Les traits d’une diaspora sont au nombre de quatre : la mémoire et la conscience d’une condition sociale incertaine, instable, précaire, sinon dangereuse, et la volonté de conjurer ce sort; la transmission organisée et parfois la réinvention de cette mémoire collective par des élites (écoles, journaux, associations, institutions religieuses et autres) ; la multiplicité de foyers d’expression culturelle, décentrés ; et des moyens économiques et culturels pour maintenir un réseau multinational de liens entre ces foyers.
Autant de traits pointés pour définir les diasporas historiques et que la prise en considération d'autres populations dispersées par la violence, travailleurs chinois et indiens déplacés vers les colonies européennes, émigrés miséreux irlandais, italiens, scandinaves, allemands, descendants d'Africains esclaves, n'invalide en rien. Ces cas montrent au contraire comment une construction diasporique peut ne durer qu’un temps ou ne jamais apparaître par manque de ressources pour créer un réseau d'institutions dans le cas des coolies chinois et indiens déplacés au 19ème siècle, par recouvrement en Amérique du Nord des immigrations européennes pauvres par des institutions et hiérarchies religieuses nationales, ou encore par indifférence ou refus de mémoire de la majorité des Noirs américains qui préfèrent une mobilisation religieuse ou politique nationale pour avancer leur statut au sein de la société américaine. Si cette acception de la diaspora comme réplique organisée à la dispersion forcée et au risque de déni d'existence et comme forme communautaire nécessitant des ressources matérielles et culturelles, détient quelque validité, les conditions socio-historiques de dispersion brutale de populations ne peuvent être oubliées.
Dans l'histoire, les diasporas proviennent des zones de rivalité entre des puissances, Asie Mineure, Caucase et Moyen Orient (Grecs, Juifs, Arméniens, Assyriens, Parsis) et Inde, Asie du Sud-Est et Chine du Sud (Chinois, Indiens). Elles sont nées de l’expansion de ces puissances, de la multiplication des voies et zones d’échanges entre elles, de leur affrontement et de leur déclin. On pense aux conquêtes ou déclins des Empires assyrien, perse, romain, arabo-musulman (du Moyen-Orient à l’Espagne) pour les Juifs, aux Empires ottoman et russe pour les Arméniens et les Grecs (ère moderne) et aux Empires coloniaux du 19ème siècle, espagnol, hollandais, britannique, français, pour les Africains, les Indiens et les Chinois (Amériques, Antilles, Mascareignes, Asie du Sud-Est).
Depuis un demi-siècle, notamment comme conséquence de la Guerre froide dans le Tiers Monde, épurations ethniques, déplacements forcés de population, destruction de territoires et génocides sont des réalités constantes. En sus, depuis les années 1980 la multiplication des échanges, la facilité des communications et la violence de conflits ethniques et nationalitaires sembleraient induire la formation de nouvelles diasporas et la mondialisation financière, économique et culturelle en réduisant le rôle et la souveraineté des États et en tribalisant les sociétés démocratiques favoriserait la formation de diasporas pour certains [Barber, 1996] De fait les cas potentiels de formation de diaspora sont légion mais les cas actualisés rares.Nombre de populations ayant subi une dispersion massive et violente n'ont pas créé de diaspora. Il suffit de penser aux Tartares de la Volga et de la Crimée, aux Khmers, aux Hmong et Vietnamiens (3 millions), aux Afghans (plus de 6 millions de réfugiés), aux Bosniaques (1520000 réfugiés dont 700000 en Europe), aux Tutsis du Rwanda (800000 assassinés, 1 million de réfugiés), aux Kosovars (400000 réfugiés) [Ogata, 2005] ou encore aux Kurdes.
Toutes présentent un trait commun, l'absence des ressources nécessaires à la constitution d'une diaspora alors qu’un flux migratoire confirme l'importance des ressources autant matérielles qu'humaines pour devenir diasporique, celui des Sikhs militant pour la création d'un Khalistan. Ils disposent d'amples moyens financiers et intellectuels pour reconstruire une mémoire d'expulsion et étendre des réseaux.
Auteur : Denise Helly
Institut National de Recherche Scientifique