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Pollution Paris
Les conditions atmosphériques exceptionnelles qui se sont imposées à la France cette semaine ont ouvert une fenêtre médiatique écologique et ont conduit à agiter le spectre pékinois de la circulation alternée sur les grandes villes. 40 millions d’automobilistes est venu incriminer les centrales au charbon allemandes et les poêles à bois d’Europe du Nord pour dire combien la mesure serait inefficace.

L’association écologiste Respire incriminait quant à elle le "trio mafieux État-constructeurs automobiles-pétroliers" et portait plainte contre X. Même s'il restera difficile politiquement de trouver entre ces radicalismes incompatibles un point d’équilibre, il n’en reste pas moins qu’un tel épisode ranime le débat et fournit une nouvelle occasion collective de rechercher les voies d’un développement automobile soutenable. 

Respire prend quelques distances avec le penchant punitif qui a longtemps rendu la posture écologiste inaudible et Nadir Saifi déclare au Figaro : "On n'est pas là pour sanctionner les gens qui vivent une double peine, l'impact de la pollution sur leur santé et un pouvoir d'achat en berne avec toute les taxes sur l'automobile. Ce que nous demandons, c'est une vraie fiscalité incitative sur les voitures et carburants propres." C’est bien sûr assez démagogique puisque cela revient à demander au budget exsangue de l’Etat de régler la question mais cela a le mérite tout de même d’indiquer que la voiture propre est d’abord un problème financier et social.

On se rappelle qu’il y a six ans, J.-C. Puerto s’était fait remarquer avec sa célèbre publicité pour Ucar dont le slogan était : "les pauvres sont dégueulasses, ils polluent". Il proposait alors de développer pour remplacer des véhicules anciens et polluant achetés d’occasion une formule de location longue durée de petites voitures essence 5 places (des Hyundai I10) et d’assortir la location d’options de locations pour de plus grandes voitures quelques week-ends par an.

Son calcul de TCO faisait apparaître qu’un utilisateur de vieille R19 diesel serait gagnant. Il avait raison mais son initiative est restée individuelle et le problème est resté entier. On ne cesse de tourner autour mais, malgré tout l’intérêt que les business de l’automobile comme la société auraient à changer de modèle, on ne structure réellement ni les incitations ni les contraintes dont on aurait besoin pour y parvenir.

Ce qui est en cause au fond, c’est ce que l’on peut appeler une gestion extensive du parc : comme il y a une agriculture extensive qui produit peu de quintaux en utilisant beaucoup de terre, nous générons nos déplacements automobiles en utilisant un très grand nombre de voitures qui roulent très peu et de moins en moins.

Comme, depuis la suppression de la vignette, il ne coute presque rien de les détenir quelle que soit leur taille et leur état, nous ne nous en privons pas. Le résultat est que nous avons un parc énorme, vieillissant et très hétérogène dont l’état n’est pas contrôlable par la maréchaussée ni sur le plan sécuritaire, ni sur le plan écologique.

Le résultat est aussi que, lorsque l’on développe des technologies plus propres, elles se diffusent très lentement et ne produisent leurs bienfaits qu’après des années à condition que l’intégrité des caractéristiques théoriques des véhicules affichées par le constructeur en sortie d’usine aient été préservées par l’entretien effectué par ses détenteurs successifs.

Le primo-détenteur qui a acheté son véhicule cher et a éventuellement bénéficié d’une aide pour acheter plus propre est soucieux de préserver son capital et fait de ce point de vue ce qui est nécessaire. Pour le second, le troisième ou le quatrième détenteur du véhicule qui l’ont acheté au tiers ou au dixième du prix neuf, le problème est simplement de pouvoir rouler et éventuellement de passer le contrôle technique. Il se débrouille pour que ce soit le cas mais n’a pas les moyens de fréquenter pour cela un réseau de marque qui lui serine que sa voiture est aussi compliquée qu’un Airbus des années 70.

Ainsi, géré de fait par les ménages de manière extensive, le parc est ingouvernable car ce que l’on peut demander aux uns ne peut être exigé des autres. De la même manière que, dans bien des cas, on ne peut exiger des ménages qu’ils renoncent à leurs voitures parce qu’ils n’ont pas du côté des transports en commun ou des "modes doux" (vélo ou marche à pied) d’alternatives crédibles, on ne peut exiger de beaucoup d’entre eux qu’ils s’équipent de véhicules propres et les entretiennent pour qu’ils le restent.

En effet, pour une large majorité de la population, le seul mode d’équipement accessible est l’achat d’un VO ancien qui est d’autant moins cher qu’on en sait peu sur la manière dont il a été entretenu et qu’on entretient a minima.

Il en résulte que la solution passe, d’une manière ou d’une autre, par des solutions à la Puerto qui renvoient à un modèle intensif qui consistent à rechercher le même service avec un parc moindre de plus petits véhicules plus jeunes et partagés. Autant que les technologies, c’est cette mutation qu’il faut entreprendre pour rendre le parc gouvernable.

La circulation alternée est un outil qui peut y inciter en mettant à l’abri de cette contrainte ceux qui roulent propre ou partagent. La vignette en est un autre qui, comme le coût du parking, rend le coût de détention d’un véhicule non nul, incite à ne pas en être propriétaire et son montant peut varier en fonction de la place qu’elle prend. Pour peu qu'émergent des alternatives crédibles de type ALM (Automobile à Loyer Modéré) à l’équipement en véhicules d’occasion anciens, toutes ces mesures pourront être prises et permettre le passage à une gestion intensive du parc.

La chronique de Bernard Jullien, Maître de Conférence à l'Université de Bordeaux et conseiller scientifique de la Chaire de Management des Réseaux du Groupe Essca.

 
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