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Le géopolitologue et directeur de l’Observatoire d’études géopolitiques analyse le conflit entre le Maroc et l’Algérie. Charles Saint-Prot : « Le régime algérien est prêt à se battre jusqu’au dernier Algérien pour rester au pouvoir et il se fiche qu’il y ait encore 200.000 ou 400.000 morts, du moment qu’il reste au pouvoir… »

Peut-on craindre un conflit militaire entre l’Algérie et le Maroc ? 
Depuis quelques semaines, la situation est plus sensible en raison des incursions du Polisario en zone tampon. Les officiels marocains haussent le ton : « Si le Conseil de sécurité n’assume pas ses responsabilités, le Maroc assumera les siennes » et « le Maroc en tirera toutes les conséquences ». Dans son message au secrétaire général de l’ONU, le roi Mohammed VI revient sur ce différend régional qui perdure depuis plus de quarante ans : « L’Algérie a une responsabilité flagrante. C’est l’Algérie qui finance, c’est l’Algérie qui abrite, c’est l’Algérie qui arme, c’est l’Algérie qui soutient et qui apporte son soutien diplomatique au Polisario ». Par ailleurs, le Maroc aurait informé l’Algérie, via un canal diplomatique européen, de sa détermination d’intervenir militairement si le Polisario ne se retire pas des zones tampons. La guerre est-elle possible ? Dans le journal marocain L’Économiste, Mohamed Amrani Boukhobza, professeur de relations internationales à l’Université Abdelmalek Saâdi de Tanger, estime que « ce risque est plus probable que jamais. Plusieurs facteurs semblent favoriser cette tendance. C’est le cas notamment de la situation interne tendue en Algérie. Cette dernière a l’habitude d’exporter ses crises vers l’étranger, notamment via l’exploitation de ce type de tensions pour détourner l’attention de ses citoyens. La situation interne au Polisario est également très tendue. Cela est lié notamment aux changements au sein de la direction de cette entité et la pression faite par les populations des camps de Tindouf ».

Charles Saint-Prot connaît parfaitement ce sujet puisqu’il dirige l’Observatoire d’études géopolitiques, qui publie de nombreux ouvrages et études sur l’islam et le monde arabe. Il a par ailleurs conseillé Yasser Arafat et Saddam Hussein, et il entretient des liens fréquents avec de nombreux chefs d’État arabes.


Kernews : Beaucoup de Français découvrent cette histoire du Sahara marocain en lisant dans les journaux qu’il existe un risque de guerre entre le Maroc et l’Algérie. Doit-on craindre que l’escalade n’aille jusqu’à l’option militaire entre le Maroc et le Polisario ?

Charles Saint-Prot : En fait, ce serait avec l’Algérie, puisque le Polisario existe de moins en moins. Cela a toujours été un mouvement fantomatique dépendant de l’Algérie, rassemblant quelques milliers de personnes et, aujourd’hui, il doit y avoir 2 000 à 3 000 militants au total. Donc, c’est bien l’Algérie qui est en cause. On ne résoudra pas ce problème si l’on ne tient pas compte de ce facteur. Que se passe-t-il exactement ? En 1991, le Maroc a accepté la création d’une zone tampon entre l’Algérie, la Mauritanie et lui-même. Le Maroc avait construit un mur de défense face aux incursions des séparatistes qui, à l’époque, étaient soutenus par Cuba, puisqu’il y avait des militaires cubains, ou venus d’Allemagne de l’Est ou de Tchécoslovaquie, et c’était tout le communisme international qui était à la manœuvre. 

Le bloc soviétique étant devenu ce qu’il était, le Polisario et l’Algérie ne pouvaient plus aligner des milliers de combattants. Il y a eu un cessez-le-feu et le Maroc a accepté la création d’une zone tampon pour ne pas se retrouver au contact direct de l’Algérie et de la Mauritanie. Cette zone est un no man’s land et les accords prévoient que ni l’armée marocaine ni les miliciens séparatistes ne doivent y intervenir. Or, dans la région de Guerguerat, qui est tout à fait au sud du Sahara marocain – la porte d’entrée vers l’Afrique, mais aussi la première ligne de défense de l’Europe face à tous les trafics et tous les extrémistes – depuis quelque temps, des séparatistes du Polisario se sont infiltrés et ont créé des troubles. Ils ont créé des troubles en attaquant des camions et en attaquant des Africains qui viennent au Maroc et le Maroc est intervenu en 2016. 

Le secrétaire général de l’ONU a demandé au Maroc de retirer ses troupes en disant qu’il allait faire en sorte qu’il n’y ait plus de violations de cette zone tampon. Bien entendu, l’ONU n’a rien fait et les incursions des séparatistes ont continué. C’est de la provocation. Le Maroc constate toujours ces menaces et il vient de demander à l’ONU de faire son travail, sinon il fera la police lui-même. Le Maroc a donc mobilisé ses troupes à cet effet. Cela signifie-t-il qu’il y ait un risque de guerre ? Le Maroc est un pays sérieux qui ne veut pas la guerre, mais tout le monde est inquiet sur ce qui se passe en ce moment en Algérie. Il y a une lutte pour le pouvoir entre des factions qui sont du même parti unique, mais qui veulent prendre le pouvoir quand Bouteflika mourra – ce qui ne saurait tarder – et il y a un climat très dangereux de surenchère entre les uns et les autres. On peut penser que ce régime, qui est un régime post-soviétique, totalitaire, rétrograde et qui a volé son peuple, peut se livrer à n’importe quel débordement pour rester au pouvoir. Le danger réel est là. On ne comprendrait rien aux problèmes qui se posent, sans comprendre ce qui se passe en Algérie.

Revenons à l’origine de cette situation : au départ, le Sahara était occupé par l’Espagne, mais le Maroc a toujours voulu reprendre son Sahara puisque la frontière naturelle du Maroc allait jusqu’au fleuve Sénégal…

Oui, puisque la France a créé cette Mauritanie qui est un État anarchique, mais la vraie frontière du Maroc c’est le fleuve Sénégal. Le Maroc a toujours été présent dans cette zone et c’est la seule nation constituée en État-nation depuis plus de douze siècles et qui a toujours exprimé sa souveraineté dans cette région. L’Espagne a voulu tout faire pour essayer de conserver un droit de regard dans cette région et l’Algérie s’est mise d’accord avec l’Espagne pour créer des problèmes. A ce moment-là, le roi Hassan II a déclenché ce que l’on a appelé la Marche verte en invitant la population à récupérer son territoire d’une manière pacifique. L’Espagne a donc dû partir… L’Algérie a alors alimenté la fiction d’un mouvement séparatiste, le Polisario, qu’elle a créé de toutes pièces, avec le bloc soviétique, et qui a mené des actions militaires. 

Ce qui est intéressant, c’est que la Russie n’a jamais reconnu le Polisario, mais c’était un jeu consistant à appliquer la théorie de Lénine qui était de contourner l’Europe par l’Afrique. Donc, il fallait créer des problèmes à un Maroc qui était clairement dans le camp du monde libre. L’Algérie de Boumediene était l’alliée de l’Union soviétique et elle voulait aussi avoir un accès vers l’Atlantique. En fait, le régime algérien a deux complexes : la France et le Maroc. La France, pour les raisons que l’on connaît, mais le Maroc aussi, parce que c’est une vieille nation qui a douze siècles d’existence et une forte identité, alors que l’Algérie a été créée par la France. D’ailleurs, le régime algérien n’a jamais été capable de définir l’identité de son peuple et ce régime, parmi tous ses échecs, a aussi un échec identitaire. Il n’a pas donné une identité à son peuple et il ne se positionne que par rapport à la France et au Maroc. 

Quand le bloc soviétique s’est effondré, le régime algérien a continué à faire fonctionner la propagande du Polisario, en y mettant beaucoup d’argent, avec des représentants de ce mouvement un peu partout dans le monde. Ils ont des bureaux un peu partout, c’est toujours l’Algérie qui paie, et ils ont par exemple plus de 600 associations pro-Polisario en Espagne. On a l’impression que lorsqu’un type est au chômage et qu’il ne sait pas quoi faire, il va frapper à la porte de l’ambassade d’Algérie en disant qu’il va ouvrir une boutique… Tout cela a un coût financier pour l’Algérie, comme pour le Maroc, qui doit se défendre, et en plus, cela freine l’intégration économique. D’ailleurs, le régime algérien ne veut pas d’intégration économique, car cela voudrait dire qu’il y aurait liberté de commerce et transparence. Or, ce régime est un régime prédateur qui vole son peuple à longueur de temps. 

En Algérie, il y a un général pour le pétrole, un général pour le sucre, un général pour les carottes… Et tous ces gens-là touchent des bakchichs… Pour que rien ne change, le régime continue de maintenir cette fiction du séparatisme avec quelques complicités qui sont de moins en moins nombreuses. Il y a eu une époque où, tout le bloc communiste aidant, plusieurs dizaines de pays avaient reconnu l’entité séparatiste. Aujourd’hui, il y en a 25, dont des pays aussi peu recommandables que la Corée du Nord, le Venezuela, Cuba ou le Zimbabwe… C’est toute l’arrière-garde des monstruosités du communisme qui soutient encore cette affaire.

Ce qui est intéressant, c’est que l’Algérie vient de pratiquement reconnaître ses liens avec le Polisario, alors qu’elle faisait semblant, depuis des années, de ne pas être pas à l’origine de ce mouvement… Est-ce la fin du jeu de dupes ?

La fiction séparatiste s’est dégonflée. Il y a beaucoup de gens qui fuient les camps de Tindouf, où quelques milliers de personnes originaires de ces territoires avaient été parqués par les Algériens. Les militants eux-mêmes n’y croient plus beaucoup, d’ailleurs beaucoup ont vieilli. Donc, l’Algérie est obligée de monter au créneau. Le secrétaire général des Nations unies a un envoyé spécial pour le Sahara marocain. Actuellement c’est Horst Köhler, l’ancien président allemand, et, dans son dernier rapport, le secrétaire général des Nations unies fait de la haute voltige et de l’équilibrisme en ménageant la chèvre et le chou. 

C’est très malsain. Lorsque Monsieur Guterres invite l’Algérie à s’investir davantage, il dit que c’est un problème entre l’Algérie et le Maroc, mais il ne le formule pas clairement puisqu’il laisse quand même à l’Algérie la possibilité de dire qu’elle n’est pas concernée par ce sujet. Tout cela est très mauvais. Les Nations unies, c’est d’abord les États et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, or aucun de ces cinq membres permanents ne reconnaît l’entité séparatiste. 

Le rapport du secrétaire général des Nations unies dit que ce conflit a trop duré et qu’il faut y mettre un terme… Mais tout le monde est d’accord ! La solution existe, puisque le Maroc a proposé un plan de sortie de crise, un plan d’autonomie, en gardant le contrôle militaire du territoire, mais en accordant à ces régions, qui sont assez particulières, une large autonomie. Toute cette région est en ébullition, c’est un danger absolu ! On sait ce qui se passe au Mali, la Mauritanie n’est pas contrôlée, le Niger est en danger, l’Algérie peut exploser d’un jour à l’autre… Donc, on n’a pas besoin de ce conflit artificiel et stupide qui menace la stabilité de la région, mais aussi de l’Europe.

La presse marocaine écrit que la guerre n’a jamais été l’option privilégiée mais, aujourd’hui, force est de constater que la situation semble ne laisser au Royaume que le choix d’une position offensive ressentie dans les déclarations de ses officiels… Cela va quand même loin…

Il faut toujours se méfier de ce qu’écrit la presse… En plus, la presse marocaine est très patriotique, donc elle en rajoute peut-être un peu. Le Maroc, c’est une vieille nation : avec la sagesse des vieilles nations, ils savent très bien que l’on ne résout pas les problèmes par une guerre. 

Les guerres défensives sont toujours justifiées, bien entendu, mais ce n’est jamais la meilleure solution. Le Maroc a proposé ce plan d’autonomie et c’est le seul plan de paix aujourd’hui sur la table. En plus, on sait que les événements qui se sont déroulés dans certaines petites villes qui ont des problèmes économiques graves au Maroc ont été attisés par des agents algériens. Il y a une volonté de déstabilisation constante du Maroc par le régime algérien. 

On a l’impression que ce régime, qui est au bord de la faillite, n’a qu’une obsession, c’est d’embêter le Maroc. Mais si le Maroc est attaqué, il se défendra et il gagnera, puisqu’il a toujours gagné. Ce fut le cas en 1963, en 1975 et dans les années 80 aussi.

On comprend aussi, dans votre analyse, que le pouvoir algérien n’a plus rien à perdre…

Le régime est à bout de souffle et il a volé son pays d’une façon que l’on ne peut pas imaginer ! L’Algérie avait trois ans de réserves financières et, depuis la chute du prix du baril, ilsn’y a plus aucune réserve. Aujourd’hui, l’Algérie va devoir se réendetter. Soit ce régime s’en va, en laissant la porte à une nouvelle Algérie qui pourrait se développer, ce que tout le monde souhaite, soit ce régime va s’enfermer dans l’aventure et dans le jusqu’au-boutisme, avec tous les dangers que cela comporte. Vous avez un pays où 80 % des jeunes sont au chômage, cela veut dire pratiquement tout le monde… C’est un pays où il n’y a pas de perspectives d’avenir et où chaque jeune Algérien n’a qu’une idée, c’est de traverser la mer pour aller en France, en Belgique, au Canada, en Australie, ou sur la Lune… Mais n’importe où, sauf en Algérie ! C’est un fiasco total. 

Le problème, lorsque vous avez un état prédateur, c’est qu’il peut se lancer dans n’importe quelle aventure. Souvenez-vous des élections qui avaient donné une majorité au parti islamiste, qui n’était pas un parti terroriste, et qui ont été cassées par l’armée qui a déclenché une guerre civile artificielle qui a fait 200 000 morts. Le régime algérien est prêt à se battre jusqu’au dernier Algérien pour rester au pouvoir et il se fiche qu’il y ait encore 200000 ou 400000 morts, du moment qu’il reste au pouvoir… D’ailleurs, on sent les prémices de la fin, puisqu’il y a de plus en plus de ministres et de cadres algériens qui achètent des appartements à Paris. En plus, ils mettent leurs enfants dans des écoles catholiques privées… On voit à peu près la sincérité de ces gens-là.

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