Quand l’aujourd’hui se consume, il devient un fort banal hier. Lapalissade, certes. Mais, au fil des ans, puis des décennies, que devient notre vécu pour les autres ? Rien ! Oualou ! Une monnaie qui n’a plus cours. Et pour soi-même, ressassement et nostalgie ; des regrets et des « si je savais !»
La désintégration se met en marche. La peau se couvre de rides pour se transformer en une sorte de carnet de bord échu. Aussi insignifiante qu’un calepin d’épicier aux dettes éteintes. Les articulations subissent les assauts récurrents des arthrites, périarthrites, arthroses et craquements. La sécheresse investit les neurones, les reins, les testicules, le visage, les mollets, les plantes des pieds, les amitiés et…les amours. L’ouïe s’alourdit peu à peu, la vue floute tout ce qui bouge et l’entendement se fait de plus en plus fermé à l’air du temps.
Alors on se rend vite compte de l’ampleur de son insouciante « connitude » quand, à vingt ans, on était si féru d’hormones qu’on a négligé les neurones. Pardi ! On croyait mordicus à sa géniale singularité. A l’heure de l’inventaire, où les audaces ont place cédée aux servitudes, on se met à se demander pourquoi on s’est si peu et mal écouté, pourquoi on n’a pas renversé toutes les tables sur la gueule de tous les Dr Knock du formatage déguisés en formateurs et même pourquoi on a été faire des études qui, somme toute, n’ont servi qu’à hypertrophier notre jobardise.
Le mariage vient couronner ce qui s’apparente davantage à une foultitude de lâchetés promptement « markétées » qu’à une prétendue réussite sociale. Advient alors l’ère des compromissions maquillées en compromis. Un exécrable capharnaüm d’idioties où se bousculent la fausse fierté, les exploits carriéristes accomplis sur le dos de son prochain, la médisance et la curiosité malsaine, les amitiés nocives tissées en « associations de malfaiteurs », le crédit de la baraque sur vingt-cinq ou trente ans, les vacances où l’on se joue la comédie du bonheur assaisonné aux rictus dûment imbéciles.
Et puis, et puis…la quarantaine et sa crise d’identité sociale, la cinquantaine et sa fatuité face à la meurtrière compétition, la soixantaine et ses aigreurs. Enfin la vieillesse avec ses servitudes et ses amertumes expédiées en soupirs au ciel, faute d’oreilles terrestres compatissantes. L’heure de la seule vérité tangible d’ici-bas qu’est la mort approchant, on se tourne alors vers son entourage pour prodiguer les conseils démobilisateurs que personne n’écoute et où les remords et les visions hallucinogènes du « mandala » eschatologique tiennent lieu d’ultime baroud d’honneur.
Une minute, une bien orpheline minute avant de rendre l’âme, on voit défiler le film d’une vie sans grand sens à la vitesse de la lumière du néant. Là et seulement là, on comprend qu’on a été dupe, lamentablement trompé par ses impulsions de jeunesse, ses compulsions d’adulte et ses pulsions de vieillard. Et surtout qu’il n’existe aucun moyen de rectifier quoi que ce soit à la feuille de route ainsi consommée.
Depuis l’homoerectus, notre espèce a cherché à braver cette inexorable feuille de route. Tout a été essayé pour en explorer le code fondateur ou en détourner le mécanisme, le timing et l’intensité. Mystérieux ce triphasé destin de l’espèce qu’est le sempiternel NTM ! Naître-Trimer-Mourir. Sans relâche, sans exception pour personne, sans fin.
La mythologie, la religion, l’alchimie, l’art, la philosophie, les sociétés secrètes, les idéologies et, aujourd’hui, la technologie n’y pigent toujours que dalle. On ira bientôt coloniser l’espace à la recherche de l’immortalité, de l’invulnérabilité épidémiologique, de l’invincibilité, de l’absolu, bref de la divinité, c’est-à-dire –enfin !- du sens de notre chienne de vie. Vaine quête et piètres retombées. Je l’atteste par avance, l’absurde commandera notre existence jusqu’à l’extinction totale de l’espèce.
C’est sans doute cet omniscient et ô combien omnipotent absurde qui me fait ressentir une inconsolable peine pour tous ces accumulateurs de richesse et autres cumulards de pouvoirs qui s’essoufflent leur existence durant à amasser flouze et notoriété, ce que leurs rejetons ne tarderont guère à dilapider dès que les géniteurs auront cassé leurs pipes. Longtemps privés de la disponibilité de ces derniers, ils voudront vite compenser la tendresse par les plus folles et les plus compulsives dépenses, à l’image d’une femme noyant son chagrin dans la boulimie chocolatière.
Voilà aussi pourquoi, depuis maintenant une bonne décennie, je marque une halte de quelques jours au début du printemps de chaque année, non pas tant pour dresser le bilan de ma vie, somme toute inintéressante au regard de la longue marche sans GPS des humains au milieu de cet océan d’absurde, mais bel et bien pour faire l’inventaire de mes songes restés prisonniers dans ma seule tête. Sans acharnement ni réel désir de ma part de les réaliser, d’ailleurs. Ayant mis trois semaines à torturer la matrice de ma mère avant de m’en extraire, ayant été maltraité dès l’âge de cinq ans au rythme du bourrage de mon crâne de toutes sortes de vieilleries de la dimension des « motifs d’altération des ablutions » et autres « mode de prosternation en prière selon l’Imam Malik », je crois, au plus profond de moi-même, que la vie, telle qu’elle s’est présentée à moi, n’a rien arrangé à mon désemboîtement existentiel. De ma naissance à ce jour, je n’en aurais été qu’une fausse note. Un « nachaz » total.
Né, en effet, au lendemain d’une guerre mondiale particulièrement dévastatrice, j’ai traversé la seconde moitié du siècle dernier en spectateur d’horreurs et de tragi-comédies sanguinaires qu’il serait à la fois fastidieux et inutile d’énumérer ici. J’entame qui plus est ce XXIème siècle avec une accélération vertigineuse des particules de la connerie qu’affectionnent les gouvernants du Levant et même du Couchant. De plus, né réfractaire à tout attroupement, communauté, association, aéropage, comité, commission ou groupe, qu’il soit religieux, politique, social, culturel ou économique, j’ai eu à affronter d’invraisemblables croyances, les a priori, les lieux communs, les certitudes et toutes les moutonneries (im)possibles et (in)imaginables instituées en convenances qui ont marqué le pays de mon premier passeport.
D’ailleurs, je ne me suis mis à intégrer les savoirs anthropologiques que pour des raisons bassement égoïstes, en vérité. Je voulais, en effet, comprendre comment cet anthropoïde devenu Sapiens Sapiens s’est-il construit -sous l’empire du hasard et l’emprise de la nécessité- un ethos, une polis, un mundis imaginalis, une doxa, des modus vivendi et des modus operandi pour parvenir à ces cimes d’idiotie où l’on s’oblige à détruire inlassablement pour pouvoir construire, car il faudra encore…détruire. Où l’on tue pour vivre, en somme. Je n’en ai saisi à ce jour que les insignifiants symptômes, les substratums échappant toujours à mon entendement.
Né sans vraiment le vouloir -encore une lapalissade !-, je fais, depuis ce funeste jour où je vins à la vie, dans le provisoire. Dans le camping existentiel avec une foi qui s’est dramatiquement effritée au fil de mes désillusions et une soif de sens qui a, elle-même, fini par ne plus en avoir.
Pour vivre avec mon temps et supporter mon indévissable mal-être, je me force à me faire moi-même vulgaire, qui plus est avec des goûts de saltimbanque midinette. Juste pour qu’on me foute la paix ! Sans vocation affirmée, ni a fortiori quelque ambition que ce soit. Juste pour qu’on me laisse tranquille avec mon « immaculée déception ». Pourtant, je vous le dis, des avis sur notre monde, j’en ai en pagaille. Comme celui-ci, par exemple : rien n’égale ma viscérale répulsion pour la politique que le royal mépris que je réserve à ceux qui en ont fait leur raison de vivre.
Je hais le fric et le pouvoir. D’où qu’ils viennent, quelles qu’en soient la prétendue légalité et/ou la mensongère légitimité. En un mot, à plus de soixante-dix balais, je crois que je ne suis rien d’autre qu’un anarchiste égaré dans une galaxie qui vénère l’ordre dans le plus ahurissant des désordres. Rassurez-vous messieurs les gouvernants, j’ai quand même une morale qui me sert de raison de (sur)vivre. Elle tient en un mot : Vous me dégoûtez et j’en fais un préalable à toute coexistence sous vos étendards de « tireurs…SUR élites » !
La seule nation que je me reconnaisse n’existe que dans ma tête. Elle est bordée à l’est par le dégoût, à l’ouest par le non-sens, au sud par l’effroi et au nord par l’ « Océan mélancolique ». J’y pratique le commerce de l’angoisse, l’industrie du pourquoi, la culture du déchirement et la diplomatie de la solitude. Nul être humain, bestial, végétal ou minéral ne peut donc compter sur mon allégeance. Depuis que j’ai compris qu’on a à jamais transformé les hommes en matricules robotisés, corvéables à merci, j’ai fait mon deuil des trois valeurs cardinales qui peuplaient mes songes et qui sont le Vrai, le Bon et le Beau. J’ai alors compris que ces valeurs ne valaient pas un oignon. Ou un clou, si vous préférez.
Pessimiste, moi ? Simplement lucide. Maintenant que j’ai sorti mon venin, allons nous amuser à parler de ce qui ne va pas dans toutes les mascarades politiques que vous voudrez ! Et Dieu sait qu’il n’y a que ça partout où l’on se retourne de par notre monde hypercon(necté).
Cela dit, rassurez-vous, je ne cours pas me suicider; j’ai encore tellement de bricoles à régler avant de livrer mon corps aux bestioles qui sévissent six pieds sous terre !