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L'Occident est plongé dans une « guerre des masques », où des pays voisins et alliés, et même divers paliers de gouvernement aux États-Unis, se battent entre eux pour en acheter, ce qui donne lieu à des accusations de « piraterie moderne ». Mais cette lutte est contre-productive, affirment des experts.

Le pays le plus souvent accusé de saper les efforts de ses alliés dans le cadre de cette « guerre des masques » sont les États-Unis, qui non seulement ont tenté de faire cesser les exportations de masques respiratoires N95 de fabrication américaine vers le Canada et l'Amérique latine la semaine dernière, mais qui sont aussi accusés d'avoir coupé l'herbe sous le pied de pays européens en rachetant leurs cargaisons sur des pistes d'atterrissage d'aéroports chinois, et ailleurs dans le monde.

Devant cette pandémie mondiale, cet empressement de certains pays fortunés fait sourciller dans les régions moins bien nanties de la planète, où les systèmes de santé déjà moins bien équipés se préparent à l'arrivée de la maladie.

Il est normal que les pays prennent d'abord soin de leurs citoyens, estime Roland Paris, professeur en relations internationales à l'Université d'Ottawa, et ancien conseiller du premier ministre Justin Trudeau en matière d'affaires étrangères.

Mais l'égoïsme et l'absence de coordination entre les pays nantis sont frappants, dit-il. Plutôt qu'avoir une réponse internationale, nous voyons malheureusement une ruée pour accaparer tout ce qui est disponible, et au diable les autres.

Relations canado-américaines mises à mal
La décision du président américain Donald Trump d'invoquer le « Defense Production Act » pour forcer le fabricant 3M à ne produire des masques que pour les États-Unis a pris le Canada de court.

Depuis la fin de la semaine dernière, le premier ministre Justin Trudeau assure que des discussions sont en cours avec les autorités américaines, à divers paliers, pour s'assurer que le Canada reçoive suffisamment de masques pour éviter que les provinces tombent en pénurie.

Lundi matin, cependant, le premier ministre ontarien, Doug Ford, a indiqué que sa province n'avait plus que pour huit jours de fournitures médicales, et qu'une cargaison en provenance des États-Unis avait été arrêtée à la frontière par les autorités américaines.

De l'autre côté de l'Atlantique, des pays européens ont fermé leurs frontières, comme l'Italie et l'Allemagne, ce qui a entraîné l'annulation de commandes d'équipement médical destiné à d'autres nations.

Parmi les autres exemples, des responsables soutiennent que 200 000 masques destinés à la police berlinoise ont été interceptés à Bangkok, en Thaïlande, pour être redirigés vers les États-Unis, ce qui a poussé le ministre allemand de l'Intérieur, Andreas Geisel, à parler de « piraterie moderne ».

Les détails de l'affaire demeurent cependant flous, et l'entreprise concernée, 3M, dit qu'il n'y a eu aucune malversation. Le président Trump soutient, lui aussi, qu'il n'y a eu « aucun acte de piraterie ».

Aux yeux du maire de Berlin, Michael Müller, M. Trump ne fait pas preuve de solidarité, et de tels actes sont inhumains et inacceptables. De son côté, le ministre brésilien de la Santé parle d'un problème d'hyperdemande.

C'est le moment de faire preuve de solidarité à l'échelle internationale et d'affirmer notre leadership, pas de nous isoler, a lancé pour sa part Brice de Schietere, chargé d'affaire de la délégation de l'Union européenne au Canada.

Et le vaccin?
Si la concurrence est aussi féroce pour de l'équipement de protection, que se passera-t-il lorsqu'un vaccin sera disponible?

Déjà, des médias allemands ont fait état de la tentative, de la part des États-Unis, de s'arroger les droits de distribution exclusifs d'un possible vaccin en développement dans les locaux d'une entreprise allemande.

À la mi-mars, Politico rapportait les dénégations de CureVac, l'entreprise en question. Le 17 mars, le vice-président Franz-Werner Haas soutenait qu'il n'y avait pas d'offre de la part du président Trump ou de toute autre organisation gouvernementale pour prendre le contrôle de la compagnie ou de réserver des capacités manufacturières pour assurer l'exclusivité de la production du vaccin pour le marché américain.

D'importants ministres allemands avaient toutefois confirmé l'existence d'une entente, tout comme le principal investisseur de l'entreprise, écrit encore Politico.

Avant même de disposer d'un vaccin, cependant, Sarah Cliffe, directrice du Center on International Cooperation de l'Université de New York, juge que l'approche égoïste pourrait nuire à l'aplatissement de la courbe de contamination et à la réduction de la dissémination du virus.

Si les pays sur la ligne de front ne reçoivent pas l'équipement nécessaire, il est probable que le virus se répande davantage à l'avenir.

Et malgré l'absence de collaboration, les pays touchés par la pandémie ont retenu la leçon : l'Espagne, avec plus de 130 000 malades et 12 000 morts, a établi un pont aérien avec la Chine, à raison de trois avions par semaine, pour se ravitailler en masques. Idem pour l'Italie, qui utilise ses avions militaires pour sécuriser ses cargaisons de matériel médical.

Toujours selon Mme Cliffe, la course aux masques fera en sorte que plusieurs pays réaliseront qu'ils ont fait une erreur en s'appuyant sur un seul fournisseur et ils voudront, à tout le moins, diversifier leurs sources d'approvisionnement pour éviter ce problème, à l'avenir.

Pour le Canada, dit Roland Paris, la triste leçon est que nous ne pouvons même pas faire confiance à notre plus proche partenaire. Pour le meilleur ou pour le pire, cette leçon influencera les prochaines décisions canadiennes en matière de chaînes d'approvisionnement et de réserves de matériel médical.



 
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