Cette officine de propagande déploie son activité de désinformation et de manipulation de l'opinion aux frais du contribuable et de David de Rothschild. Tout en invoquant la mémoire des déportés. We have a problem..
« Misère de l’anticomplotisme » par Christian Ferrié, docteur en philosophie et en sciences politiques
La misère du temps (pour paraphraser le titre), lourde et violente, est heureusement contrebalancée par l’essentialité du combat à mener contre le déferlement totalitaire qui s’est abattu sur notre monde.
Albert Jaccard nous en avait averti il y a longtemps comme l’image d’illustration de cette publication le rappelle. La main de fer du nouveau fascisme (ce terme, rappelons-le, désigne en philosophie politique la collusion de l’état et des grandes entreprises) dans le « gant de velours » de la médiocratie et du nudge est aussi sinon plus redoutable encore que l’envoi de divisions blindées : le processus mis en œuvre est celui de la colonisation des esprits et de la transformation des braves gens en zélés rouages de l’oppression, euphorisés en toute bonne conscience dans cette « tyrannie du bien » for bien décrite par le journaliste (au vrai sens du terme) et essayiste Guy Mettan.
L’autre motif de réjouissance est celui de la sortie du bois de tant d’esprits sagaces et valeureux. Si les azimutés se terrent dans le ventre mou du conformisme à tout va, des personnalités courageuses ne l’ont pas entendu de cette oreille et se sont exprimées haut et fort.
La situation est aujourd’hui limpide : les azimutés ne supportent plus le réel et, quand ils se voient interpelés à son sujet, se défaussent et prennent la fuite.
Les autorités que nous avons interpelées sur leurs violations graves des droits, naturels et codifiés, se réfugient dans le silence. En Suisse, le Conseil fédéral ne répond plus, pas plus que les autorités cantonales.
- Pour lire « Suisse : les autorités ne répondent plus » sur ce blog : cliquer ici.
- Pour lire « « Demandez pardon à la population ! » – Lettre ouverte aux autorités genevoises » : cliquer ici.
Ce qui se laisse comprendre hélas : leur position est proprement indéfendable. A tel point que même « penser » la réalité leur devient insupportable, comme nous viennent de nous en donner une illustration ces parlementaires britanniques quittant la Chambre des Communes lorsqu’un des leurs se mit à évoquer la très grave et sérieuse questions des effets indésirables des injections géniques expérimentales présentées abusivement comme des « vaccins ».
- Pour voir « British MP Andrew Bridgen Leads An Adjournment Debate On The Efficacy Of The mRNA Covid-19 Booster » sur Rumble (en anglais) : cliquer ici.
Les chevilles ouvrières tout comme les maîtres d’œuvre de la dérive redoutent désormais avec une forme de terreur tout rappel du réel, comme des vampires terrifiés par la lumière du jour. Si d’aventure l’on brandit des données probantes sous leur nez, ils retraitent alors dans l’obscurité de leurs caveaux mentaux après avoir exhibé leurs canines dans d’abominables grimaces et feulé à fendre l’âme…
Répondant à cette engeance et à cette indignité, nous avons Dieu merci été gratifiés au cours des trois ans écoulés de prises de parole et de productions redonnant espoir en l’humaine nature. J’ai moi-même eu l’honneur de relayer sur les pages de ce blog des trésors de sagacité et d’intelligence que tant de plumes avisées ont eu la bonté de m’adresser.
C’est donc avec une gourmandise non dissimulée que je partage avec vous un texte de très haute volée, sur un thème qui est plus d’actualité que jamais hélas – celui de « l’anti-complotisme ».
Que l’on a vu récemment re-flamber à l’occasion de la sortie en librairie des remarquables livres de Pierre Chaillot et d’Alexandra Henrion Caude.
Car quoi, voilà des professionnels d’une rare compétence, statisticien pour le premier et généticienne de réputation mondiale pour la seconde. Les deux sont profondément intègres, dépourvus de tout conflit d’intérêt, allant jusqu’à donner l’entier de leurs droits d’auteur à des organisations comme « Où est mon cycle? » et une caisse de soutien aux soignants suspendus.
Tout ce qu’ils avancent est documenté, sourcé, et traité avec une rigueur intellectuelle irréprochable.
On s’en douterait : les vampires n’apprécient pas, mais alors pas du tout ! Ce d’autant moins que les deux ouvrages caracolent en tête des ventes pour la France dans la catégorie « essais ».
Que feraient des humains qui contesteraient le contenu de ces deux ouvrages ?!..
Eh bien : ils contesteraient le contenu de ces ouvrages.
Habileté dont les vampires sont bien incapables… car l’intelligence est bien une lumière, pour eux redoutable !
Restent alors les armes des dévôts de l’ombre : la calomnie, le procès d’intention, les attaques personnelles, les amalgames.
Les très lamentables Laurent Alexandre et Michel Cymes viennent d’en donner deux exemples aussi pédagogiques qu’il est possible pour quiconque ignorerait la différence entre un honnête penseur et un terroriste intellectuel (selon la juste expression d’Idriss Aberkane). Voici ce qu’a exprimé le premier des deux cités :
Voyons, cherchons un argument… Ah non, zut, il n’y en a pas ! Que trouvons-nous alors ?…
Un qualificatif péjoratif (« ce livre est un torchon« ), un jugement de valeur avec violence interprétative (« complotiste invraisemblable« ), un amalgame (« je comprends qu’il plaise à Philippot »), un procès d’intention plus que désobligeant, carrément injurieux : (« Henrion Caude réussit un coup marketing« ) doublé d’une interprétation abusive (« en affolant les gens« ) et d’un re-amalgame (« Philippot jubile évidemment« ). Rien donc qui pût même vaguement ressembler à un début de raisonnement dans la prose du fâcheux.
Trouverons-nous mieux chez Cymes ?
« Arrêter de donner la parole aux antivax qui font un mal fou à la médecine« …
Alexandra Henrion Caude est l’une des plus brillantes généticiennes de sa génération, avec à son actif un travail de pionnier dans l’utilisation thérapeutique de l’ARN. Une scientifique ayant reçu le très prestigieux prix Eisenhower et dirigé un laboratoire de recherches à l’INSERM…
Elle truffe son livre, chapitre après chapitre, des références scientifiques les plus solides pour montrer l’anomalie de la prescription généralisée d’une technologie encore à un stage expérimental et dont toutes les expériences répertoriées se sont soldées par des échecs avec force effets indésirables.
Et voilà qu’un médecin de plateau, oto-rhino-laryngologue, qui n’est pas un scientifique (les médecins ne sont pas des scientifiques sauf à avoir complété leurs études de médecine par un « vrai doctorat » dans une discipline scientifique), vient accuser Mme Henrion Caude de « faire un mal fou à la médecine » !
Un médecin donc qui ne supporte pas la lumière apportée par une scientifique parmi les plus expertes au monde sur le sujet dont il est question.
L’avisé ancien sénateur Yves Pozzo di Borgo aura résumé quant à lui en deux tweets les motifs sous-jacents (mais soigneusement occultés par les médias complices) de cette répression de l’intelligence et du débat honnête :
La « presse » elle, ne recule décidément devant aucun moyen pour servir les intérêts qu’elle défend aveuglément. Le Parisien, propriété de Bernard Arnault, sollicite même les sombres « lumières » de Tristan Mendès France, un blogueur aux capacité intellectuelles inspirant de la commisération tant elles sont spectaculairement réduites.
- Pour lire « Les mensonges de Rudy Reichstadt et Tristan Mendès France exposés méthodiquement par Pierre Chaillot » : cliquer ici.
Lequel Mendès France se targue donc de faire la leçon à une généticienne de réputation mondiale et à un statisticien virtuose !
Ce cas de figure s’est déjà produit cent mille fois. La question qui se pose est donc de comprendre comment et pourquoi l’anti-complotisme, cette pathétique faillite de l’intelligence au service d’une redoutable manipulation de l’opinion, peut-il encore faire illusion…
C’est dire si c’est un honneur et une joie pour moi que de re-publier ici avec son aimable autorisation, pour laquelle je lui exprime ma reconnaissance, un texte magistral de Christian Ferrié, docteur en philosophie et en sciences politiques.
Auteur de nombreux ouvrages dont La politique ou la guerre (2021) et Mouvement inconscient du politique (2015), lesquels éclairent le fameux « Nous somme en guerre » de sinistre mémoire, Christian Ferrié décode et même décrypte les tours des vampires et de leur bal haineux…
Le texte principal, intitulé Misère de l’anticomplotisme est suivi d’une postface, La mauvaise santé de la médecine protocolaire, qui sera publié demain sur ce site.
Fi donc des nauséabondes ténèbres – et place à l’intelligence !
Misère de l’anti-complotisme
Christian Ferrié, philosophe,
auteur de La politique ou la guerre ? (2021)
et du Mouvement inconscient du politique (2015)
À Roxanne et à toutes les autres
victimes de l’obligation vaccinale
Les noms d’oiseaux volent de tout bord sur les contestataires de la gestion de la crise sanitaire, une insulte domine : complotistes ! On retrouve l’atmosphère détestable qui entourait le mouvement des gilets jaunes, pour part taxés d’antisémitisme et situés à l’extrême droite. À l’époque, je n’avais vu aucun élément attestant ce diagnostic dans les cortèges. Ce n’est pas plus le cas à présent. À Nice le 7 août 2021, à Dijon le 14 août, à Strasbourg les 21 et 28 août, il y avait une ou deux croix de Lorraine et d’innombrables drapeaux français associés à de multiples références à 1789, en particulier la devise républicaine et le bonnet phrygien : la Marseillaise a été entonnée à plusieurs reprises, tout comme le slogan « Liberté » a été scandé sans relâche. Que vaut mon témoignage documenté par des vidéos ? Pas grand-chose… Tout jugement peut aisément être disqualifié comme subjectif et les vidéos discréditées comme des montages partisans. Toute la Toile fourmille de témoignages et d’analyses contradictoires sur tout et n’importe quoi ! C’est tout le problème au cœur de la démocratie d’opinion : qu’est-ce qui prouve quoi que ce soit ?
Comme il est difficile de produire une preuve en bonne et due forme, surtout dans un article publié dans un journal d’opinion, la démonstration est la plupart du temps court-circuitée par un argument d’autorité, bien souvent conforté par son corollaire et son contraire : l’argument ad hominem qui jette le discrédit sur l’adversaire honni. À l’heure actuelle, le problème est redoublé par la complexité et la technicité des questions abordées : du débat scientifique autour des coronavirus à la discussion médicale sur les remèdes à y apporter, en passant par les controverses sur l’interprétation des données statistiques qui permettent d’étayer le diagnostic de la crise sanitaire, sans parler des polémiques sur l’efficacité de la vaccination et sur les dangers des « vaccins » de type génique. Le citoyen lambda est bien obligé de croire ce que les autorités compétentes disent du variant alpha ou delta. Tout est affaire de crédit et de confiance dans les autorités, qu’elles soient politiques (gouvernement, union européenne, organisation mondiale de la santé), scientifiques (conseil scientifique sur le covid 19, santé publique France, institut pasteur, etc.), ou même morales (le pape, par exemple, qui vient d’enjoindre à se faire vacciner au nom de l’amour du prochain). Or toutes ces autorités semblent être en accord sur le diagnostic de la crise et son traitement, à l’exception de personnalités controversées, comme Trump et Bolsonaro, qui servent à satiété d’épouvantail pour conjurer la contestation de ce qui peut passer pour un consensus scientifique et politique mondial. Adepte du climato-scepticisme, Trump fait d’autant plus l’unanimité contre lui que nombre de ses partisans ont adhéré à l’élucubration extravagante de la secte QAnon qui dénonçait un complot pédophile et sataniste du deep state contre le président. Ce qui ne manque pas d’alimenter l’idée que la contestation du discours dominant sur la crise sanitaire vient d’une extrême droite prompte à céder au complotisme démentiel.
En contrepoint de l’argument d’autorité qui postule l’existence d’un corona-consensus, pour refouler toute réflexion critique sur le sujet, il ne reste donc plus qu’à discréditer les corona-sceptiques en les traitant de complotistes ancrés à l’extrême droite. Désormais, il y a même des instituts auto-proclamés « indépendants » qui vérifient les assertions pour contrecarrer l’avalanche d’informations fabriquées de toute pièce (fake news) dont les complotistes raffolent. Le jugement de ces sites qui se targuent, comme les journalistes, d’être au service démocratique du public citoyen est censé faire lui-même autorité, tout comme le jugement autorisé des scientifiques. Mais qui contrôle les contrôleurs ? Qui sont-ils et qui financent leur travail ? Sur quelle méthodologie se reposent les vérificateurs de données factuelles (fact checking), non seulement pour statuer sur un énoncé ponctuel, mais encore pour valider une hypothèse ou invalider une théorie à prétention scientifique qui interprète des données ? Quel sens forcément différent a ce même terme dans l’expression « théorie des complots » ? Quels sont les critères qui permettent de distinguer un véritable complot d’une invention complotiste ?
Sauf à vouloir sombrer dans la misère d’une dénonciation idéologique, il faudrait acquérir quelques lumières sur la théorie anti-complotiste qui autorise un spécialiste compétent à qualifier de complotiste un mouvement de contestation afin de le disqualifier. Il fut un temps où la critique de l’idéologie capitaliste, fasciste, etc., se présentait comme une discipline rigoureuse qui ne se commettait pas à ravaler le concept de fascisme au rang de simple insulte. À l’heure de la diffusion instantanée des paroles et des images, un mot suffit à discréditer une personne, la pancarte d’un manifestant apparaît comme un signe suffisant pour soupçonner du pire tout un mouvement collectif. En contrepoint de ce piteux procédé, l’épistémologie factualiste du fact checking, qui semble désormais régner dans certaines rédactions, nous ramène très loin en arrière : à l’époque d’une historiographie positiviste qui se focalisait sur les événements politico-diplomatiques pour mieux refouler l’importance des processus économiques et des mouvements sociaux que Marx avait su mettre en avant. Pourtant, tout journaliste devrait savoir qu’une théorie ne peut pas être tout simplement réfutée, sur le modèle du contre-exemple mathématique, par l’invocation d’un fait prétendument intangible. Car, dans tout modèle scientifique, en physique comme en sociologie, la construction théorique sert de cadre à l’interprétation des faits établis dans ce même cadre…
Comme Horkheimer l’a soutenu dans les années 1930, la Théorie critique de la société présuppose une théorie critique de la science. Car la crise que traversait alors la science à l’époque reproduisait les contradictions d’une économie capitaliste incapable de mettre fin à la misère en satisfaisant les besoins humains, alors que c’eût été parfaitement possible : la raison en était alors et en est toujours la soumission de la science, comme force productive, aux impératifs d’intérêts économiques. Mais le projet d’émanciper la production scientifique de son inféodation au Capital n’est plus d’actualité, à l’heure où la recherche scientifique au sein des universités est conditionnée par des financements privés. Une théorie critique de la technoscience doit donc identifier les agents qui collaborent à sa production, sans s’inquiéter de l’autorité dont ils disposent : évacuant l’hypothèse charitable d’une générosité désintéressée de la part de mécènes privés comme Bill Gates, il faut reconnaître l’influence que des fortunes colossales et des forces économiques, comme les laboratoires pharmaceutiques, exercent sur la configuration globalisée des politiques de santé publique, en particulier quant à la mise en place dans le monde de politiques de vaccination (contre la poliomyélite ou contre les coronavirus). Dans cette optique, il n’y a aucun complotisme à repérer la conspiration d’intérêts qui a présidé, depuis deux décennies, à la mise en place d’un plan mondial de lutte contre une pandémie qui a permis, dès 2020, la production d’un consensus politique et scientifique sur le diagnostic de la crise sanitaire et sur son traitement à travers la vaccination de tout le monde. Mais la production d’un tel consensus présuppose l’organisation institutionnelle de la censure de toutes les voix dissidentes. Au sein de ce dispositif qu’il convient d’analyser, la théorie anti-complotiste joue un rôle crucial.
Lumières sur le complotisme
Les lumières sur les théories du complot sont dispensées par la Commission européenne sous la forme d’un guide anti-complotiste qui semble forgé sur le modèle d’un manuel d’anti-radicalisation islamiste ou sectaire.
Le complotisme comme forme de sectarisme ?
En France également, le service interministériel en charge de lutter contre l’emprise sectaire traite sous la même catégorie, bien que de manière très nuancée, des saisines concernant des mouvances religieuses (bouddhisme, islam dit radical, etc.) ou spiritualistes (néo-chamanisme, yoga, etc.), des régimes alimentaires (véganisme), des écoles ou des médecines alternatives, et « le développement du phénomène sectaire » consécutif à la crise sanitaire : « le récit d’un supposé complot des pouvoirs publics en lien avec l’industrie pharmaceutique » répondrait à l’anxiété provoquée par un « danger insaisissable ». Si les 120 signalements permettent de constater qu’il y a un « regain des courants apocalyptiques qui voit dans la pandémie un signe et une confirmation de l’imminence de la fin des temps », ce sont surtout « les mouvements ou les personnalités qui s’opposent à la médecine scientifique qui ont trouvé de nouveaux arguments pour séduire » :
« Sur l’année 2020, on observe que la crise sanitaire a élargi l’audience de discours conspirationnistes apocalyptiques et une évolution de plusieurs leaders vers un discours politique subversif et un appel à des actions. Des connexions s’établissent avec quelques personnalités issues du mouvement des gilets jaunes, des ultra-verts et l’ultra-droite. (La mouvance de l’ultragauche semble moins concernée par ces thématiques apocalyptiques). Cette tendance s’illustre particulièrement avec l’apparition du phénomène QAnon. […] D’autres groupes mêlent à la fois un activisme politique contestataire pouvant aller jusqu’à prôner la déstabilisation de l’État, mais également la promotion de discours anti-masques et anti-vaccins et la mise en exergue de pratiques alternatives de santé. » [Rapport d’activité 2018-2020 de Miviludes, p. 90-91, cf. p. 28].
Le rapport évoque, à juste titre, la nécessité d’étudier plus précisément ce mélange des genres. L’enjeu – pour une théorie critique de l’anti-complotisme –, ce serait de trouver des critères qui permettent d’éviter la confusion entre les élucubrations complotistes du type QAnon et la construction rationnelle de discours subversifs contre l’État ou contre la doctrine dominante en matière de santé. À cet égard, le discours apocalyptique (tenu notamment par Femmes internationales murs brisés ou par les témoins de Jéhovah : cf. p. 75 vs p. 79), la soumission inconditionnée à un gourou charismatique ou encore le postulat de forces occultes et la psychopathologie paranoïaque au cœur de la rhétorique complotiste de groupes collapsologistes, tous ces éléments devraient permettre de tracer une ligne de démarcation, à l’instar de l’analyse proposée par Richard Hofstadter dans son ouvrage sur The paranoid style in American politics (1964). Mais, face à l’emprise sectaire sur des esprits vulnérables, l’amalgame entre le discours politique de groupes contestataires ou extrémistes (cf. p. 89) et la logorrhée délirante s’impose comme nerf de la contre-propagande pour contrer la propagande subversive et… diffamer la contestation rationnelle de l’interprétation dominante de la crise sanitaire. Dans le rapport d’activité 2021 de Miviludes (publié en novembre 2022), un sociolologue de l’EHESS dénonce l’incapacité de débattre des anti-pass/vax et leur rupture avec les valeurs universelles du droit et de la raison qui mène à l’adhésion à des « théories fumeuses et non étayées scientifiquement » (p. 187-188). Dans ces conditions, on comprend que les corona-sceptiques puissent être systématiquement qualifiés de complotistes.
La vision complotiste du monde
Même si cela paraît étrange au premier abord, il y a en ce sens une certaine logique à ce que le guide officiel de l’anti-complotiste financé par la Commission européenne soit inséré dans le programme de lutte contre la désinformation à propos de l’épidémie de coronavirus. Pourtant, il est inspiré par trois manuels qui portent sur les théories du complot en général. Stephan Lewandowsky & John Cook, dans The Conspiracy Theory Handbook (mars 2020), se focalisent sur l’exemple pertinent du climato-scepticisme. Publié la même année par les mêmes auteurs, en « consensus » avec une vingtaine d’universitaires, The Debunking Handbook finit son analyse sur ce même exemple. Élaboré par COMPACT (Comparative Analysis of Conspiracy Theories), un réseau de recherche composé de 150 universitaires que finance l’Union Européenne, le Guide des théories du complot (mars 2020) co-signé par Michael Butter ne se réfère pas plus au prétendu complotisme des corona-sceptiques : en revanche, il donne l’exemple pertinent des prétendus complots que francs-maçons ou illuminati, communistes ou juifs fomenteraient depuis bien longtemps déjà pour dominer le monde (p. 5), avant de conclure au lien existant entre populisme et complotisme en raison du simplisme de l’opposition entre élite et peuple (p. 9-10).
La doctrine officielle de l’anti-complotisme semble ainsi faire bon ménage avec l’anti-populisme des élites universitaires et politico-médiatiques pour allégrement assimiler toute théorie critique du système social et toute « contestation de la pensée consensuelle » à un récit conspirationniste. Ayant écarté l’approche psychopathologique sous le prétexte que la croyance en de telles théories est très répandue (sic), tout en y voyant un « moyen de se distinguer de la masse des gens » qui serait attrayant pour l’identité personnelle et politique des croyants (p. 6-7), les auteurs peuvent dénoncer l’instrumentalisation politique de la rhétorique conspirationniste (p. 10), et s’inspirer des techniques d’anti-radicalisation contre l’extrémisme politique (p. 15), pour inviter à combattre la propagation de rumeurs conspirationnistes sur un virus, par exemple, ou du « déni conspirationniste de l’efficacité et de la sécurité des vaccins », de trois manières (p. 12-14) : confiner (bloquer en refusant de partager sur les réseaux sociaux) ; inoculer (avertir de manière préventive contre le mensonge imminent) ; démystifier (réfuter et corriger en prouvant les erreurs ou en assénant des faits plutôt qu’en ridiculisant). En somme, il s’agirait de se laisser vacciner contre une dangereuse pathologie mentale.
Le premier à en avoir parlé, Popper (p. 4), inspire la conception de la société et de l’histoire qui fournit l’antidote à cette croyance conspirationniste qui postule que « rien n’arrive par hasard » dans la mesure même où « un groupe d’agents maléfiques, les conspirateurs, orchestrent secrètement tout ce qui arrive », de sorte que « les événements historiques sont toujours le résultat d’un complot délibéré, plutôt que le fruit de facteurs sociaux impersonnels et d’effets structurels » (p. 3) : « en rupture avec les sciences sociales modernes qui soulignent l’importance de la coïncidence, de la contingence et des conséquences imprévues », ces théories du complot expliquent « l’événement important – voire le cours entier de l’histoire – en termes de planification d’une cabale puissante mais cachée » (p. 11), qui manœuvre en coulisses depuis des siècles pour contrôler tous les événements (p. 5) ; alors que les véritables conspirations, révélées par des lanceurs d’alertes ou des médias, impliquent peu de monde, ont un objectif limité et aboutissent généralement à des conséquences non prévues par les conspirateurs (comme la guerre civile déclenchée par l’assassinat de César), par contraste, « tout se déroule selon les plans des conspirateurs » dans le cas de ces « théories du « système » ou super-complot », extravagant et compliqué, qui repose sur la conjecture extrêmement spéculative d’un impossible scénario impliquant des milliers d’acteurs (p. 5-7).
Misère du conspirationnisme
C’est bien à Karl Popper et à sa conception des sciences sociales que sont empruntés la conception de la théorie complotiste, comme spéculation démentielle impliquant tout le monde, et l’argument qui la réfute en se fondant sur les conséquences imprévues des complots effectifs. Il convient donc de préciser la position de Popper qui, pour sa part, ne conçoit pas les effets structurels au sein d’une société comme relevant de facteurs sociaux impersonnels. L’auteur de La logique de la découverte scientifique (1934) et de la Misère de l’historicisme (1936 vs 1957) insère sa critique de « la théorie conspirationniste de la société » dans la seconde édition, révisée, de La société ouverte et ses ennemis (1945). Il s’agit en fait d’un ajout de plusieurs pages à un chapitre qui défend « l’autonomie de la sociologie » contre le psychologisme de Stuart Mill en invoquant paradoxalement Marx, alors même que le dessein général de l’ouvrage est de réfuter la théorie marxiste de l’histoire et sa conception collectiviste-conspirationniste de la société.
Misère de Marx selon Popper : la théorie conspirationniste de la société
Selon Popper, Mill a raison de « réduire le « comportement » et les « actions » de collectifs, comme des États et des groupes sociaux, au comportement et aux actions d’individus humains », tout en ayant tort de postuler que « la société est le produit de l’interaction entre des esprits », dans la mesure où les institutions et les traditions, qui renvoient bien à l’initiative consciente d’actions humaines, est bien plutôt le résultat indirect, souvent non souhaité, de répercussions non intentionnelles de ces actions intentionnelles. C’est pourquoi la tâche principale des sciences sociales explicatives est de faire la « théorie des répercussions sociales non intentionnelles de nos actions » et de nos plans, et non de prétendre prophétiser l’avenir en postulant que la société est le produit intentionnel de complots consciemment conçus par des prétendus « collectifs » (États, nations, races, etc.) en fonction de leurs intérêts. Loin d’être identique à ce qu’on désigne actuellement par les théories des complots, cette théorie conspirationniste de la société est, selon Popper, le corollaire de la métaphysique de l’histoire des marxistes révolutionnaires : en prophétisant de manière millénariste l’avènement violent du socialisme, à la suite d’un événement apocalyptique qui ouvrirait le règne utopique d’une planification collectiviste et totalitaire de la vie sociale, cette philosophie de l’histoire empêche les sciences sociales de mettre en œuvre une réforme démocratique de la société traitant les problèmes séparément. C’est la théorie marxiste de l’histoire sociale, et rien d’autre, que Popper vise ainsi à travers la réfutation du conspirationnisme qu’il propose dans un ajout considérable (non rendu par la traduction française), dont il faut traduire un extrait conséquent :
« La théorie conspirationniste de la société affirme que l’explication d’un phénomène social consiste à découvrir les hommes et les groupes qui ont intérêt à ce que ce phénomène se produise (c’est parfois un intérêt caché qu’il faut tout d’abord révéler), et qui ont conspiré en faisant des plans dans le but de le produire.
Cette vision de l’objectif des sciences sociales provient évidemment de la théorie erronée d’après laquelle tout ce qui se passe dans une société – en particulier les événements, comme la guerre, le chômage, la pauvreté, les privations, qui déplaisent aux gens en général – résulte d’une intention directe de la part de certains individus ou groupes puissants. Cette théorie est très répandue ; elle est même plus ancienne que l’historicisme (qui, comme le montre sa forme primitive, le théisme, est un dérivé de la théorie conspirationniste). Dans ses formes modernes, la théorie est – tout comme l’historicisme moderne et une certaine attitude moderne envers les ‟lois naturelles” – un résultat typique de la sécularisation des superstitions religieuses. La croyance dans les dieux homériques, dont les conspirations expliquent l’histoire de la guerre de Troie, a disparu. Les dieux ont été abandonnés. Mais leur place est occupée par des hommes ou des groupes puissants – des groupes de pression maléfiques, dont la méchanceté est responsable de tous les maux dont nous souffrons – comme les sages de Sion, les monopolistes, les capitalistes ou les impérialistes.
Je ne veux pas dire par là que des conspirations ne se produisent pas. Au contraire, ce sont des phénomènes typiquement sociaux. Par exemple, ils prennent toujours de l’importance lorsqu’arrivent au pouvoir des hommes qui croient dans la théorie conspirationniste. Et les gens qui croient sérieusement savoir comment l’on peut faire régner le Ciel sur Terre sont d’autant plus enclins à adhérer à la théorie conspirationniste, et ils se laisseront entraîner dans une contre-conspiration contre des conspirateurs qui n’existent pas. Car la seule explication pour l’échec de leurs essais d’instituer le Ciel sur Terre est l’intention diabolique du Diable qui a tout intérêt à l’Enfer. »
Popper repère un travers, très en vogue à l’heure actuelle, de la dénonciation idéologique de l’adversaire, réel ou imaginaire, transmué en ennemi qui incarne le Mal absolu dans le double sens de la méchanceté (morale) et des maux (en tout genre), à savoir : la diabolisation d’un agent infernal à l’origine de tout le mal dont souffrent ses victimes depuis la nuit des temps. Tout en refusant la division de l’humanité en ami ou ennemi (de classe, de confession, etc.), Popper reprend là un schéma schmittien pour critiquer les ennemis de la société ouverte. L’argument est tout entier dirigé de manière polémique contre le matérialisme historique, caricaturé comme théorie du méga-complot de lobbies capitalistes et impérialistes coupables de tous les maux, dont on ne peut pas laisser dire à Popper, qui n’a connu ni la pauvreté, ni la guerre, etc., que de tels maux déplaisent simplement aux gens…
À cet égard, on est en droit de se demander si The Open Society and Its Enemies (1945) ne contribue pas à construire la figure fictive de l’ennemi complotiste en mettant sur le même plan l’invocation antisémite des Sages de Sion par les nazis et la mise en accusation des menées monopolistes et impérialistes des entreprises capitalistes par les marxistes. Car la comparaison polémique de la philosophie marxiste de l’histoire avec un faux en écriture : Les protocoles des sages de Sion (1903), qui alimente depuis lors la théorie du complot juif ou judéo-maçonnique mondial en plagiant l’imputation à Napoléon III d’un plan de domination totale du monde (1864), revient à assimiler des groupes de pression effectifs (monopolistes, capitalistes ou impérialistes) au groupe fictif des sages de Sion, pur produit de l’imagination antisémite qui se complaît effectivement à une élucubration complotiste. Certes, Popper ne nie pas l’existence de complots, manigancés par des hommes au pouvoir, mais il croit que la théorie conspirationniste de la société est réfutée, malgré l’existence de telles conspirations, par le fait d’expérience que les conspirateurs parviennent rarement à leur but, en fin de compte, dans la mesure même où ce qui se produit effectivement dans la vie sociale se distingue nettement des intentions consciemment poursuivies, qu’il y ait conspiration ou non :
« La vie sociale n’est pas seulement une épreuve de force entre groupes opposés ; c’est l’action dans un cadre, plus ou moins élastique ou fragile, d’institutions et de traditions, et cela produit – lorsque nous faisons abstraction des actions consciemment adverses – des réactions imprévues à l’intérieur de ce cadre, et peut-être même imprévisibles pour quelques-unes d’entre elles.
La tâche principale des sciences sociales consiste à essayer d’analyser ces réactions et de les prévoir autant que possible. C’est la tâche d’analyser les répercussions sociales non intentionnelles d’actions humaines intentionnelles ».
C’est qu’il faut bien distinguer entre la prévision scientifique, induite à partir de faits, et la prophétie historique, pour sa part déduite des prémisses métaphysiques de la philosophie marxiste de l’histoire. Sans nier l’importance politique de la lutte des classes, Popper conteste ainsi que tous les conflits politiques puissent et doivent être conçus comme des luttes entre exploiteurs et exploités : l’importance des dissensions à l’intérieur des classes elles-mêmes montre que « même l’histoire des problèmes de classe n’est pas toujours une histoire de la lutte des classes au sens marxiste » du terme, de sorte que la théorie des classes de Marx s’avère être une simplification dangereuse. Cette conflictualité humaine est la réalité effective que les puissants singent en coulisses, dans une sorte de frivole comédie comparable à l’opera buffa des dieux de l’Olympe. Loin d’être le noyau dur de l’histoire, la politique des Grands de ce monde (empereurs, généraux, dictateurs) qui s’imposent au pouvoir par la force n’est ainsi qu’une histoire parmi d’autres histoires : l’histoire politique des crimes internationaux et des massacres de masse qu’il est incorrect de présenter comme l’histoire du monde.
Lumières et misère de Popper
On peut valider l’argument de Popper sur deux points décisifs : la réfutation de la théorie du socialisme scientifique comme clé de l’histoire mondiale, qui autorise à prophétiser la réalisation du royaume de Dieu sur Terre, de manière millénariste ou visionnaire, sur la base d’un intellectualisme mystique très à la mode ; l’absence de valeur argumentative, pour réfuter une théorie, de l’éclairage historiciste de son origine et de son contexte sociologiques.
Dans le cas de la théorie de Marx, l’inspiration judaïque de la vision apocalyptique d’une révolution violente du prolétariat, dont la dictature ouvrirait à l’avènement messianique du socialisme, constitue une analogie intéressante, mais ce n’est aucunement une objection qui rende justice aux arguments rationnels du marxisme et à sa contribution considérable à l’avancée des sciences sociales. De même, dans le cas de Popper, l’inspiration schmittienne de sa conception de l’ennemi, sa collaboration avec Hayek et Friedman, ou encore l’origine bergsonienne de la notion de « société ouverte » et la reprise du même concept par Soros pour dénommer sa fondation caritative en 1979, tous ces éléments biographiques et bibliographiques sont certes susceptibles d’éclairer sa position politique et intellectuelle en la situant au sein d’un champ de discussion, mais ce ne sont pas des arguments valables pour réfuter la thèse dont Popper se sert pour invalider la théorie collectiviste de la « société » comme Tout auquel l’individu, qui n’est rien, serait soumis.
Refusant d’admettre l’existence de collectifs, comme les nations ou l’ensemble des élus, et d’entités abstraites, comme le “Tout”, le “monde” et la “nature”, Popper énonce une théorie “sociale” de la raison (et de la méthode scientifique) qui la conçoit comme une production interpersonnelle, et non pas impersonnelle ou collectiviste ; de même, les traditions et les institutions reposent sur des « relations personnelles concrètes », tout comme la structure de l’environnement social, la situation sociale (par exemple du marché économique), résultent d’actions et de décisions humaines, dont la responsabilité incombe aux individus, même s’ils n’en maîtrisent pas les répercussions imprévues. L’individualisme méthodologique de Popper va de pair avec un modèle interactionniste qui refuse l’idée même de processus impersonnels et d’entités collectives avec pour conséquence de s’enlever la possibilité de reconnaître les groupes sociaux qui sont effectivement agents du processus historique.
Écartant la conviction épistémologique de Popper d’après laquelle un contre-exemple ou une expérimentation suffirait, en sciences sociales, pour réfuter une théorie scientifique, il ne s’agit pas ici de même esquisser une réfutation de sa théorie générale de la société qui rejette comme abstraite toute catégorie permettant de dégager une structure impersonnelle et/ou d’identifier un groupe d’intérêts à l’origine d’une politique, par exemple impérialiste. Il suffira d’invoquer le caractère problématique du rapport entre les structures sociales et les initiatives personnelles pour réfuter l’idée même d’un consensus des sciences sociales en la matière. Marx n’est d’ailleurs pas le seul à tenter de repérer des lois historiques dans l’évolution des sociétés : Aristote, Machiavel ou Montesquieu s’y sont essayé à leur manière. L’effet contre-productif de l’assassinat de César, par exemple, peut être interprété comme un élément du processus historique qui mène de la République à l’Empire pour des raisons structurelles liées au mode de production, aux groupes d’intérêts, à l’emballement de la machine de guerre et de colonisation, aux pratiques culturelles, etc.
Il faut, à cet égard, bien distinguer le niveau individuel des initiatives conscientes et le plan structurel des causes et des effets inconscients des actions humaines. Par exemple, le conseil des Anciens chez les Amérindiens peut être compris comme un dispositif de rééquilibrage d’une société déséquilibrée par les processus structurels que sont la poussée démographique, la concentration sociologique et la montée en puissance des chefferies que Pierre Clastres constate chez les Tupi : les initiatives conscientes qui ont présidé à la mise en place de cette institution étant le fait d’individus qui défendent des intérêts qui les dépassent et dont ils n’ont pas nécessairement conscience, il est même possible à ce propos de parler d’un mouvement inconscient du politique. Plus généralement, les initiatives individuelles contribuent à produire des effets de structure, tout comme elles sont elles-mêmes le produit de ces structures qu’elles contribuent à renforcer, en général, mais qu’elles peuvent également perturber. Une théorie critique de la société a pour tâche de définir à qui profite le crime, le délit, l’entreprise, etc., sans s’inquiéter de savoir si le groupe d’individus qui cherche à satisfaire ses propres intérêts est conscient, ou ne l’est pas, de vouloir ou de ne pas vouloir agir dans le sens d’intérêts collectifs qui le déterminent et le dépassent. Comme Bourdieu l’a enseigné, ce modèle n’implique aucunement et requiert même d’éviter de postuler que les agents effectifs du processus soient des collectifs hypostasiés et essentialisés (genre sexué, classe sociale, nation, confession, culture, langue, etc.). La contribution bien connue de Marx aux sciences sociales a consisté à montrer le rôle fondamental que les conflits entre les intérêts économiques des groupes jouent dans la configuration du processus historique.
À concevoir la théorie marxiste de la société comme conspirationniste, Popper court le risque de laisser sa critique de la misère de l’historicisme dégénérer en misère de l’anti-complotisme, et ce à contre-sens de son propre dessein : critiquer la prétention scientifique de la théorie de Marx à prévoir l’avenir en prenant au sérieux les arguments avancés, au lieu de sombrer dans des procès d’intention historiciste, sociologiste ou psychologiste, qui enferment les positions dans les urnes préfabriquées d’un colombarium idéologique. S’inscrivant dans la lignée kantienne des Lumières, ce qui lui permet de rejeter à la fois l’autoritarisme en matière de discussion et l’intuitionnisme intellectuel des visionnaires, Popper défend en effet une société ouverte à la discussion libre des arguments en conflit, sur la base structurelle d’institutions et de coutumes démocratiques qui garantissent « la liberté de la pensée critique et le progrès de la science ». Mais cela suppose que ces institutions démocratiques soient publiquement et rationnellement contrôlées : il faut à tout prix empêcher que « le pouvoir politique opprime la critique libre », qui ne doit pas se laisser impressionner par les autorités. Autrement dit, l’argument d’autorité ne peut pas être invoqué pour réguler le débat contradictoire, conformément à l’adage kantien – rappelé par Popper – qui ouvre l’opuscule sur les Lumières : sapere aude, injonction à penser par soi-même plutôt qu’à se fier et se confier aux conseils des prêtres, des médecins ou… d’un Pouvoir (Caesar non est supra grammaticos) bien mal inspiré de soutenir le despotisme confessionnel de quelques tyrans dans l’État. Il y a confusion des genres lorsque l’autorité politique se mêle de science au point de la politiser, à l’instar des régimes totalitaires : Staline n’est pas plus linguiste que César n’est grammairien ou… médecin. Selon Kant, il n’y a pas de pire despotisme que le paternalisme soi-disant bienveillant d’un chef d’État infantilisant des citoyens jugés incapables de « distinguer ce qui est vraiment utile et nuisible » : c’est toujours au nom du bien-être du peuple que le pouvoir sacrifie leur droit fondamental à la liberté au lieu de laisser à chacun le soin d’être heureux à sa façon.
La cohorte des experts scientifiques en tout genre qui soutiennent de telles menées liberticides du pouvoir tombe sous le coup de la critique d’inspiration kantienne que Popper adresse à l’autoritarisme du « pseudo-rationalisme » de ces intellectuels prétendument infaillibles qui se soustraient à toute critique rationnelle et refusent toute discussion en se retranchant derrière le « dogmatisme exacerbé » d’interprétations générales qui sont des quasi-théories infalsifiables. Ce que Popper reproche à tort ou à raison au marxisme vulgaire, au sociologisme et à la psychanalyse vaut de toute façon, mutatis mutandis, pour le scientisme : autocratie et rationalisme critique étant incompatibles, il n’y a pas de discussion rationnelle sans théorie critiquable et sans « art d’entendre la critique » des arguments soutenant la théorie.
De ce point de vue, il convient de récuser comme irrecevable la « théorie » de la contamination idéologique qui prend prétexte de l’influence exercée par des individus ou des courants de pensée, jugés politiquement incorrects d’un certain point de vue (libéral, communiste, fasciste, etc.), pour se soustraire à tout débat contradictoire avec des personnes jugées infréquentables. Car la logique puriste de discrimination des interlocuteurs crédibles revient à se soumettre à l’argument d’autorité des pouvoirs en tout genre, qui s’autorisent à décréter sommairement persona non grata tout contestataire et entament à tout propos des procès d’intention en proférant des insultes infamantes, comme antisémite, fasciste ou complotiste !
Misère de l’anti-complotisme
Il est vrai que la théorie anti-complotiste fonctionne très bien dans le cas de l’idéologie anti-système d’une extrême droite prompte à dénoncer la corruption et la collusion totales de tous les agents économiques, médiatiques, politiciens, etc. Mais elle se fourvoie à diaboliser toute critique des décisions prises au sein du système en lui prêtant des traits complotistes. C’est toute la misère de l’anti-complotisme : faire des misères aux contestataires en sombrant en toute contradiction dans le schéma complotiste pour mieux les dénoncer, tout en se rendant aveugle à l’existence de groupes de pression qui manœuvrent en secret pour imposer leurs intérêts à la population en influençant les décideurs. Au service des autorités établies, l’idéologie anti-complotiste considère les complots effectifs comme un accident conjoncturel et, de ce fait, elle s’avère incapable d’en rendre compte comme d’un moment structurel du mode d’exercice du pouvoir à l’époque de la société de masse.
Par contraste, une théorie critique de la société qui a fait son deuil de tout prophétisme, comme de toute spéculation apocalyptique et millénariste, s’est par là même immunisée contre le complotisme sans renoncer, pour autant, à analyser les complots et autres programmes qui visent effectivement à soumettre les sociétés aux intérêts économiques et financiers de groupes capitalistes et productivistes (banques, industrie agro-alimentaire, GAFAM, etc.) par le moyen de négociations avec les pouvoirs publics. Car il faut retenir ce point décisif : le complot, la conjuration ou la conspiration d’intérêts entre des agents qui se concertent de manière intentionnellement secrète de façon à atteindre un but injuste, suffisamment en contradiction avec l’intérêt public pour qu’il ne puisse être rendu public, peut être conçu sans aucun complotisme, à la condition expresse que le groupement d’agents en question soit appréhendé de manière spatio-temporelle, et non pas essentialisé de façon intemporelle.
Il en existe de multiples exemples et, comme y invite F. Lordon, il convient de les penser de manière non complotiste. Se référant à un article du Los Angeles Times intitulé « Big Tobacco is Guilty of Conspiracy », (18 juin 2006), le guide officiel de l’anti-complotisme édité par la Commission européenne donne en ce sens l’exemple précis des grands cigarettiers qui, en 2006, ont été jugés par un tribunal fédéral des États-Unis « coupables d’entente délictueuse, pour avoir dissimulé pendant des dizaines d’années les preuves de risques sanitaires liés au tabagisme afin de continuer à développer leurs ventes ». Qu’est-ce qui prouve le contraire dans le cas actuel qui défraie les chroniques d’une pandémie dont la gestion, orchestrée de manière supra-nationale par l’Organisation mondiale de la santé, profite manifestement à l’industrie pharmaceutique ?
L’anti-complotisme doctrinal comme stratégie de désinformation
Pour en juger, imitant Karl Popper, on peut s’amuser à falsifier la théorie anti-complotiste que les institutions européennes se sont avisées d’insérer dans leur programme de lutte contre la prétendue désinformation à propos de la gestion de la crise sanitaire de 2019. Tirant les leçons « éclairées » des trois manuels, le guide officiel de la Commission européenne enjoint de « penser avant de partager », tout en préconisant de faire confiance aux autorités fiables et aux sources autorisés. C’est prendre le contrepied de Kant et Popper qui, à juste titre, définissent l’esprit critique de la pensée comme émancipé de l’argument d’autorité. Au contraire, les rédacteurs du guide opposent une doctrine officielle de la vérité factuelle aux théories du complot dont il s’agit de bloquer la propagation, pour protéger le public, en adoptant « les bons gestes » en cas d’exposition plus ou moins forte…
On notera que la rhétorique des gestes barrières préconisés pour enrayer la propagation du coronavirus a contaminé le discours décrivant les techniques de lutte contre la recrudescence, à l’occasion de cette pandémie, des théories complotistes. Le guide juge ces théories dangereuses pour trois raisons : elles désignent un ennemi en ciblant une catégorie de personnes ; elles « propagent la méfiance à l’égard des institutions publiques » et « des informations scientifiques et médicales ». La critique légitime des élucubrations complotistes, qui suppose une attitude « rationnelle de réflexion, de questionnement et de vérification des faits », dégénère malencontreusement en soupçon contre la suspicion soi-disant conspirationniste à l’endroit du récit officiel des événements. Semblant exclure a priori la possibilité d’une critique rationnellement fondée des rapports officiels, le guide énonce les critères qui permettent de reconnaître la “pensée” (sic) conspirationniste à l’œuvre dans les théories du complot relatives à la COVID-19 : « méfiance vis-à-vis des rapports officiels, imperméabilité aux preuves qui contredisent le complot, réinterprétation des événements aléatoires comme faisant partie d’un schéma global. » Comme si les événements apparemment aléatoires ne pouvaient pas s’insérer dans un processus global qui leur donnerait sens ! Comme s’il y avait des preuves irréfutables de l’absence de conspiration d’intérêts dans la gestion de la crise sanitaire ! Comme si les rapports officiels étaient parole d’évangile ! Pour bloquer la propagation virale de théories conspirationnistes, il faudrait donc se méfier des suspicions injustifiées et croire sur parole les autorités qui produisent le savoir officiellement validé.
S’épargnant une théorie critique de la preuve scientifique, le guide adopte à son tour une épistémologie factualiste qui lui permet de préconiser de « mettre en avant les faits essentiels, et non les théories du complot », sans discerner entre la théorie falsifiable d’un complot effectif et la construction idéologique d’une élucubration complotiste (selon le double sens du terme “théorie” que rappelle M. Girel). Selon la théorie de la connaissance admise par le guide dans lequel il n’est jamais question du financement privé de la recherche scientifique et médicale, l’autorité publique avalise la vérité objective qui est consensuellement produite et diffusée en deux temps trois mouvements. Il faut, en dernière instance, se fier aux sources… fiables d’informations corroborées : étayée par les sites web indépendants de vérification des faits, la source est citée par « plusieurs médias dignes de confiance », qui prennent le relais de la production scientifique de la vérité factuelle par des universitaires patentés. Tout est donc affaire de croyance ou de crédit accordé à la transmission médiatique des informations accréditées par le discours officiel des autorités publiques sur la base des preuves administrées, sur un ton objectif et factuel, par des auteurs qui font autorité en la matière : possédant des qualifications reconnues, « l’auteur se réfère à des faits vérifiables et à des éléments de preuve émanant de la recherche scientifique ou universitaire ». Reste que « l’information est soutenue par de nombreux scientifiques/universitaires », et non pas par tous. Il y a donc débat, et non pas consensus, sur des éléments de preuve qui ne peuvent pas se réduire aux informations factuelles à destination du grand public.
S’inspirant de tactiques d’anti-radicalisation dont l’efficacité reste à démontrer, l’anti-complotisme officiel croit naïvement pouvoir contrecarrer la croyance délirante aux élucubrations complotistes en invoquant des faits et des explications scientifiques. Mais, tout comme le conseil de montrer de l’empathie, cette injonction de privilégier les faits et la logique équivaut à se fier à une psychologie simpliste, qui ne semble pas avoir intégré les leçons de la psychanalyse freudienne à propos de la source pulsionnelle de la croyance (religieuse) qui est à l’origine d’une illusion affective sans commune mesure avec une erreur d’ordre logique. Loin de « stimuler la réflexion personnelle » des complotistes et de former l’esprit critique du public, le guide n’est capable que de prêcher des convaincus et, au lieu de produire la crédulité à laquelle il appelle, il ne peut que renforcer l’incrédulité des complotistes par rapport au récit officiel des événements. Cela risque d’autant plus d’être le cas que la doctrine officielle de l’anti-complotisme se complaît, en toute contradiction, à vouloir diaboliser le complotiste en le présentant comme un extrémiste cynique qui, dans le but de polariser la société de manière manichéenne, « diabolise toute personne qu’il suppose se trouver derrière la machination présumée », de façon à en faire un ennemi.
L’impression d’une contre-propagande caricaturale alarmera même les esprits critiques, affligés de constater que la contestation rationnelle du discours officiel sur l’origine du virus et sur la nature de la crise sanitaire passe pour complotiste. Il faudrait bien plutôt engager le débat à ce propos au lieu d’asséner des vérités contestables pour assimiler leur contestation à une forme de complotisme. Postulant, par exemple, que personne n’est responsable de la pandémie tout en reconnaissant que l’origine animale n’est pas confirmée par l’OMS, le guide considère comme complotiste l’affirmation contraire d’après laquelle « le virus aurait été conçu artificiellement (par exemple dans un laboratoire) par des personnes qui y trouvent un intérêt particulier (comme la réduction de la population mondiale) ». Mais il y a là deux affirmations bien distinctes : l’une porte sur l’origine du virus (artificielle et non naturelle) ; l’autre émet une hypothèse sur l’objectif poursuivi (en faisant allusion au dessein imputé à Bill Gates, sur la base d’un discours de 2010 qui porte – il faut corriger ce point – sur le taux envisageable de réduction de la progression de la population mondiale). Or il suffit de changer le contenu de la seconde parenthèse en substituant au terme réduction le terme protection (contre la pathologie virale) pour que l’énoncé, disqualifié comme complotiste par le guide, devienne sensé et validable rationnellement, dans la mesure où l’hypothèse contraire concernant l’origine naturelle du virus peut être jugée improbable, voire impossible, pour des raisons qu’il convient de réfuter au lieu d’écarter cette hypothèse théorique.
Pour achever de déconstruire ce très mauvais exemple de complotisme, il convient de noter que l’hypothèse de la fuite du virus hors d’un laboratoire à Wuhan ne serait pas même un complot : pour que ce soit le cas, il eût fallu que le virus soit disséminé dans un territoire ennemi. Il s’agit bien plutôt d’un événement aléatoire qu’il conviendrait d’expliquer, comme une conséquence statistiquement probable des expérimentations en vue d’obtenir un gain de fonction (à un niveau de sécurité 2), au lieu de l’imputer au hasard, comme tend à le faire croire le guide qui n’évoque à aucun moment les groupements d’intérêts dans le domaine de la santé. Pour aléatoire qu’il soit, l’accident en question n’était pas pour autant imprévisible.
Preuve en est le fait que la recherche techno-scientifique entreprise en la matière depuis 10 ou 15 ans constitue une réponse au scénario-catastrophe d’une pandémie mondiale qui fait même l’objet, depuis 2016, d’une simulation annuelle. La dernière en date, intitulée Event 201 (il en existe plusieurs vidéos), a réuni le 18 octobre 2019 seize représentants issus du Forum économique mondial, d’institutions publiques (agence de santé publique chinois et états-unien), d’ONG et de fondations privées (Bill & Melinda Gates), de laboratoires pharmaceutiques (Johnson& Johnson) ou d’entreprises privées (banques, etc.). Il n’y a aucun complotisme à envisager ce consortium d’intérêts qui se concertent, non pas en secret, mais publiquement, pour préparer une coopération efficace entre les secteurs privé et public dans l’objectif de lutter contre une pandémie mondiale selon un schéma que Bill Gates précisera en janvier 2021. Selon L. Astruc qui a analysé le « philanthrocapitalisme » de Bill Gates, dont la Fondation finance l’OMS à plus de 10 %, il n’y a pas de complot de sa part, mais il y a bien quelque chose comme une conspiration d’intérêts qui se targue d’être au service de la santé de l’humanité, et ce dans la lignée du dispositif néocolonial d’une aide au développement qui profite aux donateurs : le conflit d’intérêts est patent entre les prétextes caritatifs et les investissements dans des entreprises pharmaceutiques et agrochimiques qui bénéficient des initiatives de la Fondation ; celle-ci joue un « rôle décisionnel dans plusieurs organisations internationales de premier plan » sans avoir de compte à rendre, d’autant qu’elle « achète indirectement le silence des universitaires, des ONG et des médias ».
C’est sa fonction idéologique : l’accusation de complotisme fait écran à l’identification des intérêts en jeu et à la réflexion critique sur leur influence dans l’analyse et la gestion de l’épidémie. C’est ainsi que le guide officiel de la Commission européenne ne mentionne aucun groupe économique et/ou financier, il ne connaît que des personnes, comme Soros le philanthrope (dixit), et des groupes socio-culturels de type confessionnel ou correspondant à une orientation sexuelle.
Lumières sénatoriales sur une conspiration d’intérêts (le précédent de 2009)
Une telle cécité par rapport aux éventuels conflits d’intérêts qui pourraient avoir perturbé le diagnostic du risque sanitaire et le pronostic des solutions pour remédier à l’épidémie contraste avec la lucidité dont la commission d’enquête sur la grippe A du Sénat français a fait preuve dans le rapport, déposé le 29 juillet 2010, à propos de la gestion de l’épidémie de 2009. Il y est question de l’opacité de la gestion de la pandémie par l’OMS (p. 42), dont l’indépendance est mise à mal par le poids croissant des financements privés (80 %) compte tenu du fait que certaines fondations, comme celle de Bill Gates, ont des liens avec l’industrie pharmaceutique (p. 65-66). Car les prédictions alarmistes d’experts aux liens et aux conflits d’intérêts non déclarés ont conduit à une dramatisation excessive de la crise, avec déjà une référence marquée au cas de la grippe espagnole (p. 53), le but étant de commercialiser les vaccins en apeurant la population (p. 48-49) :
« Faute de ligne de séparation claire entre les experts, l’OMS et les laboratoires, l’influence de ces derniers sur les recommandations de l’OMS apparaît, par exemple, dans le rôle donné à la vaccination comme réponse à une pandémie grippale, à l’issue notamment de rencontres entre les industriels, les agences nationales et les représentants des gouvernements » (p. 56).
Le « soupçon d’abus d’influence » de la part de l’industrie pharmaceutique (p. 55) porte tout particulièrement sur le changement de définition de la pandémie qui, entre le 1er et le 9 mai, fait disparaître le critère de gravité, autorisant à prendre des mesures très lourdes et en fait disproportionnées au regard de la faible létalité du virus (p. 45-47, cf. p. 40-41) : limitation des déplacements, fermeture des établissements scolaires et des salles de spectacle, etc. (p. 18-19). Les plans ont en effet été calibrés sur une interprétation maximaliste du risque pandémique par une expertise, principalement épidémiologique, qui a surestimé le nombre de décès en considérant, à tort, que les hypothèses fondées sur une modélisation mathématique ont une valeur prédictive (p. 72-73). Tout autant que les conflits d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique, la logique de carrière scientifique découplée de l’expérience clinique et le poids des a priori, en particulier à propos de la vaccination de masse, ont engendré un consensus paralysant tout débat critique à propos des données factuelles à interpréter : l’expertise des laboratoires s’est imposée au détriment de l’expérience de terrain, alors même que les médecins généralistes en France ont assuré l’essentiel des soins, permettant d’éviter toute surcharge hospitalière (p. 79-85). Tout ceci a contribué à une sorte de préparation collective des esprits, et même à un « désir inconscient de pandémie » chez les chercheurs, qui s’est auto-alimenté avec l’accroissement de l’activité éditoriale autour de ce sujet (p. 33-34), et ce en corrélation avec les investissements de l’industrie pour produire les vaccins et les antiviraux conformément aux contrats passés avec l’État.
À ce propos, le rapporteur se demande si les autorités publiques n’ont pas renoncé à garder la maîtrise de la gestion de la crise en signant des contrats rigides et déséquilibrés, restés secrets, qui concèdent à un très petit nombre de fournisseurs industriels, en position de force, trois clauses défavorables : l’impossibilité de réviser les contrats en fonction de l’évolution du schéma vaccinal, le transfert à l’État de la responsabilité des producteurs et l’absence totale de maîtrise des approvisionnements (p. 10, cf. p. 102-113). Tous ces éléments, les intérêts en jeu et les mécanismes contractuels et institutionnels mis en place, se sont conjugués pour donner l’impression d’avoir affaire à une guerre à laquelle tout le monde s’était préparé, avec des armes lourdes pour répondre à une attaque massive :
« … un article du British Medical Journal (BMJ) avait comparé la préparation engagée depuis 2005 pour lutter contre la grippe aviaire à la “surpréparation” militaire qui a été à l’origine de la Première Guerre mondiale. Comme en 1914, un incident a suffi à lancer un processus qui ne pouvait plus être arrêté. Mais cet incident n’a pu survenir que parce que le critère de gravité a été retiré de la définition de la pandémie. » (p. 19)
On ne saurait mieux dire… et l’on ne saurait taxer de complotistes les sénateurs qui ont rédigé le rapport ! Par rapport à la guerre contre le virus déclarée par le chef d’État français en 2020, on a la nette impression d’avoir affaire, en 2009, à une sorte de répétition générale de ce qui passe depuis 2019. Comme si l’essai alors manqué avait réussi en 2020. Faut-il pour autant parler d’un complot des agents intéressés à la mise en œuvre de la politique sanitaire qui sévit depuis mars 2020 ?
Modèle anti-complotiste des conspirations d’intérêts
Il y a bien quelque chose comme une conspiration d’intérêts alarmistes qui a permis d’activer un programme de lutte contre l’épidémie de coronavirus qui s’est rapidement avéré disproportionné et tendancieusement orienté vers la vaccination de l’ensemble de la population. Mais, et c’est le seul point à concéder à Popper, ce serait une erreur et même une faute d’y voir un plan consciemment élaboré et réalisé par des acteurs mondiaux qui se concerteraient et s’accorderaient sur un tel programme global de soumission à leurs intérêts économiques et financiers des domaines vitaux de la santé et de l’alimentation, de l’éducation et de l’information, etc. Il faut renoncer à ce modèle théâtral de la mise en scène, pour la galerie, d’une tragédie shakespearienne, dont les échanges et les effets seraient prévus par un groupe de scénaristes omniscients et contrôlés en coulisses par toute une cohorte de sous-fifres généreusement payés. La misère du complotisme d’extrême droite consiste précisément à dénoncer le mondialisme en invoquant un tel schéma, monolithique et simpliste : la planification cynique, par des agents mondiaux tout-puissants, de la destruction des valeurs et des intérêts culturels des nations. Et, en contrecoup, la misère de l’anti-complotisme, au service des grands de ce monde, consiste à s’arc-bouter sur ce modèle simpliste pour nier et dénier l’existence d’un processus globalitaire, dont la gestion globalisée de la crise sanitaire mondiale sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé ne constitue qu’un élément parmi d’autres, au même titre que la gestion globalisée, sous l’égide de l’Organisation mondiale du commerce, de la circulation des capitaux et de ses conséquences de par le monde (crises financières mondiales et conflits économiques, etc.), sans parler des plans de lutte contre le réchauffement climatique.
Il faut changer de paradigme pour penser la mise en place de la gouvernance mondiale, dont l’apparition, lors du spectacle des grands sommets à Davos ou ailleurs (G 7, G 20 etc.), n’est qu’une mise en scène, trompeuse dans le sens où cette représentation donne l’impression que tout se passe en coulisses et, donc, que toutes les décisions importantes sont sciemment et secrètement prises dans les arcanes du pouvoir. C’est confondre la cristallisation finale du processus de décision et ce processus, pour partie aléatoire et même chaotique, qu’il conviendrait de penser, avec Deleuze et Guattari, comme une sorte de réseau rhizomique en amont de la structure arborescente qui apparaît au vu et au su de tout le monde comme un système hiérarchisé prenant l’apparence trompeuse d’une pyramide. Dans les réseaux souterrains de la gouvernance mondiale, les convergences se font et se défont, comme dans l’ensemble de la société, par liaisons et déliaisons d’intérêts, sans que les agents de la circulation des idées et des programmes ne puissent avoir pleinement conscience des tenants et des aboutissants du processus global : ils n’en perçoivent que la surface idéologique ou l’avantage substantiel que peut leur rapporter leur investissement (financier, économique, énergétique, etc.) et/ou leur collaboration à telle entreprise. La théorie critique de la société se doit d’élaborer un tel modèle rhizomique des conspirations d’intérêts pour rendre compte non seulement du processus globalitaire, mais de l’ensemble des processus de décision à tous les niveaux (supranational, continental, régional, national, local), sans réduire ces processus réels à des procédures institutionnelles. Le schéma complotiste est ainsi tout autant récusé que la critique de la théorie conspirationniste de la société que Popper impute au marxisme, avec pour conséquence de se rendre aveugle aux activités et aux manœuvres des groupes d’intérêt à tous les niveaux de la société globalisée.
En contrepoint du modèle de société qui vient d’être esquissé, la théorie critique se doit de penser l’espace public et privé de la circulation des idées et de la formation des opinions à une époque qui se singularise, d’une part, par la production industrielle d’informations et de désinformations à destination des agences de presse et, d’autre part, par la surproduction de sens et de non-sens au sein des réseaux « sociaux » mondialisés. La situation actuelle offre ainsi un parfait exemple de la dialectique des Lumières qu’Adorno et Horkheimer diagnostiquent comme un symptôme majeur de la crise des Temps modernes. L’injonction officielle de se soumettre par principe à l’argument d’autorité se réclame de la raison et, en contradiction avec la réalité antisociale du système capitaliste, le discours hégémonique que tiennent les autorités politiques, médiatiques et médicales, invoque même l’obligation morale et sociale d’être solidaire pour extorquer le consentement des gens à des mesures liberticides et nuisibles à leur santé.
Il faudrait analyser tous les paralogismes qui structurent le récit politico-médiatique de la crise sanitaire, comme la confusion entretenue entre croire et savoir. Il conviendrait de noter tous les amalgames idéologiques : par exemple, celui entre « antipass » et « antivax », alors même que l’appellation contrôlée de « vaccin » est contestée à propos de la technique d’immunisation par une nouvelle génération d’injections géniques. À cet égard, l’invocation du complotisme n’est qu’un moyen parmi d’autres de discréditer un discours raisonné et raisonnable en l’assimilant à des élucubrations irrationnelles. Un peu de retenue ! Quelle commune mesure y a-t-il entre les visions délirantes des illuminés qui dénoncent les manigances des illuminati ou du deep state, dans la lignée bien connue des fantasmes sur le prétendu protocole de Sion, et les analyses éclairées qui prétendent énoncer des doutes documentés sur la pertinence de la gestion protocolaire de la crise sanitaire ? Car on a bien affaire à une biopolitique médicale qui semble suivre un protocole fixé par l’instance supranationale de l’Organisation mondiale de la santé en réponse à une pathologie qui, de surcroît, est mal nomenclaturée (SARS-cov-2) en raison d’une focalisation sur la détresse respiratoire : le symptôme final consécutif aux coagulations en chaîne provoquées par l’inflammation initiale par le virus, et ce alors même qu’il était possible de soigner les patients par un cocktail allopathique d’anti-inflammatoires et d’antibiotiques, sans parler de la large gamme naturopathique des antiviraux et d’anti-inflammatoires naturels. Il faudra revenir un jour sur cette biopolitique protocolaire. Pour l’instant, il suffit de rappeler que la simple évocation d’une solution alternative à la vaccination préventive est immédiatement décriée comme relevant du charlatanisme, tout comme l’invocation de Big Pharma et la mention des collusions d’intérêts, qui résultent de la collaboration rémunérée des experts et des universitaires aux programmes de recherche de l’industrie pharmaceutique, sont idéologiquement disqualifiées comme complotistes.
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Désormais partie intégrante du discours politiquement correct qui complète et recouvre l’idéologie dominante, l’anti-complotisme qui circule dans les allées du pouvoir et dans les bureaux des rédactions a pris le relais de l’anti-populisme de l’élite politico-médiatique, et il a même pris les couleurs d’un antifascisme d’apparat, de façon à pouvoir dénoncer et insulter la masse des opposants prétendument irresponsables à la biopolitique actuelle en leur imputant une intenable position et/ou une posture caricaturale. Contribuant à effacer la ligne de démarcation entre théories du complot et contestation légitime des conspirations d’intérêt, ce discours anti-complotiste qui se propage de manière contagieuse a pour fonction de faire diversion en provoquant procès d’intention et polémiques stériles. Ce faisant, l’anti-complotisme des autorités en tout genre qui défilent sur les plateaux télévisuels fait des misères à l’esprit critique des Lumières en usant et abusant sans discernement de l’argument d’autorité. Comment un virologue ou épidémiologiste sans expérience clinique peut-il prétendre réfuter l’efficacité des prescriptions médicales d’un infectiologue de renommée mondiale qui dispose de données uniques en leur genre sur l’épidémie en question et sur son traitement pendant plus d’une année ? Quel titre de noblesse d’État donne le droit à la rédaction d’un journal de reprocher à un sociologue d’avoir outrepassé son domaine de compétence ?
À cet égard, on est en droit de se demander si Bourdieu aurait été autorisé par l’actuelle police de la pensée à allumer des contre-feux sur la télévision ou sur la domination masculine… ou si Kant le serait-il actuellement à disserter sur le conflit de la Faculté de philosophie avec la Faculté de médecine ou de théologie, alors qu’il a été censuré à ce propos par le roi de Prusse en 1793. Plus encore, on s’étonne que des journalistes patentés, qui se déclarent « spécialiste en santé », ne rendent pas publics les titres universitaires qui les autorisent à juger du sérieux des énoncés scientifiques d’infectiologues ou d’anthropologues de la santé. Ce serait pourtant un bon moyen de contenir les anathèmes anti-complotistes et autres déclarations à l’emporte-pièce que des incompétents notoires ne se gênent pas de diffuser dans le cirque virtuel pour entraver toute discussion à travers l’expression « pseudo-démocratique » de leurs opinions inconsidérées. Fort heureusement, le ridicule ne tue pas les polémistes qui, de mauvaise foi, veulent continuer à confondre élucubrations complotistes et hypothèses subversives sur des conspirations d’intérêts dont il eût fallu proposer une analyse critique.
[1] Voir l’extrait de cet ouvrage publié dans Le Monde diplomatique de septembre 2012 sous le titre Le style paranoïaque en politique : « Le trait distinctif du discours paranoïaque ne tient pas à ce que ses adeptes voient des complots çà et là au cours de l’histoire, mais au fait que, à leurs yeux, une « vaste » et « gigantesque » conspiration constitue la force motrice des événements historiques. L’histoire est une conspiration, ourdie par des forces dotées d’une puissance quasi transcendante et qui ne peuvent être vaincues qu’au terme d’une croisade sans limites. L’adepte du discours paranoïaque appréhende l’issue de cette conspiration en termes apocalyptiques. »
[2] L’expression « conspiracy theory of society » n’apparaît pas dans le passage de la première édition (p. 89-90) qui est amendé dans le contexte de la guerre froide, en 1950 (date de la préface de la seconde édition qui sera citée) : Karl Popper, The Open Society and Its Enemies (1952), Routledge & Kegan Paul, London, fourth edition (revised), 1962, vol. II, p. 93-96. Cet amendement n’a pas été traduit dans l’édition française, qui avait décidé d’abréger un certain nombre de passages (dixit), mais il y en a une sorte de résumé : La société ouverte et ses ennemis (t. 2 : Hegel et Marx), éditions du Seuil, 1979 [1962-1966], p. 67-68 (chap. 14). Comme la note 6 l’indique, les deux paragraphes qui abrègent les deux pages et demi de l’édition révisée s’inspirent en fait d’un passage d’un autre ouvrage, dédié à Hayek, dans lequel Popper répond aux objections faites à La société ouverte et ses ennemis : Karl Popper, Conjectures and refutations, Basic Books, London & New York, 1962, p. 341.