Certains politiciens et des économistes ne cessent de se référer à la notion de « modèle » en matière de développement économique : modèle asiatique, modèle allemand, modèle nordaméricain, etc.
L’idéologie qui fonde cette imitation est l’adhésion aux principes du libéralisme qui serait le meilleur des systèmes parce qu’il aurait triomphé de son concurrent communiste. On notera que personne ne s’interroge que l’une des dernières puissances gouvernées par un régime communiste, le Chine est précisément la plus libérale en matière économique. Cela prouve en tout cas que le totalitarisme politique peut faire bon ménage avec l’idéologie libérale qui est l’alpha et l’oméga du mythe de la mondialisation.
Outre le fait que la notion de modèle est sujette à caution, il faut bien constater que le système libéral va à l’encontre du bien commun et ne favorise pas un développement équilibré c’est-à-dire à la fois économique et social.
-I- L’État créateur
Si nous prenons l’exemple de la France, nous devons bien admettre que l’État a toujours été à l’origine des grandes évolutions politiques, diplomatiques, culturelles, économiques. Notre modèle commun c’est un État-nation créateur, entrepreneurs, au service du bien commun. Si l’on veut absolument une référence, notre modèle est celui d’un colbertisme éclairé par cette règle essentielle posée aussi bien par le Catholicisme exposé par Thomas d’Aquin que par l’Islam : l’État est au service du bien commun.
- Au service du bien commun c’est-à-dire de toute la société et non de telle ou telle catégorie particulière.
- Au service du bien commun c’est-à-dire à l’opposé la ligne de l’idéologie individualiste libérale qui n’est rien d’autre que la loi du libre renard dans le libre poulailler.
On découvre aujourd’hui les conséquences de plus en plus déplorables de l’ultralibéralisme dans la dégradation de vie du plus grand nombre avec une fracture sociale qui ne cesse de se creuser, non seulement entre pays riches et pays pauvres, mais également dans les pays prétendument développés où les nantis le sont de plus en plus et la classe moyenne ne cesse de s’appauvrir.
Qui pourrait sérieusement croire que les intérêts particuliers peuvent sérieusement générer un quelconque intérêt général ou même un minimum de stabilité économique et sociale ?
La réalité c’est que le laisser-faire conduit à l’anarchie, donc à la violence prédatrice du plus fort. À vrai dire, c’est l’État – l’État seul ! - qui défend le faible, garantit la sécurité, rend la justice, redistribue les richesses, préserve les solidarités essentielles, prend en charge les services publics.
C’est l’État qui fait passer de l’équité dans la vie des hommes, ce qui est, en fin de compte le but ultime de la politique. C’est pourtant cet État nécessaire et protecteur que s’emploient à démolir certains adeptes de l’ultralibéralisme. Ils répètent à qui mieux mieux qu’il faut réformer l’État, ce qui selon eux signifie le réduire.
Mais bien sûr on ne les entend jamais parler de réformer un système économique injuste et source d’une dangereuse instabilité sociale. Dans un ouvrage bavard et prétentieux, l’économiste Jean Tirole constate avec regret que l’économie de Marché, le système ultralibéral « n’a pas gagné les cœurs et les esprits ». C’est une évidence !
Le libéralisme reflète une idéologie totale dont le stade ultime est la globalisation. Cette idéologie tend à s’instituer comme un système cosmopolite s’imposant en tous lieux, sans tenir compte des spécificités des civilisations et des aspirations des citoyens. Il convient de garder ses distances critiques au regard de l’uniformisation, de l’hégémonie et du monopole que l’on veut nous imposer. Ainsi, l’ultralibéralisme dont on nous rebat les oreilles et qui est aujourd’hui l’idéologie dominante, n’est pas un bon modèle.
Ce système est d’ailleurs de plus en plus contesté par les peuples, l’exemple italien est là pour en attester. Ne nous trompons pas sur le sens du mot libéral. Libéral ne signifie pas avoir l’esprit ouvert, ni être soucieux des libertés et de la libre entreprise. Le libéralisme c’est tout simplement l’idéologie dont l’alpha et l’oméga est la prise en considération du seul intérêt individuel quantifiable et la reconnaissance de la suprématie des lois du Marché qui ne conçoivent l’homme que comme un simple homo economicus.
Le Marché n’a aucune raison de rechercher l’équité et la justice sociale. Ce n’est pas sa logique. En revanche, la politique a d’abord pour fonction de ramener au réel. Elle n’a pas pour objet d’obéir à de mystérieuses lois du Marché, elle ne doit pas servir les intérêts de groupes particuliers, les ambitions d’un parti ou les chimères des idéologues qui imaginent la « mondialisation heureuse » comme d’autre imaginaient on ne sait qu’elle « main invisible » qui ferait que l’ensemble des actions individuelles des acteurs économiques contribuerait au bien commun.
Tout cela n’est que baliverne bien propre à aggraver cette fracture sociale qui est le fléau de nos sociétés modernes.
-II- Un développement équilibré et équitable
Pour maintenir la paix sociale, la première règle est que la politique doit mettre en œuvre les moyens de faire prévaloir l’intérêt général et de réguler l’action économique. Il faut se méfier des slogans vides de sens comme « dépenser moins et mieux », « moins d’État » ou la « responsabilité sociales des entreprises » qui est une farce à l’heure des multinationales prédatrices.
L’État ne peut être réduit à un vague rôle de régulateur, il ne doit pas s’adapter à de nouvelles règles du jeu fixées par d’autres. L’État doit être stratège, arbitre, pourvoyeur d’emplois publiques et protecteur du service public face à une concurrence débridée qui ne peut être un absolu.
À vrai dire, seul l’État peut répondre aux grands défis : le chômage qui sera inexorablement aggravé par l’intelligence artificielle visant à remplacer l’homme par des robots ; la désindustrialisation et les délocalisations ; les problèmes climatiques ; la mondialisation qui est une catastrophe pour de nombreux pays.
Dans ces conditions, l’État ne peut évidemment se dessaisir de sa responsabilité d’être le premier fonctionnaire de la société au profit d’autorités administratives indépendantes ou d’institutions supranationales. Plus qu’un modèle économique, ce qu’il faut mettre en œuvre c’est un projet de société.
Les peuples ont besoin d’un développement équilibré et équitable.
Un développement équilibré et équitable c’est :
- un développement générateur de revenus et d’emplois, notamment au profit des jeunes ;
- un développement qui contribue à instaurer un climat de tranquillité et de stabilité,
- un développement qui favorise une insertion réussie dans la vie familiale, sociale et professionnelle. En vérité, l’économie ne peut être dissociée du social.
Dans ce contexte, l’environnement institutionnel est en tout point fondamental. Il ne faut pas moins d’État mais mieux d’État.
Un État efficace.
Ainsi l’administration ne doit pas s’effacer mais au contraire se renforcer. Mais en même temps il faut une administration plus efficace, plus moderne, davantage en phase avec les grands défis de l’époque et les aspirations des citoyens. Il faut une administration débarrassée de la corruption et de la routine.
C’est-à-dire qu’il convient de consentir un immense effort au profit de la formation des élus, des partis, des cadres administratifs. Et, à la base, il est bien sûr nécessaire de renforcer l’efficacité du système éducatif. Il faut aussi que les acteurs politiques soient sains et indépendants, insensibles aux calculs électoraux à courte vue, aux pressions, aux brigues de toute sorte, aux groupes d’influence plus ou moins occultes, à toutes les machines à magouiller.
En conclusion, il faut bannir l’idéologie et, au contraire, faire montre de réalisme, d’imagination et de créativité. On peut affirmer qu’il n’y a pas de solutions toutes faites, car c’est le rôle des acteurs nationaux d’œuvrer à la mise en place d’un modèle conforme à l’intérêt national et aux spécificités d’une nation. Ainsi, il est indispensable d’écarter tout système rigide et le mythe de modèles importés.
Au contraire, l’enjeu consiste à faire surgir un modèle pragmatique et empirique, capable de s’adapter aux évolutions. Et ce modèle doit être impulsé par une vision claire et à long terme. À l’exception de pays bénéficiant d’une monarchie agissante, comme le Maroc, c’est sans doute ce qui manque le plus à la plupart des régimes politiques qui ne se fondent pas sur la durée mais plutôt sur l’éphémère et les calculs à courte vue.
Dr Charles Saint-Prot,
Directeur général de l’OEG