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Gouverner par les Fake News - Conflits internationaux : 30 ans d'infox utilisées par les pays occidentaux.

Quels sont les faits qui permettent d'affirmer que l'État islamique cherche à créer une guerre civile en France ; que le président syrien Bachar Al-Assad a utilisé des armes chimiques ; que Vladimir Poutine tente de déstabiliser nos démocraties ; que le terrorisme a frappé la France, non pas pour ce qu'elle fait, mais pour ce qu'elle est ; que le génocide au Darfour a fait 400000 victimes ?... Littéralement aucun, mais ces affirmations suffisent à asseoir la politique étrangère des pays occidentaux.

L'auteur, ex-agent du service de renseignement stratégique suisse, passe ainsi en revue les principaux conflits contemporains, que les pays occidentaux ont géré à coups de fake news, ces trente dernières années. 

Jacques Baud, colonel, expert en armes chimiques et nucléaires, formé au contre-terrorisme et à la contre-guérilla, a conçu le Centre international de déminage humanitaire de Genève (GICHD) et son Système de gestion de l'information sur l'action contre les mines (IMSMA). Au service des Nations unies, il a été chef de la doctrine des Opérations de maintien de la paix à New York, et engagé en Afrique. À l'Otan, il a dirigé la lutte contre la prolifération des armes légères. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur le renseignement, la guerre asymétrique et le terrorisme.

Avant-propos
Mises bout à bout, mes notes et analyses établies en trente-cinq années passées dans le domaine de la sécurité internationale sur trois continents, au service de la sécurité et de la paix, dans des cadres nationaux et internationaux, auraient permis d'épargner un peu plus de 470 000 vies humaines. Mais on n'a rien fait ! La crainte de s'écarter des opinions dominantes, les préjugés, le refus de voir un problème sous un angle différent ont été des échappatoires commodes, cachant souvent l'incompétence et le manque de curiosité. C'est ce que l'on nomme « État profond » ou « État permanent » : une bureaucratie qui vit pour elle-même et cherche à satisfaire ses propres intérêts, au détriment de l'intérêt général.

En poste aux Nations unies et à l'Otan, j'ai côtoyé des militaires de tous pays durant plusieurs crises, sur le terrain ou au niveau des états-majors (au Congo, au Soudan, durant les crises libyenne, ukrainienne et syrienne). J'ai pu constater la faiblesse des échelons supérieurs de commandement : l'incapacité à comprendre la logique de l'adversaire, le déficit de culture générale, l'absence de sensibilité pour la dimension holistique des conflits, un manque total d'imagination pour trouver des alternatives à l'emploi de la force afin de résoudre des problèmes parfois simples, la lâcheté lorsqu'il s'agit de conseiller le niveau politique en se basant sur les faits et une absence presque totale du sens des responsabilités. Les guerres sont gagnées par des soldats, mais certainement pas par des généraux.

Les diplomates ne sont guère mieux. Généralement plus cultivés, ils sont souvent corrompus, manquent de courage et d'imagination. Enfermés dans une réflexion institutionnelle, ils partagent avec les militaires l'incapacité de comprendre les phénomènes asymétriques. Fréquemment victimes complaisantes des rumeurs, ils privilégient la discipline administrative au bon sens et règlent les problèmes plus par devoir que par souci d'efficacité... quitte à « tordre le cou » à la vérité.

Quels sont les faits qui permettent d'affirmer que « l'État islamique cherche à créer une guerre civile en France(1) » ? Quels sont les faits qui permettaient à Nicolas Sarkozy d'affirmer que l'Iran « appelle à la destruction d'Israël(2) » ou à Emmanuel Macron d'affirmer que Vladimir Poutine est « obsédé par les ingérences dans nos démocraties(3) » ou que « la Russie a envahi l'Ukraine(4) » ? Littéralement aucun... mais cela suffit à asseoir une politique étrangère, à frapper et à tuer des innocents.

En fait, notre perception des événements est très partielle, et donc partiale. Nous croyons avoir une information objective et complète, mais ce n'est pas le cas : de légères omissions, simplifications et autres distorsions modifient de manière subtile notre façon de comprendre le monde. Le phénomène est d'autant plus marqué qu'il est alimenté par l'émotion - c'est le cas du terrorisme - ou par des craintes assez profondément ancrées dans les mentalités - par exemple la menace russe. Ainsi, les suppositions deviennent des certitudes et les préjugés des réalités, les verbes au conditionnel sont reformulés à l'indicatif, la prudence des services de renseignement est ignorée au profit de messages plus catégoriques. Au point que l'on fustige les services de renseignement lorsqu'ils apportent des faits qui contredisent le discours politique (5) !
  1. Nicolas Truong, « L'État islamique cherche à déclencher une guerre civile », lemonde.fr, 14 novembre 2015
  2. Discours du président Sarkozy à la Knesset, Le Figaro, 20 juin 2008
  3. « Président Macron on relations with the US, Syria and Russia », Fox News/YouTube, 22 avril 2018, (12'40'')
  4. Emmanuel Macron, lors de sa conférence de presse à l'issue du G7, le 27 mai 2017 (« Ukraine : Macron promet un échange "exigeant" et sans "concession" avec Poutine », Europe 1, 27 mai 2017) ; « Poutine - Macron : les dossiers qui fâchent », BFMTV, 29 mai 2017 ; « Vladimir Poutine : Emmanuel Macron, prêt à engager un "rapport de force" », Le Point, 29 mai 2017
  5. John Bowden, « Senate Democrat says he is concerned intelligence community is "bending" Soleimani presentations », The Hill, 14 janvier 2020 Lien Decitre : Gouverner par les fake news


 
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