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Depuis la crise des subprimes au moins et certainement depuis l’échec des néoconservateurs à stabiliser leur emprise au Moyen Orient une fois que l’Etat irakien fut détruit, le monde est entré dans une phase de secousses au cours de laquelle ne cessent de se délégitimer les anciennes formes de pouvoir et d’hégémonie.

Cette constatation, énoncée par tant de publicistes, doit aller plus avant pas plus avant dans l’évaluation des modalités qui sont en train de restructurer le village global sinon elle restera d’une platitude descriptive. 

Est actuellement commémorée à travers le monde à juste titre la date d’octobre 1917, elle a vu naître une nouvelle entité sous la bannière de la fédération d’Etats unis par la mise en commun des moyens de productions et disparaître deux empires, le tsariste et l’ottoman. Un nouvel équilibre fut établi à la faveur d’une compétition sans merci entre des puissances économiques qui usèrent du patriotisme comme source de chair à canon. Celui-ci dura moins d’une centaine d’années, tendu entre les deux pôles qui régissaient son métabolisme plus ou moins agité par les ébranlements qu’ils impulsaient aux zones périphériques. Le pôle capitaliste a joué son rôle d’élément absorbant et a fini par éliminer le monde soviétique et par là-même, a perdu son principe régulateur.

Le pôle du profit pur livré à son essence n’a cessé de dégénérer au point de ne plus fonctionner que sur des valeurs virtuelles, à savoir considérer et traiter comme richesse une dette, c’est-à-dire exactement l’inverse d’un avoir. Le triomphalisme du système de la ‘libre’ entreprise qui aurait vaincu le monde coercitif et planifié de l’économie s’est exprimé dans des guerres successives depuis 1991, loin de son centre primaire, les Usa et secondaires, Japon et Europe. Il s’agit là de la manière la plus primitive d’exprimer la puissance, attaquer nécessairement plus faible que soi et saturer les économies psychiques par la terreur. Les destructions ainsi opérées n’obéissent en réalité qu’à la seule loi de la nécessité économique et non à celle d’une moralité corrompue.

Le système, dilaté à l’extrême, a occupé tout l’espace et l’a homogénéisé. Il risque alors le collapsus car se tarit l’échange qui seul réalise le profit. La création de zones de conflit avec des trous dans le tissu social mondialisé crée les conditions de survie de la circulation monétaire, accessoirement de marchandises qu’accompagnent la mise en mouvement de narrations, toute la camelote du discours idéologique forgée par des artisans sans souffle et sans talent car sans cause qui excède leur univers clos.

Topologie des trous
L’expulsion de la Russie loin de l’épicentre procède de la différentiation nécessaire de territoires toujours exclus, toujours refoulés pour entretenir une dynamique à partir du cœur de la propulsion de la machine à profit. Vraisemblablement, Wall Street s’effondrerait et le New York Times n’aurait plus de raison d’être sans l’invention absurde de l’épiphénomène Russiagate. Tout indiquait que les démocrates allaient perdre les élections de 2016, aucune preuve solide d’une quelconque influence de la Russie sur l’issue des présidentielles, la mécanique accusatrice est impérieusement poursuivie car les sanctions, soit la mise à l’écart du champ économique, doivent s’exercer. Ce sont les sanctions qui justifient la réputation d’un Kremlin hacker et non l’inverse, comme tout bon lamarckien le sait.

Les remous suscités par l’intrépide Mohamed Ben Salmane figurent les effets de cette différentiation portée à un stade secondaire. La logique d’intégration-désintégration qui préside au fonctionnement de la pompe à profit avait placé la Saudite, alliée d’Israël, dans le rôle d’effecteur régional des trous syriens et libyens, rares pays non assujettis à la Dette avant leur destruction planifiée. Le processus dissolvant mis en place a léché les franges de la Fédération de Russie et de l’Iran qui redoublèrent leurs forces pour s’en prémunir et ont renforcé la consistance de leur autonomie d’abord imposée puis revendiquée, les instituant en réelles puissances militaires régionales au moins à la fois conventionnelles et non conventionnelles surtout. 

La boussole chinoise mise à profit par la navigation arabe
L’ébullition du sous-système saudien s’inscrit dans le cadre de la « récession » mondiale que mesure indirectement le bas prix du baril de pétrole, autre façon de dire que s’il y en a trop sur le marché c’est que celui-ci ne peut plus en absorber l’offre. La récession est aussi l’autre façon de désigner ces notions qui se confondent en elle, aboulie de la consommation, surproduction, mévente, impossibilité de relance par l’outil fort usé du crédit, salaires insuffisants, concentration excessive du capital et de la décision de son emploi. La contraction de ses ressources issues du pétrole a été l’impetus d’une cascade faite d’endettement public, de baisse des prestations de redistribution de la monarchie-providence, mécontentement populaire et distraction de celui-ci dans une offensive contre le Yémen qui s’avéra de plus longue durée que prévue et périlleuse en terme d’aggravation de la dette et d’image ternie par un échec militaire infligé par un peuple sans armes sophistiquées mais décidé à rester indépendant.

La convergence manifeste et maintenant exhibée entre la Saudite et Israël s’articule désormais autour du nœud constitué par l’incapacité de l’entité tutélaire à les protéger du retournement dialectique de ses agressions répétées sur les lieux où sont nés l’agriculture, l’urbanité, l’écriture, l’alphabet et le monothéisme. Le trou escompté est chargé d’une densité qui affole les compères et leur fait livrer au grand jour leurs turpitudes, blocus du Qatar, coupable d’avoir compris avant eux que l’Iran pouvait jouer le rôle d’un allié économique et stratégique solide et fiable et liquidation de la question palestinienne. Dans cette configuration de revers stratégiques et militaires, d’endettement et de baisse inéluctable de la rente pétrolière, la Saudite a choisi de rompre avec la tradition de succession adelphique qui venait juste de mettre aux commandes un vieillard parkinsonien de quatre-vingts ans et bien endommagé en faveur d’un fils propulsé par l’ambition et les conseils d’un Mohamed Ben Zayed, l’actuel homme fort des Emirats arabes unis. Les décisions ne seront pas dispersées entre plusieurs avis qui peuvent les attiédir ou les retarder. Les multiples princes encombrent le champ et limitent la liberté économique saudite en tant qu’éminents acteurs dans le boursicotage à Wall Street. Le circuit du pétrole vendu et aussitôt transformé en bons de Trésor américain semble de moins pertinent à un MBZ (et donc son filleul MBS) qui a entrepris de diminuer la dépendance arabe en armes occidentales. (1). 

MBS tout en utilisant les services de police et de renseignement sionistes semble s’engager pour le pétro-yuan (2), convertible à tout moment en or. La Chine est le plus grand importateur d’énergie fossile et la part de l’Arabie saudite dans les importations étasuniennes ne cesse de diminuer. Plus personne ne peut s’opposer désormais à la domination montante de la Chine en Asie, ce qui semble être une attitude séditieuse de généraux américains qui déclarent qu’ils refuseraient d’obtempérer à l’usage de l’arme atomique le confirme. De même la déclaration du Secrétaire à la Défense qui affirme l’illégalité des bases américaines en Syrie (3) témoigne de l’effritement du commandement du Centre. En dépit de son atmosphère très polluée, c’est sur Pékin qu’il faut orienter la boussole pour comprendre ce qui se passe au Moyen Orient. 

Et décidément comprendre que nous sommes entrés dans un autre temps long où la parenthèse aberrante ouverte par l’industrie textile britannique, ses moutons, ses pâturages, ses bateaux et ses tueries à Madras et Calcutta et ses guerres de l’opium va bientôt se fermer.

Il ne faut pas se laisser divertir par la perte pour l’Union européenne de son pilote allemand, le grand timonier Merkel, mais porter son regard aux interventions françaises dans le Sahel, (4) où bon an mal an, Paris voudrait conserver un petit carré en dépit du déploiement américain(5). La concurrence est rude à soutenir, la Chine conquiert à bas bruit le continent africain au travers d’un commerce presque équitable. Les attentats dans les mosquées (6) ne feront ni dévier ni ralentir cette évolution. 

Badia BENJELLOUN 
21 novembre 2017










 
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