Menu

News

Comprenant aussi des propositions concrètes alternatives, notre présente contribution au débat public pour l’action est une dénonciation de la manière opaque et sectaire dont a été formé et mis en place tout dernièrement à Rabat, le Comité National Marocain du Réseau Académique Nord-Africain sur la Migration (NAMAN). Les agissements étant dus principalement à la Direction de la coopération, des études et de la coordination intersectorielle, relevant du ministère délégué chargé des MRE, la contribution interpelle la hiérarchie de ce ministère délégué et celle du département dont celui-ci dépend, à savoir le ministère des affaires étrangères, de la coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger. La première partie a constitué un plaidoyer pour un agenda national de la recherche en migration, financé de manière interne pour répondre aux besoins nationaux. La seconde a montré que ce Comité National NAMAN, formé en catimini avec un esprit d’exclusion, était déjà cadenassé. Dans la troisième partie qui suit, nous montrerons que cette initiative est une anticipation du futur Observatoire National des Migrations que certains veulent maîtriser avec un esprit d’exclusion. 

Le statut du Comité National Marocain du Réseau Académique Nord-Africain sur la Migration (NAMAN) déterminant l'objectif global et les objectifs spécifiques, les activités, la composition et l’appartenance, la structure, le fonctionnement, les partenariats et l’évolution du projet, montre qu’on n’est pas en présence d'une initiative informelle mineure à sous-évaluer, mais d’un projet bien ciblé et structuré avec des enjeux très importants, que l’on veut maîtriser dès maintenant de manière sectaire. 

Entité formelle ou informelle ? 
Cependant, précisons ici que le caractère juridique de cette «entité » reste très floue. L’ambiguïté entretenue constitue elle-même un moyen d’instrumentalisation selon le cas. Si la hiérarchie demande des comptes, ou que des protestations voient le jour, on répondra que rien de « formel » n’est fait. Si des chercheurs souhaitent leur inclusion et implication, on invoquera les statuts. De même, lorsqu’il s’agira d’avoir officiellement un Observatoire National des Migration, on mettra en avant le caractère «formel » de « l’entité » déjà mise en place... 

Par conséquent, des interrogations majeures demeurent. Sommes-nous face une entité formelle ou bien à un espace informel ? Toujours est-il qu’il y’a un «statut » (a-t-il été déposé administrativement ou va-t-il l’être à très court terme ?) où l’on parle d’ « assemblée constitutive », d’ « adoption par l’assemblée constitutive », de réunion «ordinaire » et «extraordinaire »... L’entité est-elle une ONG car elle comprend également des institutions gouvernementales et para-publiques ? 

L’analyse attentive du «statut », montre que ce projet s’apparente plus à celui d’un observatoire national des migrations en gestation qui ne dit pas son nom, pour ne pas attirer l’attention, compte tenu des modalités opaques de sa composition et de son lancement, estimant au point 18.1, celui de la phase 1 ou phase de création, que « la détermination d’un statut juridique du comité (national), ne devrait pas constituer un handicap pour soutenir l’accomplissement de cette phase pilote » (...) « Les membres académiques et institutionnels sont appelés à identifier la forme juridique la plus appropriée vers laquelle le comité devrait évoluer » 

Selon le point 18.2 des statuts du Comité National, l’évolution de celui-ci verra notamment la forme juridique de sa structure, l’appellation à lui donner et la mise en place de structures de gouvernance du comité national. La phase 3.ou phase de maturation, se donne un objectif des plus ambitieux : «elle marque la réussite de cette initiative pilote notamment à travers sa duplication en tant que bonne pratique de gouvernance de la migration au niveau régional, continental et international » (!!!) 

Tout se passe comme s’il s’agit d’une manière de préfigurer et d’anticiper le futur Observatoire National des Migrations, qui serait le vis à vis pour le Maroc de l’Observatoire Africain des Migrations à mettre en place à Rabat, dès que la crise sanitaire du Covid-19 sera derrière nous, et alors que cet observatoire national doit être largement ouvert , dès le départ, à la société civile (ONGs de migrants, des droits humains, syndicats), aux chercheurs toutes disciplines confondues sur des critères objectifs et englober tous les départements ministériels, institutions publiques et organismes s’occupant de la migration au sens large. 

«Observatoires » existants dans le domaine migratoire 
En effet, jusqu’à présent, l’Observatoire National des Migrations relevant du ministère de l’Intérieur n’est pas fonctionnel, constituant une coquille vide et ne concerne que l’immigration étrangère au Maroc. Par ailleurs, le Haut-Commissariat au Plan (HCP), à travers notamment le CERED (Centre d’études et de recherche sur la démographie), ne peut être assimilé réellement à un observatoire national des migrations internationales, même si, de manière épisodique, des enquêtes en la matière sont menées ou des livres-rapports publiés. Précisons par ailleurs qu’un observatoire des migrations n’est pas une simple banque de données statistiques ou une agence statistique nécessitant seulement des statisticiens-démographes, mais ses missions sont multidimensionnelles, à l’image du caractère multisectoriel, multidisciplinaire et transversal du fait migratoire, nécessitant l’implication des divers pans des sciences sociales. 

La pratique de l’analyse des migrations, gagnerait en effet à se nourrir de l’apport spécifique et de l’échange de tous les savoirs en sciences humaines. Ceci suppose le recours à toutes les disciplines des sciences sociales en particulier, pour appréhender les diverses facettes de la migration, bien au-delà du quantitatif et des statistiques, déceler les tendances, prendre en compte la dimension développement sous tous ses aspects (pauvreté, aspects démographiques, changements climatiques...). 

De plus, avec ses pêchés originels, l’Observatoire de la communauté marocaine résidant à l’étranger (OCMRE), créé avec l’appui technique de lOIM en avril 2002 et dépendant de la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l’étranger, édite tous les quatre ou cinq ans, un livre sous le titre «Marocains de l’extérieur ». Mais l’OCMRE (tout comme la Fondation d’ailleurs) connaît divers dysfonctionnements et défaillances structurelles et ne couvre pas la totalité du champ migratoire international pour le Maroc, se limitant au champ MRE. 

Enfin, l’échec de l’étude IRES en 2012-2014 pour l’élaboration d’une stratégie nationale relative aux MRE à l’horizon 2030, et à laquelle ont collaboré aussi le ministère chargé des MRE, le CCME et la Fondation, n’a pas permis également de concrétiser la troisième phase de la deuxième période de l’étude, à savoir tel que précisé dans la note de cadrage de l’étude conçue par le ministère chargé des MRE : «concevoir et proposer le montage institutionnel et technique de l’outil de pilotage prospectif global : Observatoire de la Communauté Marocaine à l’Etranger ». 

Pour un Observatoire National des Migrations à la hauteur des ambitions du Maroc, relatives à l’Observatoire Africain des Migrations 
En somme, la nécessité se fait toujours sentir d’avoir un véritable observatoire national fonctionnel et efficient dans le domaine migratoire, embrassant tous les aspects et volets (Marocains établis à l’étranger, émigration du Maroc vers l’étranger et immigration étrangère au Maroc. Qui plus est, devrait être à la hauteur des ambitions du Maroc, relatives à l’Observatoire Africain des Migrations et à l’opérationnalisation de l’Agenda Africain des Migrations, à l’heure où il y a la prise en main par l’Union Africaine (UA) du dossier migratoire africain sous le leadership du Roi Mohammed VI, en tant que Leader de l’UA sur la Question Migratoire. 

A ce propos, relevons ici les principales missions suivantes de l’Observatoire Africain des Migrations rappelées dans le Rapport royal « Sur le suivi de la création de l’Observatoire Africain des Migrations au Maroc », soumis à la 32ème session ordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union Africaine tenue à Addis Abeba les 10-11 février 2019 : 
  • générer une meilleure connaissance du phénomène migratoire ; 
  • accompagner les politiques migratoires nationales ; 
  • améliorer la gouvernance des migrations ; 
  • fédérer les autres initiatives existantes en Afrique en matière de migration et partager les bonnes pratiques qui encourageraient l’harmonisation des approches liées à la migration ; 
  • développer, par voie de conséquence, une stratégie continentale plus efficiente et plus inclusive pour la gestion de cette problématique. 
Précisons à ce niveau, que peu nous importe l’enjeu de pouvoir pour savoir à quel département marocain doivent revenir les prérogatives d’un observatoire national des migrations. L’essentiel est qu’il y’ait un seul observatoire remplissant les critères requis et répondant aux besoins nationaux dans le domaine migratoire. Mais au même moment, il s’agit d’éviter le fait accompli ou la fuite en avant. Dès lors, il faut ouvrir au Maroc un débat sérieux pour connaître les tenants et les aboutissants de certaines options que certains cherchent à normaliser ou à imposer. 

Toujours est-il que ce n’est pas concevoir un observatoire fourre-tout que de l’envisager comme «composite », où les divers types et formes de migrations internationales pour le Maroc doivent s’y retrouver en observation, en ne perdant pas de vue, bien entendu, l’unité du mouvement migratoire dans son essence, indépendamment de la diversité de présentation. En d’autres termes, l’observatoire national requis, qui serait le correspondant national ou point focal pour le Maroc de l’Observatoire Africain des Migrations, devrait être de manière concrète un observatoire national de tous les types et formes de migrations internationales touchant le Maroc, incluant par conséquent non seulement les étrangers au Maroc et l’immigration étrangère vers le Maroc, mais également l’émigration vers l’extérieur (étrangers en transit par le Maroc et nationaux) ainsi que la communauté marocaine établie à l’étranger. 

Autrement dit, au lieu de procéder à une duplication institutionnelle, la conception de l’observatoire requis à l’échelle nationale, gagnerait à réussir la synergie, l’adéquation et l’articulation structurée que nous n’avons pas encore, pour aboutir pour le Maroc à une politique nationale globale, cohérente, intégrée, efficace et non cloisonnée dans le domaine migratoire au sens large. 

La balle est aussi du côté du Chef du gouvernement 
Voilà pourquoi, la future mise en place de cet observatoire national des migrations (encore une fois un seul et pas plusieurs), ne doit pas être la résultante d’un fait accompli à la hâte, d’un bricolage conceptuel préparé en cachette dans un esprit sectaire et d’exclusion, mais doit donner lieu à une réflexion méthodique ouverte et approfondie, dans le cadre de la commission interministérielle présidée par le Chef du gouvernement, chargée des affaires des MRE et des affaires de la migration. L’enjeu est trop important en la matière, non seulement à l’échelon national mais également à l’échelle africaine, pour le laisser à certaines combinaisons opaques. 

Dans cet esprit, la nécessité s’impose aussi d’être très vigilant politiquement et intellectuellement pour que la logique sécuritaire, très présente dans la démarche de l’UE et de l’ICMPD, ne prédomine pas dans la future démarche de l’Observatoire National des Migrations et par ricochet, dans celle de l’Observatoire Africain des Migrations, dont le siège est à Hay Ryad à Rabat, sachant par ailleurs que le projet NAMAN est régional, comprenant quatre autres pays africains (Libye, Égypte, Tunisie, Algérie). Pour le cas du Maroc, relevons tel que ceci est stipulé dans l’article 2 du statut du Comité National, les défis posés doivent amener à des actions sur le terrain visant notamment deux nécessités : «prévention de la migration irrégulière », «stabilité des faits migratoires », qui signifie garder les «sudistes » à la rive méridionale, mener une guerre contre l’immigration irrégulière, procéder aux expulsions, à la réadmission, aux retours systématiques «volontaires » ou forcés vers les pays d’origine... 

Sur ce plan, relevons cet aspect de la vision du Roi Mohammed VI, développé le 10 décembre 2018, dans le message à la Conférence Intergouvernementale sur la migration à Marrakech : 

« la question migratoire n’est pas et ne devrait pas devenir une question sécuritaire. Répressive, elle n’est nullement dissuasive. Par un effet pervers, elle détourne les dynamiques migratoires, mais ne les arrête pas. La question de la sécurité ne peut pas faire l’impasse sur les droits des migrants : ils sont inaliénables. Un migrant n’est pas plus ou moins humain, d’un côté ou de l’autre d’une frontière. La question de la sécurité ne peut pas davantage faire l’économie de politique de développement socio-économique, tourné vers la résorption des causes profondes des migrations précaires. Enfin la question de la sécurité ne peut pas nier la mobilité. Mais elle peut la transformer en un levier de développement durable, au moment où la communauté internationale s’emploie à mettre en œuvre l’agenda 2030 ». 

Rabat, le 4 juillet 2020 

Abdelkrim Belguendouz 
Universitaire à Rabat, chercheur en migration 

 
Top