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La chanteuse revient avec un album très attendu, Homeland, après son succès de 2010 avec "Beautiful Tango". Entretien. Propos recueillis par Hassina Mechaï lepoint.fr

Dans la foulée du succès de cet entêtant et souple "Beautiful Tango" était sorti son premier album, Handmade, évident succès critique et public qui lui vaudra le prix Constantin et une Victoire de la musique. Son vibrato si particulier est toujours là, léger et dense à la fois. Dans Homeland, son nouvel album, on retrouve également tout l’univers musical de Hindi Zahra, rythmes blues, jazzy, capverdien, gnawa, gypsie aussi qui font au final sa signature artistique si singulière. En berbère, en anglais et en français, Hindi Zahra égrène avec grâce à travers onze morceaux sa mélancolie mélodieuse et sa nonchalance rythmée. Artiste complète, peintre mais aussi actrice, on a pu aussi la voir en épouse de Tahar Rahim dans le beau film du Turc Fatih Akin et elle vient de tourner dans le film de la réalisatrice irako-marocaine Tala Haddid, The Narrow Frame of Midnight. Entretien.


Le Point Afrique : Pourquoi ce titre, Homeland ?
Hind Zahra : J’ai commencé à écrire et à enregistrer au Maroc, et ce mot, "Homeland", revenait constamment dans mon esprit. C’est d’autant plus étrange que je voulais le réaliser dans mon pays pour donner à cet album une dimension plus marocaine que le précédent, mais le résultat ne l’est pas tant que cela. J’y ai mis des influences de musiques très différentes, la musique du Cap Vert, du Brésil, de l’Iran, de Cuba, de l’Inde. Mais au final, cet album est peut-être comme le Maroc qui porte aussi toutes sortes de traditions différentes, entre l’Afrique, l’Europe, la Méditerranée. Ma musique est comme mon pays, d’un peu partout. Cette question du Homeland, la question du "chez-soi" m’intéresse aussi beaucoup : est-ce son pays natal forcément ou est-ce que cela peut être n’importe quel pays avec lequel on a des afffinités ?

Et votre réponse personnelle ?
Je pense que c’est à l’intérieur, car dans le cœur, il peut y avoir plusieurs pays qui cohabitent. Je suis marocaine, mais je me retrouve aussi dans d’autres ailleurs multiples.

Comment qualifier votre musique ? Elle semble si multiple qu’on ne sait pas dans quelle catégorie la mettre…

Tant mieux (rires). J’ai pu entendre "musique du monde". Pourquoi pas, je ne suis pas contre. Effectivement, j’ai des influences du monde entier. Notre génération de musiciens, nourrie à de multiples sources, se définit de moins en moins dans un seul style. Même moi qui pourtant ai créé ma musique, je ne peux pas la qualifier parce que je souhaite absolument garder cette diversité de sons sans avoir à me plier à une étiquette particulière. Ceux qui qualifient de force ma musique s’enferment dans une vision, mais ils ne m’enferment pas, moi.

Vous chantez pour la première fois en français. Il y a aussi des textes en anglais, en berbère. Comment choisissez-vous dans quelle langue vous allez écrire ?

Ce sont les langues qui me choisissent et ce sont elles qui choisissent les chansons. Quand je commence à écrire, j’ai parfois un simple gimmick qui me vient en tête, et je continue alors dans la langue qui s’est imposée.

La chanson en français "Un jour" a quelque chose de Barbara…
Merci… C’est drôle que vous me disiez cela. Cela me touche car c’est quelqu’un que j’écoute beaucoup. Elle et Françoise Hardy m’ont beaucoup accompagnée avant la composition. J’aime leur écriture et leur mélancolie, leur spleen élégant.

Vous êtes également peintre. Travaillez-vous votre musique comme vos toiles ?
Oui, les deux types de création sont liés. Au Maroc, j’avais mon atelier, ma guitare, mon studio, et je passais de l’un à l’autre. Comme pour la peinture, ce sont des couches que je superpose l’une après l’autre. Après, je laisse reposer un temps, ajoute ceci, enlève cela. Je travaille toujours plusieurs toiles en même temps, comme je travaille plusieurs chansons en même temps. J’attends que cela prenne forme, je m’en éloigne, oublie, y reviens. Au Maroc, on dit en berbère quand on pétrit la pâte du pain "ajit ayi khmel", "laisse le levain prendre" ; c’est pareil, je laisse reposer la toile ou la chanson pour que cela prenne…

Comment est venu le désir de chanter en berbère sur des compositions non traditionnelles ?
En raison de son articulation, la langue berbère est plus facile à utiliser dans le chant que l’arabe par exemple. Le berbère s’apparente en cela à l’anglais qui est aussi une langue souple pour chanter. De toute façon, je n’aurais pas pu chanter le berbère de façon traditionnelle comme le font au Maroc les grandes chanteuses. Ce qui m’intéressait était justement de faire sortir cette langue de son circuit traditionnel et de la faire partager.

Votre culture natale et familiale tient visiblement une grande place dans vos influences ?
Ma mère faisait du théâtre mais n’a pas mener à terme son histoire artistique. Quelque part je pense que je la continue pour elle. Ma famille est une famille de musiciens, de percussionnistes célèbres au Maroc. Ils s’inscrivaient dans une tradition de musique marocaine mais, d’un autre côté, collectionnaient les vinyles de rock, jazz, blues. Dans ma famille où plusieurs générations se côtoyaient, ma grand-mère écoutait de la musique berbère, ma mère écoutait Fairouz et Oum Kheltoum, mes oncles du reggae, du chaâbi, du blues. Et moi, j’écoutais de la musique noire américaine. Donc cela m’était un peu naturel de composer et de chanter. Et puis, la première fois que je suis montée sur scène, ce n’était plus négociable, j’étais à ma place.

Votre album contient des sonorités africaines, jazz, capverdienne, mais ne peut être qualifié d’oriental…
Tout simplement parce que je ne suis pas orientale en fait et que je ne fais pas de la musique arabe. Vu de France, le Maghreb est arabe, mais ce n’est pas si simple. Déjà, la musique arabe n’existe pas en tant que telle, mais a connu les influences phéniciennes, perses et indiennes. Cette notion d’Orient est une notion floue. Le Moyen-Orient a son histoire et sa culture, le Maghreb et l’Afrique ont les leurs. Pourquoi la musique des Balkans, qui a connu plus l’influence du Moyen-Orient que le Maroc, n’est-elle pas qualifiée de musique orientale ? Pourquoi qualifie-t-on systématiquement la musique maghrébine d’orientale et pas d’africaine ? Au-delà, c’est toute la question de l’identité qui se pose aussi. Le Maghreb doit redécouvrir son africanité, regarder vers le sud, et cesser de regarder vers l’est ou vers le nord. On nomme tout le monde "Arabe", mais le Maghreb n’est pas habité par des Arabes mais par des Africains du Nord.

L’Afrique tient une place à part pour vous ?
L’Afrique ne serait-elle pas à la hauteur de ce qui se passe dans le monde et ne pourrait-elle pas apporter à la culture du monde quelque chose de plus important que son or, son uranium ? Ma réponse est oui, définitivement. Je suis passionnée par la culture africaine. Par exemple, j’ai étudié certaines cosmogonies africaines qui racontent l’évolution de la vie sur Terre par symbolismes, ce que la science moderne a validé seulement avec Darwin. Quand je vois l’intelligence et la complexité des organisations de certaines sociétés africaines, je me dis qu’on a tout à apprendre encore. Par exemple les Pygmées ne tolèrent que des organisations humaines de 30 personnes et pas plus, parce qu’au-delà, c’est ingérable. Dans la société kabyle, un homme ayant commis un crime de sang ne pouvait échapper au bannissement que si une femme symboliquement lui mettait un voile sur la tête en guise de protection. Les deux seuls peuples à avoir connu des femmes guerrières sont les Celtes et les Berbères. La démocratie était connue dans les sociétés berbères à travers l’organisation de la Tajmaât, ces assemblées qui réglaient la vie sociale en dehors de toute interférence du religieux. Le berbère, c’est 6 000 ans de culture, du Maroc à l’Égypte, avec des ramifications profondes en Afrique subsaharienne. C’est une culture vivante et qui doit le rester. Tout cela est précieux à étudier et à conserver.

* Hindi Zahra, en concert, entre autres dates, le 20 et 21 avril à Istanbul, le 27 avril au Printemps de Bourges, le 20 mai à Paris, à La Cigale.





 
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