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Tout au long de l'été, nous vous proposons 3 articles fondés sur une fiction qui nous permet d'analyser la gestion et la communication de crise.C'est le propre des crises de ne pas être conformes aux prévisions.

Illustration avec ce scénario catastrophe qui relève pour l'instant de la fiction.
9 septembre 2023, 17 h 37. Un employé de maintenance nucléaire, Nicolas, s'apprête à quitter, fébrile, la centrale de Nogent-sur-Seine. Il vient d'apprendre que sa femme a perdu les eaux. Elle doit rejoindre au plus vite la maternité située à 65 km pour donner naissance à leur deuxième garçon. Après une courte hésitation, il coche la case « conforme » sur le formulaire du contrôle visuel effectué à la suite d'un arrêt du réacteur. Tant pis pour la rayure qu'il a constatée dans la cuve du réacteur n° 2, peu avant le coup de fil. Il ne peut pas se permettre de perdre des heures de vérifications avec ses supérieurs.

13 décembre 2023, 9 h 21. Des alarmes contradictoires se déclenchent en salle de contrôle de la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine et laissent supposer une fuite sur le circuit primaire de refroidissement. Ce scénario, les employés de la centrale le connaissent par cœur. Il a été simulé maintes fois lors des exercices. C'est l'accident le plus craint, il

"Au sein de l'équipe restée aux commandes, la peur est palpable. Un technicien émet un doute sur la nature de l'accident, se ressaisit aussitôt et se plie au diagnostic unanime."

peut conduire à la fusion du cœur. Le protocole d'intervention est suivi : le réacteur est immédiatement mis à l'arrêt, la centrale évacuée. Au sein de l'équipe restée aux commandes, la peur est palpable. Un technicien émet un doute sur la nature de l'accident, se ressaisit aussitôt et se plie au diagnostic unanime. La température commence à redescendre, le réacteur serait donc sous contrôle. Soulagement. Toutefois, les capteurs de radioactivité continuent d'être saturés. Pour l'ensemble des ingénieurs sur place, la nouvelle donnée contradictoire est certainement due à un dysfonctionnement des capteurs : le signal est ignoré.

"Confrontés à l'inconnu, nous tentons de superposer du connu."

Confrontés à l'inconnu, nous tentons de superposer du connu. C'est la conséquence de l'effet de sidération : dans les premiers instants, face à l'incompréhension d'une situation insensée, les refus vont jusqu'à l'aveuglement. Ici, les ingénieurs oublient que la température n'est pas mesurée à chaque endroit de la cuve. Ils n'imaginent pas qu'elle puisse être en train de rompre. Ce scénario est contraire à toutes les prévisions, une case aveugle, un rebondissement impossible. Face aux modèles, nous ne savons pas appréhender le réel lorsqu'il se produit. Dans cette fiction, le seul à imaginer une alternative la rejette pour se plier à la norme. Confrontés aux signaux contradictoires, à des stimuli qu'ils ne savent pas interpréter, les ingénieurs concluent que les capteurs sont en panne.

Or, c'est la cuve du réacteur qui est en train de céder. Dans quelques minutes, la France va vivre sa plus grande crise depuis la Seconde Guerre mondiale. Des milliers d'irradiés, une zone de 30 km de rayon rendue inaccessible pour des siècles, des produits agricoles français interdits à l'exportation, la fin de l'industrie nucléaire, le pays déserté de ses touristes.

Ce scénario peut paraître improbable, impossible. Mais c'est le propre des crises de ne jamais être conformes aux prévisions. Ce que nous décrit ce scénario catastrophe, c'est que l'on a beau tenter de maîtriser le système, la faille ou l'origine d'une crise peut provenir d'un contexte plus ou moins étendu.

Après la crise de Fukushima, chacun s'est interrogé sur le risque sismique pour l'écarter et rassurer les populations. C'est une erreur. On ne peut concevoir les risques uniquement sur la foi du passé, mais dans la complexité du présent. Ici, le malaise d'un employé soumis aux restructurations des services hospitaliers, ailleurs, la crainte du chômage et la précarité des prestataires : autant de facteurs échappant aux prévisions.

Enfin, dès que sont évoquées les conséquences, nous assistons au refus du pire : blottis dans nos croyances, nous ne pouvons pas imaginer l'effondrement brutal du pays comme un château de cartes. C'est pourtant dans un contexte de fragilités multiples que cette fiction se situe. Soutenue par l'émotion, l'aide internationale viendrait au secours des Français au début de la crise. Mais rapidement, la doctrine nucléaire de la France serait pointée du doigt et désignée comme arrogante par la communauté internationale.

Car l'arrogance fait le lit des crises, interdit de les penser, de les gérer. L'opinion publique demande des comptes, exige des réponses. Ce sera l'objet d'un prochain article : « Pourquoi communique-t-on si mal en situation de crise ? »


* Article paru dans La Croix, le 26 juillet 2011 dans la série "Un été dans La Croix. À l'épreuve des crises (1/3)"





 
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