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Anderson Braga Horta, dont j’ai traduit quelques œuvres afin de remplir cette fâcheuse lacune transatlantique, est un vrai patriarche de la poésie brésilienne. Né en 1934, dans la petite ville de Carangola située au cœur même du Brésil, et diplômé de la Faculté Nationale de Droit à Rio de Janeiro, ancienne capitale du pays, il habite depuis 1960 Brasilia, sa capitale actuelle. Il a déjà publié une bonne vingtaine de recueils poétiques (hormis plusieurs récits et nouvelles, essais, traductions, etc.) et, remontant ses débuts littéraires aux années 1950, il n’en est pas moins créatif par le temps qui court.



Moi, j’ai un rêve.
Un rêve grand et beau
comme la vie.
Et je l’agiterai, mon saint drapeau,
devant la face de la mort.

Car j’ai un rêve… Pour les partisans
de la mort, pour les profiteurs
de la mort, pour les fabricants
de morts, pour les marchands
de morts, ce sera bien un coup d’épée,
mon rêve.

Ne m’offrez la couronne impériale
ni ne me couvrez de lauriers.
Moi, j’ai un rêve.

L’homme qui a un rêve
est plus puissant qu’un empereur,
est plus fort qu’un héros,
est plus beau qu’un poète.

Mais moi
qui ne suis ni puissant,
ni fort,
ni beau,
moi, j’ai un rêve !

Oui, j’ai un rêve.
Je ferai des discours démagogiques,
j’écrirai des poèmes illogiques,
je posterai des lettres diffamantes,
je chanterai des chansons larmoyantes,
je serai mendiant, esclave et clown
pour que mon rêve vienne à triompher.

Car j’ai un rêve… Croyez-moi, adorateurs
de la Fortune, bénéficiaires
de la Force, idiots de la Répression
du Verbe, vous qui, par convention
ou faute d’inspiration, n’avez plus d’empathie,
vous, solitaires de l’Effroi,
larrons du Vice : j’ai un rêve !

Et, dans mon rêve,
la Terre est bleue et verte,
et l’homme a la couleur de sa belle âme.

Dieu me pardonne, j’ai un rêve !
Et, dans ce rêve, l’homme est au-dessus
des contingences, l’homme est au-dessus
de sa douleur et du dollar vorace,
de ses stigmates et de tout sigma,
de sa faim, de sa fange et de sa race,
l’homme est plus grand que le grotesque et le sublime,
l’homme est plus fort que toutes les désagrégations,
toutes les dégradations et toutes les ruines.

Moi, j’ai un rêve.
Et, puisque j’ai un rêve,
je suis un Homme.

Ses poèmes les plus connus et les plus significatifs ont pour protagoniste l’homme vu sous ses aspects transcendantaux, un homme qui ne se contente de satisfaire ses besoins matériels ni ne se limite somme toute à son état physique. Le corps de cet homme est si fragile que la moindre adversité, la moindre pression externe, peuvent le réduire à néant, mais « sa tête chante », son esprit s’oppose à l’omnipuissance de la mort pour déclarer avec un orgueil presque insolent : « Moi, j’ai un rêve. Et, puisque j’ai un rêve, je suis un Homme ». C’est de ce rêve libre et audacieux que vient sa poésie, tantôt sublime comme un « battement du pouls intemporel de ce qui existe et de ce qui reste occulte », tantôt bien terrestre, émanée des triviaux « bulbes et tubercules » d’un potager, cette « explosion contrôlée » qui lui promet l’immortalité, sinon de son essence humaine, tout au moins de ses idées singulières, puisées à la source « où l’on puise sa soif .

Anderson Braga Horta ne plaisante jamais avec qui montre de l’intérêt pour les siennes : toujours sérieux dans ses recherches spirituelles, quelque utopiques qu’elles paraissent au premier abord, il se rapproche de la tradition lyrico-philosophique suivie par Augusto Frederico Schmidt, Carlos Drummond de Andrade et d’autres grands auteurs du passé. Il parle de questions universelles, mille fois discutées par des poètes et pourtant renouvelées à chaque trait de leur plume, et cela rend ses textes intelligibles dans n’importe quel idiome et sous n’importe quelle latitude. »

Traduction François Olègue
François Olègue est poète, essayiste et traducteur multilingue. Il habite au Brésil et écrit autant en français qu’en portugais. Sa personnalité cosmopolite se révèle dans ses tentatives de réconcilier les traditions littéraires de l’Amérique latine avec celles du monde francophone.

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