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«L’homme (…) par son insouciance pour l’avenir et pour ses semblables, semble travailler à l’anéantissement de ses moyens de conservation et à la destruction même de sa propre espèce».
Particulièrement frappants si on les compare aux inquiétudes écologiques actuelles et à la prolifération des thèses catastrophistes, ces mots ne figurent pourtant que dans une note de bas de page de l’ouvrage Système analytique des connaissances positives de l’homme paru en 1820. Ceux qui reprennent cette prophétie de Lamarck ne précisent que rarement cette place très anecdotique qu’elle occupe dans cet ouvrage. Le chapitre dans lequel cette note de bas de page est publié est consacré à une description naturaliste des caractéristiques l’homme dont il dépeint «la supériorité si grande» sur les autres espèces en raison de son intelligence, de son adresse et de son langage. Voici une citation qui résume particulièrement le propos de Lamarck :
«Dominateur à la surface du globe qu’il habite, dominateur même des individus de son espèce, leur ami sous certains rapports, et leur ennemi sous d’autres, [l’homme] offre, dans ses qualités et l’étendue de ses facultés, les contrastes les plus opposés, les extrêmes les plus remarquables».
Jean-Baptiste de Lamarck.
Pour ne pas se limiter aux quelques mots de la note de bas de page, mais pour avoir un aperçu plus représentatif de la pensée de Lamarck, nous avons décidé de publier un extrait plus large du chapitre «Des connaissances de l’homme» dans lequel celle-là s’insère. Il permet de se replonger dans l’esprit d’une époque dans laquelle Lamarck faisait figure de précurseur puisqu’il proposa, avant Darwin, l’une des premières théories de l’évolution, fondée en l’occurrence (et à tort) sur la capacité d’adaptation des espèces à leur environnement. [Pour rendre la lecture plus facile, nous avons placé la note de bas de page qui fait aujourd’hui florès non à la fin du texte, mais à l’intérieur, distincte du reste par deux lignes de séparation]

Extrait : Jean-Baptiste de LAMARCK, Système analytique des connaissances positives de l’homme, «Des connaissances de l’homme», 1820.
«Ainsi, par l’habitude qu’il prit d’une stature nouvelle et très particulière, l’homme ayant obtenu, de ses membres antérieurs, de grands moyens et surtout une adresse très considérable, parvint à se fabriquer différentes sortes d’armes, à s’en servir avec succès, tant pour se défendre que pour attaquer, et sut dominer, par cette voie, ceux des animaux qui l’égalaient ou le surpassaient en taille et en force. Il put donc multiplier indéfiniment les individus de son espèce, les répandre partout, s’emparer de tous les lieux habitables, réduire les développements et la multiplication, tant des espèces voisines de la sienne, que de celles qui sont les plus fortes et les plus féroces, les reléguer dans des déserts ou dans des lieux difficiles qu’il n’a pas daigné habiter, et par là rendre stationnaires leurs développements et l’état de leurs facultés.

S’étant ainsi répandu presque partout, et ayant pu se multiplier considérablement, ses besoins s’accrurent progressivement par suite de ses relations avec ses semblables, et se trouvèrent infiniment diversifiés. Or, ceux des animaux qui jouissent comme lui des facultés d’intelligence, mais dans des degrés fort inférieurs, n’ayant qu’un petit nombre de besoins comparativement aux siens, n’ont aussi qu’un très petit nombre d’idées ; et, pour communiquer entre eux, quelques signes leur suffisent entièrement. Il en est bien autrement à l’égard de l’homme ; car ses besoins s’étant infiniment accrus et diversifiés, et le forçant à multiplier et à varier proportionnellement ses idées, il fut obligé d’employer des moyens plus compliqués pour communiquer sa pensée à ses semblables. De simples signes ne lui suffirent plus. Il lui fallut non seulement varier les sons de sa voix, mais en outre les articuler ; et selon le développement particulier de l’état intellectuel de chaque peuple, les sons articulés, destinés à transmettre les idées, reçurent une complication plus ou moins grande. La faculté de former des sons articulés, qui, par convention, expriment des idées, constitue donc celle de la parole que l’homme seul a pu se procurer ; et la nature des conventions admises, pour attribuer à ces sons articulés des idées usuelles, constitue aussi les diverses langues dont il fait usage. Quant aux conventions qui distinguent ces dernières, on peut dire qu’elles prirent partout leur source dans les circonstances particulières où se trouvèrent les peuples, et par les habitudes qu’ils admirent alors pour exprimer les idées dont ils faisaient usage ; et, quoiqu’il soit évident qu’aucune langue ne peut être plus naturelle à l’homme que d’autres, c’est-à-dire, qu’il n’y ait point de langue mère, celles qui se formèrent par l’usage chez les différentes nations, s’altérant toujours avec le temps, et de proche en proche, non seulement se diversifièrent, mais donnèrent lieu à une multitude énorme d’idiomes particuliers qui ne sont connus que dans les lieux où on les emploie.

Ainsi la multiplication et l’étendue des moyens que l’homme sut imaginer pour communiquer ses idées aux individus de son espèce, contribuèrent singulièrement à développer son intelligence ; et il obtint, par cette réunion de voies, une supériorité si grande sur les animaux, même sur ceux qui sont les plus perfectionnés après lui, qu’il laissa une distance considérable entre son espèce et les leurs.

Maintenant, on est autorisé à dire que l’homme est un être intelligent, qui communique à ses semblables sa pensée par la parole, et qui est le plus étonnant et le plus admirable de tous ceux qui appartiennent à notre planète. Dominateur à la surface du globe qu’il habite, dominateur même des individus de son espèce, leur ami sous certains rapports, et leur ennemi sous d’autres, il offre, dans ses qualités et l’étendue de ses facultés, les contrastes les plus opposés, les extrêmes les plus remarquables. Effectivement, cet être, en quelque sorte incompréhensible, présente en lui, soit le maximum des meilleures qualités, soit celui des plus mauvaises ; car il donne des exemples de bonté, de bienfaisance, de générosité, etc., tels qu’aucun autre n’en saurait fournir de pareils ; et il en donne aussi de dureté, de méchanceté, de cruauté et de barbarie même, tels encore que les animaux les plus féroces ne sauraient les égaler. Relativement à ses penchants, tantôt dirigé par la raison et par une intelligence supérieure, il montre les inclinations les plus nobles, un amour constant pour la vérité, pour les connaissances positives de tout genre, pour le bien sous tous les rapports, pour la justice, l’honneur, etc. ; et tantôt, se livrant à l’égoïsme (I) (…)

(l) L’homme, par son égoïsme trop peu clairvoyant pour ses propres intérêts, par son penchant à jouir de tout ce qui est à sa disposition, en un mot, par son insouciance pour l’avenir et pour ses semblables, semble travailler à l’anéantissement de ses moyens de conservation et à la destruction même de sa propre espèce. En détruisant partout les grands végétaux qui protégeaient le sol, pour des objets qui satisfont son avidité du moment, il amène rapidement à la stérilité ce sol qu’il habite, donne lieu au tarissement des sources, en écarte les animaux qui y trouvaient leur subsistance, et fait que de grandes parties du globe, autrefois très fertiles et très peuplées à tous égards, sont maintenant nues, stériles, inhabitables et désertes. Négligeant toujours les conseils de l’expérience, pour s’abandonner à ses passions, il est perpétuellement en guerre avec ses semblables, et les détruit de toutes parts et sous tous prétextes : en sorte qu’on voit des populations, autrefois considérables, s’appauvrir de plus en plus. On dirait que l’homme est destiné à s’exterminer lui-même après avoir rendu le globe in habitable.

(…), il offre, soit des inclinations viles et basses, soit une tendance continuelle à tromper, à opprimer, à jouir du mal qu’il occasionne, des méchancetés qu’il exerce, et même de ses cruautés. Enfin, quant à l’étendue de ses facultés d’intelligence, il présente, dans chaque pays civilisé, parmi les individus de son espèce, une disparité considérable entre le plus brut ou le plus grossier, le plus pauvre en idées et en connaissances, le plus borné dans son esprit et son jugement, et qui se trouve presque au-dessous de l’animal, et le plus spirituel, le plus riche en idées et en connaissances diverses, en un mot, dont le jugement est le plus solide, ou dont le génie, élevé et profond, atteint jusqu’à la sublimité ! Comme ceux qui n’appartiennent ni à l’un ni à l’autre de ces deux points extrêmes, remplissent nécessairement les degrés intermédiaires, c’est donc une chose réelle et incontestable, ainsi que je l’ai dit dans mes ouvrages, que l’existence d’une échelle graduée entre les individus qui composent l’espèce humaine ; échelle d’une étendue immense , et qui offre successivement des supériorités très marquées dans le nombre des idées acquises , la variété des connaissances, et la rectitude de jugement de ces individus.

D’après ce que je viens d’exposer à l’égard de l’homme, et que l’on pourra apprécier en examinant ses actions et consultant son histoire, cet être est réellement le plus étonnant de tous ceux qui existent sur le globe. On pourrait même ajouter qu’il est de tous les êtres qu’il a pu observer, celui qu’il connaît le moins ; et qu’il ne parviendra jamais à se connaître véritablement que lorsque la nature elle-même lui sera mieux connue».







 
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