ? demanda-t-il. Au début, je n'étais pas sûre de ce qu'il voulait dire. Puis ça m'a frappée : je parlais à voix haute, à moi-même, en public », écrit la journaliste Kristin Wong dans le New York Times.
C'est une habitude chez certains, ce n'est pas délibéré, « ça nous dépasse, c'est une pulsion. Un mot vient à la place d'une action », explique la psychanalyste Nouria Gründler. Mais pourquoi nous adressons-nous ainsi à nous-mêmes, à voix haute ? Selon Ethan Kross, professeur de psychologie à l'université du Michigan, formuler les choses permet vraiment de les voir de manière plus objective. « La langue fournit un outil pour prendre de la distance avec nos expériences personnelles quand nous réfléchissons à nos vies. Et c'est vraiment la raison pour laquelle c'est utile. » Cela améliore les compétences et les connaissances des personnes concernées.

S'encourager
Ethan Kross a étudié avec ses collègues l'impact de la « conversation personnelle interne ». Il a remarqué que nombreux de leurs patients se parlaient à la deuxième et troisième personne du singulier, « Tu peux le faire », « Jane peut le faire » au lieu de « Je peux le faire ». Rien d'étonnant pour le professeur de psychologie. Cela souligne la distance prise vis-à-vis de soi-même. Une distance nécessaire puisque chacun sait bien que nous sommes de bien meilleurs conseillers pour nos amis que pour nous-mêmes. « L'une des raisons-clés pour lesquelles nous sommes capables de les conseiller, c'est parce que nous ne sommes pas concernés. » Se dire « tu » ou « il » permet de se décentrer et d'apprécier la situation de façon moins émotionnelle. Selon Nouria Gründler, en procédant de la sorte, « nous ne répondons pas à nous-mêmes, mais à l'injonction de l'autre. L'autre, on le construit avec l'image idéale que l'on se fait de soi. »

Se concentrer
Se parler à soi-même, « c'est un bon moyen de mémorisation des leçons pour les enfants », explique une psychothérapeute française. Pour Gary Lupyan, chercheur et professeur de psychologie à l'université du Wisconsin-Madison, parler à voix haute en cherchant quelque chose aide à le trouver plus vite. « L'idée est : si vous entendez un mot, est-ce que ça vous aide à voir quelque chose ? » Gary Lupyan a réalisé une série d'expériences avec des collègues où ils demandaient à des sujets de chercher différents objets dans différentes situations. Par exemple, chercher une photo d'une banane parmi 20 photos d'articles aléatoires. Miracle, les sujets qui disaient le mot à voix haute trouvaient la photo plus rapidement, car ils étaient concentrés sur la couleur et la forme du fruit. Mais c'est une manière de faire qui a des limites. Si le sujet ne sait pas à quoi ressemble l'objet recherché, se le demander à voix haute ne sert à rien et pourrait même le ralentir, affirme Gary Lupyan.

Une autre étude, publiée dans Procedia-Social and Behavioral Sciences, a réuni 72 étudiants sélectionnés au hasard sur un échantillon de 187 étudiants pratiquant le basket. Répartis en 3 groupes de 24 personnes, les joueurs d'un groupe devaient se motiver personnellement, alors que ceux d'un autre avaient pour devoir de se donner des instructions à eux-mêmes à voix haute. Il s'est avéré que les basketteurs qui se conseillaient personnellement augmentaient leur concentration, leur stratégie et leur technique. Dans la vraie vie, Kristin Wong compare cette capacité à celle de monter un meuble Ikea.

Pour Frank Ghinassi, vice-président et directeur du département de psychologie à l'UPMC Western Psychiatric Institute and Clinic, ce procédé permettrait de se préparer au mieux à une situation particulière, par exemple un entretien d'embauche. « Parler tout seul vous permet d'imaginer plusieurs scénarios et de préparer différentes réactions et stratégies », a rapporté Today sur son site.
Contrôler ses angoisses

Enfin, l'autoconversation peut aider à « se rassurer, contrôler ses angoisses, prendre conscience de ses propres pensées et les structurer », explique la psychothérapeute Cécile Bouvet-Jacques. Certains individus ont pu connaître des événements tragiques et se parler à eux-mêmes peut les aider à « s'approprier leur propre histoire, leur souffrance ». Pour elle, se parler à voix haute est un moyen de comprendre et d'exprimer ses sentiments.

En quoi est-ce différent d'un journal intime ? « Parler à voix haute, c'est spontané, impulsif. Écrire, c'est réfléchi, ça laisse une trace. » Nouria Gründler abonde : « Écrire, c'est socialiser quelque chose, c'est supposer que quelqu'un d'autre va le lire. » Pour ceux qui ont peur du regard des autres, se parler est une solution plus adaptée.

Par Marie Raveau

lepoint.fr/





 
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