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Parmi les contributions déposées au Cabinet Royal à Rabat, au début de l’été 2019, dans le cadre de l’appel du Souverain à une réflexion nationale sur la nécessaire rénovation du modèle de développement du Maroc, dépassé par les évolutions à tous les niveaux, figure celle du «Mouvement Damir », créé par le poète, acteur politique et associatif Salah El Ouadie et bien d’autres intellectuels, militants associatifs et des droits humains. 

Ce mémorandum de quelques 120 pages, porte le titre volontariste et engageant suivant : « Le Maroc que nous voulons ...». Selon ses rédacteurs (Salah El Ouadie, Ahmed Assid, Mohamed Benmoussa, ces derniers étant vice-présidents du Mouvement), au nom du collectif après maintes rencontres de réflexion, de panels, d’apports des uns et des autres, le mémorandum élaboré n’est «ni un rapport, ni une étude, ni même un inventaire de mesures dans lequel, il serait possible de puiser à sa guise, mais un ensemble qui se veut cohérent, déclinant une vision globale du modèle de développement et articulant des principes, des projets et des recommandations en totale indépendance ». 

Cette contribution citoyenne s’inscrit dans une démarche particulière. Elle ne se base pas uniquement «sur des considérations technicistes ou sur de simples données chiffrées hors des dimensions sociale, politique ou culturel…en somme sociétales ». De même, ne voulant tomber ni dans la complaisance béate, ni dans la dépréciation ou dénigrement systématique, elle se propose d’évaluer aussi bien les réussites et avancées réalisées, que les échecs constatés et les blocages qui persistent, l’objectif étant d’ouvrir des voies sur l’avenir avec l’implication du plus grand nombre de citoyennes et de citoyens, toutes sensibilités confondues. 

Structuration de l’analyse 
Après le rappel du contexte général, à savoir notamment l’appel royal à mener cette réflexion nationale dans le cadre d’une démarche inclusive et critique constructive, « en appelant les choses par leur nom, sans complaisance ni fioriture, et en proposant des solutions innovantes et audacieuses » (message du Roi Mohammed VI adressé le 19 février 2018, au troisième Forum parlementaire sur la Justice sociale), le document du Mouvement Damir, expose les raisons profondes qui motivent cette nécessaire réforme.

Suite à cela, un diagnostic est entrepris, mettant en relief quelques principaux indicateurs pouvant éclairer la situation aux plans institutionnel, politique, sociétal, économique.

Partant de cet état des lieux, la vision prospective est développée en un plaidoyer sous forme d’un trépied : pour un Maroc moderne, une société plurielle, une économie prospère et juste, avec des recommandations et préconisations dans chacun de ces grands domaines, dans le cadre d’une forte articulation. 

En vue de compléter cette première version, en comblant notamment certains oublis, traitements très partiels ou pas suffisamment documentés, en affinant l’analyse et les préconisations, le Mouvement Damir a procédé, dans une démarche d’ouverture et d’inclusion, à une large diffusion de son document pour lui insuffler une plus-value, faire la pédagogie de la réforme souhaitée et surtout susciter le débat pour aller de l’avant.

C‘est là, de notre point de vue, une preuve à la fois d’humilité, d’honnêteté intellectuelle et d’efficacité, puisque le Mouvement est disposé à refondre sa copie avant de remettre la version définitive à la commission spéciale, en l’enrichissant et en la réajustant, après des rencontres à organiser dans plusieurs régions du Maroc (et peut-être même à l’étranger, auprès de la Jaliya, en fonction des moyens mis par son partenaire, la Fondation Friedrich Naumann) afin de recueillir le ressenti et les propositions. Le premier panel a eu lieu à Casablanca le 7 décembre 2019.

Dans cet esprit, nous donnerons à la fin de l’article le lien à l’intégralité du mémorandum, d’un grand intérêt en soi, au niveau de la méthodologie et de la démarche, mais une grande interrogation demeure que l’on ne peut éluder, même si elle a été reconnue par les animateurs du Mouvement. 

Si le dossier de la communauté marocaine établie à l‘étranger est pourtant multidimensionnel et d’un intérêt stratégique national évident, pouvant être évoqué à chaque grand axe du mémorandum (état des lieux, volet politique et institutionnel, volet social, éducatif et culturel, volet économique), voir même à divers moments de l’analyse, il est surprenant de constater que le mémorandum n’a nullement abordé et d’aucune manière la question de la communauté marocaine établie à l’étranger, de son statut, de ses fonctions et de la place que doivent avoir ses droits (et ses devoirs) dans le cadre du nouveau modèle de développement du Maroc. Le constat de carence peut s’étendre, hélas, à bien d’autres contributions dont l’essentiel a été rendu public. 

L’impératif du développement démocratique et sans exclusion des citoyens MRE 
En effet, la rénovation de ce modèle de développement pour le Maroc, doit se baser impérativement sur la démocratie, et celle-ci ne peut nullement s’accommoder de l’exclusion des citoyens MRE du parlement marocain et de la discrimination politique dont ils font l’objet en pratique en la matière, en dépit de la Constitution rénovée de 2011, et plus avant du discours royal fondateur du 6 novembre 2005. 

Raison de plus pour que la société civile MRE, exprime ses préoccupations et attentes, -même si elle est fatiguée et lassée de les porter depuis bien longtemps et sous diverses formes sans réponse concrète-, en participant largement à ce débat citoyen, qui est de la plus haute importance pour l’avenir du pays. De notre point de vue, telles que nous avons pu le développer partiellement dans le débat organisé à Casablanca le 7 décembre 2019, «le Maroc que nous voulons », doit concerner et impliquer aussi les Marocains résidant à l’étranger en tant que citoyens à part entière, avec leurs obligations, mais également leurs droits multidimensionnels par rapport au Maroc, dont le droit à la participation politique et à la représentation parlementaire à Rabat. 

Nous renvoyons ici à la partie de notre livre (datant du 15 juillet 2019) ayant fait l’objet d’une édition spéciale par WakeUp Info et intitulée «quatorze préoccupations et interpellations centrales » (en date du 20 Octobre 2019). 

Si à la page 61 du document en français, le mémorandum Damir propose de réduire le nombre de sièges à la Chambre des représentants de 395 à 300 membres pour «attribuer les moyens supplémentaires aux députés pour faire leur travail de législation et de contrôle », ceci veut dire que les citoyens marocains résidant à l’étranger sont exclus. Normalement, le nombre de sièges de députés devrait être déterminé de manière égalitaire sur le même critère démographique que pour ceux à l’intérieur du Maroc. Si le nombre de sièges pour les citoyens MRE est à discuter, devant faire l’objet d’un consensus parlementaire lors du débat sur le code électoral et la révision de la loi organique relative à la Chambre des représentants, par contre une contribution à cette réflexion collective sur le nouveau modèle de développement, a déjà proposé le chiffre de 10, ce qui, de notre point de vue, est un strict minimum. 

Position avancée de l’Institut Amadeus 
Il s’agit du mémorandum « 100 propositions pour un modèle de développement national durable, juste, inclusif et innovant » élaboré de manière participative par l’institut Amadeus (Juillet 2019, 108 pages) qui a suggéré ce chiffre de 10 par le biais de circonscriptions électorales législatives de l’étranger, ventilées comme suit :
  • Circonscriptions Amérique et Caraïbes
  • Circonscription Europe du Sud (2 députés) 
  • Circonscription Benelux et Grande-Bretagne.
  • Circonscription Europe du Nord et Europe de l’Es 
  • Circonscription Afrique du Nord et Moyen-Orient (2 députés) 
  • Circonscription Afrique subsaharienne (2 députés) 
  • Circonscription Asie Pacifique.
Ce chiffre est pratiquement similaire à celui avancé par le groupe parlementaire de l’USFP durant la dernière législature, sauf que dans cette proposition de loi datant de février 2014, les critères justifiant ce chiffre, n’étaient nullement précisés par le groupe ittihadi à la Chambre des représentants. Au même moment, le groupe parlementaire istiqlalien, avait proposé 30 députés, ce qui avait été considéré comme «disproportionné», voir même comme une preuve de «surenchère politicienne» par certains observateurs, voir même certains responsables institutionnels, alors qu’il s’agissait d’un chiffre fixé objectivement à partir de critères démographiques, avec en plus, une cohérence avec la proposition de loi istiqlalienne concernant l’opérationnalisation de l’article 163 de la Constitution, relatif à la mise en place du CCME (Conseil de la communauté marocaine à l’étranger) constitutionnalisé.

Clarifions de manière nette une chose. Bien qu’ayant été programmées avec un début de présentation au sein de la Commission de l’Intérieur à la Chambre des représentants, ces propositions de loi (ainsi que celle du PJD), n’ont pas connu le débat nécessaire en commission pour parvenir à un chiffre consensuel. La raison essentielle provenait du fait que le gouvernement Benkirane II refusait le principe même de la représentation parlementaire des citoyens MRE à partir de circonscriptions électorales législatives de l’étranger et maintenait, pour les législatives 2016, le vote des MRE par le biais de la procuration pour le vote qui n’avait lieu qu’au Maroc même, le ministère de l’Intérieur invoquant tour à tour l’incompatibilité du vote législatif MRE dans les consulats et ambassades avec l’article 17 de la Constitution (!!!), puis « l’impossibilité d’organiser le vote de 800.000 Marocains (binationaux) vivant en Israël » !!! 

S’agissant maintenant du volet immigration étrangère au Maroc, la remarque du mémorandum Damir sur le « regard condescendant de la société sur les migrants»(page 32) est pertinente, nécessitant à notre sens tout un travail de sensibilisation et de pédagogie (à travers notamment le système éducatif et les médias surtout audio-visuels) pour la pleine réussite de la « Nouvelle Politique Migratoire du Maroc » impulsée par le Souverain depuis l’automne 2013, ayant pour but ultime, au-delà de la régularisation administrative, condition incontournable, l’insertion harmonieuse des immigrés dans le cadre d’un projet de société moderniste, qui demande l’implication de tous. 

C’est à cette même page 32 que le Mémorandum, dénonçant le regard condescendant de la société sur les migrants, relevait un paradoxe : «…ce qui est regrettable pour un peuple de tradition nomade disposant d’une grande communauté nationale installée depuis des décennies en Europe, en Amérique du Nord ou dans les pays du Golfe ». Mais en dehors de ce passage, rien sur les Marocains résidant à l’étranger…

Une vision ultra-sécuritaire 
Par contre, une recommandation figurant à la page 73, a fait, de notre point de vue, l’objet d’une écriture pour le moins très rapide, à mille années-lumière d’une démarche en termes de droits humains, qui constitue portant la trame générale du mémorandum. La voici : «ceux qui n’ont pas vocation à s’intégrer (!!!) doivent être reconduits sans délai vers leur pays d’origine pour qu’ils ne viennent pas alimenter l’immigration clandestine et amplifier la misère sociale dans notre pays » (!!!) 

La même formulation est confirmée à la page 118 de la version en arabe du mémorandum :
أما الأجانب اللذين لا قابلية لهم للاندماج، فيجب ترحيلهم توا الي بلدانهم الاصيلة كي لا يوسعوا دائرة الهجرة السرية ويعمقوا العوز الاجتماعي في بلادنا… 
C’est là, de notre point de vue, une démarche sécuritaire pure jus que l’on aura peine à ne pas retrouver parmi les partisans en Europe d’une gestion la plus musclée et autoritariste de l’immigration étrangère. 

Avant que n’aient eu lieu au Maroc les deux grandes opérations de régularisation de la situation administrative de quelques 50. 000 immigrés en situation administrative irrégulière, certains partisans de la méthode forte pouvaient prétendre que ces immigrés n’avaient pas «vocation à s’intégrer» ! 

Enfin de compte, le lecteur-citoyen MRE gagnerait, non pas en se contentant de cette brève présentation ou lecture du document, mais en prenant directement connaissance à travers une lecture approfondie de l’ensemble du Mémorandum de Damir, sachant par ailleurs que tout ce qui intéresse le Maroc dans son ensemble, intéresse aussi les Marocains de l’extérieur, indépendamment de leurs spécificités et de leurs propres attentes et aspirations dans tous les domaines. 

Ouverture bienvenue de la CSMD aux citoyens MRE 
Par ailleurs, nous nous réjouissons vivement du fait que, dans le point de presse organisé le 8 décembre 2019 à Rabat, Chakib Benmoussa, président de la commission sur le modèle de développement marocain (et qui reste ambassadeur du Maroc en France, tout en assurant la présidence et le pilotage de la CSMD au Maroc qui rendra son rapport fin juin 2019 au Souverain), ait annoncé le fait que celle-ci comprendra également des Marocains établis à l’étranger. Sur ce point, espérons que le choix des membres ne se limitera pas à l’hexagone, mais qu’il s’étendra aux autres grands pays d’immigration marocaine, en tenant compte là aussi, du genre, de la diversité des profils, des compétences et du pluralisme des sensibilités existantes. 

Ce serait de bonne augure pour la prise en compte de la communauté marocaine résidant à l’étranger comme partie intégrante et indissociable de la nation marocaine, indépendamment des spécificités et particularités de ses membres dans les pays d’immigration, l’article 16 de la Constitution de 2011 reconnaissant, rappelons-le, la double citoyenneté, avec ce que cela suppose comme devoirs, mais aussi comme droits par rapport au Maroc, dont encore une fois et encore, les droits politiques pleins et entiers, sans restriction aucune. 

Sur ce dernier point, très important et sensible et en liaison avec la méthodologie de travail de la commission (CSMD) et de ses attributions, nous souhaiterions que la CSMD tire quelques enseignements de l’expérience de la commission nationale de révision de la Constitution en 2011. Le fait d’avoir responsabilisé le président du CCME (qui était membre de la commission) et certains membres de cette même commission qui étaient proches du Conseil, de tout ce qui touchait au dossier multidimensionnel des MRE, a eu un effet négatif en matière de communication de la société civile MRE qui était empêchée d’entrer en contact avec les autres membres de la commission pour leur présenter leurs mémorandums. Tout comme cette division du travail a laissé pratiquement carte blanche à ce «lobby » pour proposer une formulation très ambiguë de l’article 17 de la Constitution. 

En d’autres termes et de notre point de vue, il ne serait pas souhaitable que la CSMD revienne vers le CCME pour un quelconque «avis » ou «arbitrage » notamment sur la participation politique, la représentation parlementaire des citoyens MRE et le mode de composition du futur CCME (article 163 de la Constitution). L’expérience de l’existence du CCME depuis 12 ans, a montré que les responsables de ce Conseil n’ont pas assumé le cahier de charge les concernant. Toute leur action sur ce plan était orientée au contraire vers la non-effectivité des droits politiques des citoyens marocains à l’étranger par rapport au Maroc. 

Ce souhait est exprimé en liaison avec les propos tenus par le président de la CSMD s’agissant de la méthode de travail de cette commission. Comme le rapporte en effet le journal «Le Matin du Sahara » (9 décembre 2019), relevons que lors de sa rencontre avec la presse, Chakib Benmoussa a déclaré à propos des libertés individuelles que le Maroc dispose de plusieurs instances d’arbitrage, en ajoutant : «il est possible que sur certains sujets, la commission renvoie tel ou tel sujet à l’instance la mieux indiquée pour se prononcer, sachant qu’il n’y a aucun sujet tabou ». 

En l’état actuel des choses, le CCME ne semble pas en tous les cas, l’instance la plus appropriée «d’arbitrage » concernant les droits politiques par rapport au Maroc des citoyennes et des citoyens marocains établis à l’étranger. Pour le principe, la Constitution et plusieurs discours royaux sont déjà là. S’agissant des modalités pratiques de concrétisation du droit à la participation politique et à la représentation parlementaire des citoyens MRE, les responsables du CCME n’ont nullement remis au Souverain l’avis consultatif en la matière, pour lequel ils avaient été notamment responsabilisé lors de leur audience de nomination il y’a 12 ans, comme le montre le communiqué du Cabinet Royal rapporté par l’agence officielle MAP en date du 21 décembre 2007.
Rabat, le 9 décembre 2019 


Abdelkrim Belguendouz 
Universitaire à Rabat, chercheur en migration




 
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