J'ai écouté hier un très bon argumentaire sur France Culture
au sujet de l'immigration, par Agnès Bénassy-Quéré, voici le texte : "Le plombier bulgare a bon dos"
Le 1er janvier, les dernières restrictions à la libre
circulation ont été levées au sein de l’Union européenne. Désormais, les
travailleurs bulgares et roumains peuvent postuler à presque tous les emplois
en France (hormis certains emplois publics). Cette libéralisation, qui ne
touche pas que la France, a suscité un certain émoi. Hans-Werner Sinn,
économiste réputé en Allemagne, a dénoncé le risque de « tourisme social », les
migrants venant profiter de la protection sociale allemande.
Quant au Premier ministre britannique David Cameron, il
réclame que la libre circulation soit réservée aux ressortissant d’Etats de
l’Union ayant atteint un certain seuil de PIB par habitant et que des quotas
puissent être imposés par Etat membre. Ces prises de position tournent le dos à
une abondante littérature spécialisée démontrant les bienfaits de l’immigration
en matière de croissance économique et leur relative neutralité sur les comptes
sociaux.
D’abord, la croissance. La corrélation positive entre
immigration et croissance ne doit pas nous abuser : un pays dynamique délivre
plus volontiers des visas et il attire naturellement les travailleurs
étrangers. Ainsi, une croissance robuste stimule l’immigration. Pour
correctement évaluer l’effet de l’immigration sur le PIB, il faut tenir compte
de cette causalité inverse, du PIB vers l’immigration. Deux études récentes,
réalisées par des chercheurs français, analysent les relations croisées entre
croissance, chômage et immigration, sur des périodes récentes, pour les pays de
l’OCDE et pour la France. Dans les deux cas, l’immigration a sans ambiguïté un
effet positif sur la croissance et un effet négatif ou nul sur le chômage.
L’étude réalisée sur la France va plus loin en montrant
qu’on a tort d’opposer immigration de travail et immigration familiale : les
deux sont favorables à la croissance ; en particulier, l’arrivées de femmes en
provenance de pays en développement pourrait favoriser, par les services
qu’elles sont prêtes à offrir, la participation des femmes françaises au marché
du travail .
Intéressons-nous maintenant aux comptes sociaux. On sait que
les personnes immigrées, notamment celles en provenance de pays en
développement, ont une probabilité plus élevée que les populations autochtones
de recevoir des allocations familiales, des aides au logement, un RSA.
Néanmoins, l’arrivée régulière d’immigrés, généralement peu âgés, tend à
rajeunir notre population. Or près de 80% des dépenses sociales sont consacrées
à la retraite et à la santé. Quand on met bout à bout tous les effets, on
trouve un bilan neutre ou bien légèrement positif de l’immigration pour les
comptes sociaux : les immigrés ne sont ni un boulet social, ni la solution à
nos déficits !
Alors, pourquoi tant d’affolement au sujet de l’immigration
? C’est bien sûr moins le nombre d’immigrés, modeste en France par rapport à
d’autres pays développés, que la question de l’intégration qui suscite de
l’inquiétude. Pourquoi les enfants
d’immigrés, élevés à l’Ecole de la République, ont-ils si souvent du mal à
s’intégrer dans la société française ? L’immigration nous renvoie à nos propres
échecs. Alors, n’est-il pas plus confortable d’accuser les immigrés que de
remettre en cause nos méthodes ? Le plombier bulgare a bon dos."
B.Youssef / Médiapart