Depuis un an, le Kosovo, le Monténégro, l’Albanie, mais aussi la Bosnie-Herzégovine, la Croatie et la Serbie sont affectés par le plus grand mouvement d’exil jamais enregistré en temps de paix. Ces migrants ont pourtant peu de chances d’obtenir l’asile en Europe occidentale.
« À Pljevlja, il n’y a plus personne, tout le monde est parti », dit Kenan, un jeune homme originaire de cette ville du nord du Monténégro, où il était jusqu’à présent très engagé dans les activités de la société civile. Il vient de passer son bac et, dès le mois de juillet, il a pris la route de la Norvège, où un de ses cousins vit déjà. Son objectif : trouver un boulot et, s’il le peut, un jour, reprendre des études. Pljevlja est un petit centre industriel de 25 000 habitants ....
« À Pljevlja, il n’y a plus personne, tout le monde est parti », dit Kenan, un jeune homme originaire de cette ville du nord du Monténégro, où il était jusqu’à présent très engagé dans les activités de la société civile. Il vient de passer son bac et, dès le mois de juillet, il a pris la route de la Norvège, où un de ses cousins vit déjà. Son objectif : trouver un boulot et, s’il le peut, un jour, reprendre des études. Pljevlja est un petit centre industriel de 25 000 habitants ....
Au printemps 2015, le phénomène s’est brusquement emballé. Depuis le mois d’avril, au moins 10 000 Bosniaques du Monténégro ont pris le chemin de l'exil – soit près de 10 % de la population du nord du pays. La plupart sont partis pour l'Allemagne, plus précisément la Basse-Saxe. Ils se sont installés dans les villes de Goslar et de Brunswick, d’abord bien accueillis car cette région, touchée par la crise démographique, a besoin de main-d’œuvre.
L’ampleur du flot a fini par inquiéter les autorités allemandes, tandis que celles du Monténégro jouent la politique de l’autruche. Dans des communes comme Rožaje, Berane ou Bijelo Polje, pétrifiées par vingt années de « transition » et de crise économique, beaucoup d’écoles ont ouvert leurs portes sur des salles de classe vide à cette rentrée. Quand il a été signifié aux Bosniaques du Monténégro qu’ils n’avaient aucune chance d’obtenir l’asile ni le moindre statut en Allemagne, ils ont aussitôt répondu qu’ils étaient prêts à entamer une grève de la faim ou à mourir sur place, mais qu’ils ne rentreraient pas au Monténégro.
Ce grand exode des Bosniaques du Monténégro fait suite à celui des Kosovars : au moins 100 000 sont partis entre novembre 2014 et février 2015. Pour le moment, aucun phénomène significatif de retour – volontaire ou forcé – n’a été enregistré. Pourtant, l’avenir de ces demandeurs d’asile est très incertain. Au moment même où l’Allemagne ouvre ses portes aux réfugiés de Syrie, le directeur de l’Agence fédérale des migrations et des réfugiés, Manfred Schmidt, interrogé dans le Spiegel avant qu'il ne démissionne le 17 septembre « pour des raisons d'ordre personnel », assure que les autorités allemandes refuseront la quasi-totalité des demandes d’asile soumises par des ressortissants des pays des Balkans occidentaux.
Pour le premier semestre 2015, 180 000 demandes d’asile ont été enregistrées en Allemagne, dont 31 400 par les seuls ressortissants du Kosovo. En tout, les demandes d’asile provenant des Balkans occidentaux s’élevaient à 78 000, soit un chiffre en augmentation de 132 % par rapport à l’année précédente.
L’émigration est une vieille tradition dans les Balkans. La Yougoslavie socialiste avait elle-même facilité le phénomène, en signant, dès les années 1950, des conventions aussi bien avec l’Allemagne qu’avec la Turquie. Le pays limitait le chômage en exportant de la main-d’œuvre surnuméraire, tandis que les Gastarbeiter renvoyaient de précieuses sommes d’argent à leur famille. Slavisé en gastarbajteri, le terme est même devenu usuel dans tous les pays de l’ancienne Fédération pour désigner les émigrés.
Avec les guerres des années 1990 ....
Une première ligne avant l'espace Schengen
L’Union européenne (UE) avait conféré une fonction de sas aux pays des Balkans, chargés de tenir une « première ligne avancée de défense » avant l’espace Schengen. Même si les flux n’ont pas cessé de croître depuis cinq ans, la région n’a pourtant jamais été considérée comme une priorité par la mission Frontex. Elle s’est contentée d’envoyer quelques conseillers auprès des polices et des services des douanes. L’UE n’a pas davantage dégagé de lignes de crédits conséquentes pour aider ces pays à faire face à leurs obligations d’accueil...
... La crise des réfugiés a, en effet, provoqué des dynamiques inattendues dans les sociétés de la région. Les réactions de peur et de rejet sont toujours restées marginales, alors que la compassion et la solidarité l’ont emporté. « Nous avons, nous aussi, connu la guerre et l’exil », répètent les citoyens serbes et macédoniens. Partie de Macédoine, une très efficace chaîne de solidarité s'est mise en place pour accompagner les réfugiés tout au long de leur parcours. Des groupes de volontaires sont même partis de Croatie pour prêter main-forte aux bénévoles de Serbie...
.... La crise des réfugiés est donc en train de rebattre beaucoup de cartes politiques dans la région – d’autant que l’UE n’a pas fait preuve, jusqu’à présent, de ses capacités de solidarité. En juillet, elle a octroyé une aide exceptionnelle de 90 000 euros à la Macédoine et de 150 000 euros à la Serbie. Fin août, la Commission européenne a finalement promis 6 millions d’euros aux deux pays, mais même cette somme paraît bien dérisoire....
En 2013, 25 000 Croates se sont légalement installés en Allemagne, mais le phénomène connaît une croissance exponentielle. Des dizaines d’autocars quittent chaque soir Zagreb et les grandes villes du pays, tandis que, sur Facebook, le groupe « Idemo u svijet – Njemacka » (« Allons dans le monde, en Allemagne ») regroupe des milliers de personnes qui échangent des tuyaux sur l’expatriation. Les conséquences de cet exode se font sentir : la Croatie manque déjà d’infirmières et de médecins, tous partis vers la « Terre promise »...
Il en va de même pour les citoyens de Bosnie-Herzégovine, toutes communautés nationales confondues. Selon l’Union pour un retour durable et l’intégration en Bosnie-Herzégovine, au moins 80 000 personnes ont quitté les seules régions orientales du pays en 2014, et l’association note que ce sont désormais des familles entières, et non plus seulement des jeunes hommes qui partent...
Cependant, dans ce pays où le chômage réel touche près de la moitié de la population active, l’exode concerne avant tout les diplômés, cette fuite des cerveaux obérant toutes les possibilités futures de développement. En 2014, 2 300 personnes ont trouvé un emploi à l’étranger grâce à l’Agence pour l’emploi de Bosnie-Herzégovine. Un appel public avait en effet était diffusé pour embaucher des médecins en Allemagne, à un salaire mensuel de 2 000 euros, quatre à cinq fois plus élevé qu’en Bosnie-Herzégovine...
... Lors du Sommet européen de juin 2001 à Thessalonique, l’UE avait garanti une « promesse d’intégration » à tous les pays des « Balkans occidentaux » : quatorze ans plus tard, cette perspective ne s’est concrétisée que pour un seul pays, la Croatie, tandis que la région n’a guère vocation qu’à servir de limes à une Union européenne en crise. Dans l’Empire romain, le limes était une large bande frontière, soumise à d’incessants mouvements de population, où les « barbares » devaient peu à peu se romaniser, et que ses habitants fuyaient dès qu’ils en avaient l’opportunité. Est-ce ainsi que se redessine la géographie européenne ?
Par Jean-Arnault Dérens
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