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Étienne Klein interroge sur l’origine de l’Univers et la capacité de l’humain à penser le Commencement sur TEDxParis 2011.



Transcription de la conférence :
Bonjour, merci pour cette présentation.
Alors, un physicien, c’est un homme, ou une femme, mais quand c’est une femme on dit plutôt une physicienne, enfin c’est quelqu’un qui a deux problèmes à résoudre : le premier problème, c’est de déterminer quel est le lien qui existe entre les théories physiques qu’il utilise pour décrire le réel, la nature, le monde physique, et puis ce monde physique.

Est-ce que ces théories disent quelque chose de la nature ?
Est-ce qu’elles entrent en contact avec elle ?
Est-ce qu’elles l’épousent même localement ?
Ou est-ce qu’elles divaguent ?
Est-ce qu’elles disent le vague ?

Et pour répondre à cette question les physiciens font des expériences de toutes les tailles possibles, parfois de très grande taille, pour tenter de voir si leurs théories rencontrent, partiellement ou totalement, la réalité physique.

Mais il y a un deuxième problème dont on parle moins, c’est de déterminer le lien qu’il faut établir entre ce que nous appelons la physique et puis le langage ordinaire.

Comment dire ce que nous savons ?

Le langage naturel de la physique, depuis Galilée, ce sont les mathématiques. Donc les physiciens écrivent des équations.

Les mathématiques c’est une sorte de chinois, de langue chinoise, pour beaucoup d’entre nous, et comme l’a très bien dit Lacan : « Tout le monde n’a pas le bonheur de parler Chinois dans sa propre langue. »

Et donc si on veut traduire pour le public les connaissances que nous avons acquises grâce à la physique, il faut creuser la langue pour y installer une sorte de langue étrangère, qui nous fournira le moyen de dire, dans la langue, après l’avoir travaillée, ce que la physique nous a appris.

Et c’est cette question qui m’intéresse aujourd’hui, et je vais la traiter en prenant comme sujet l’origine de l’Univers.

Est-ce que nous parlons bien de l’origine de l’univers ?
Et nos discours sur elle rendent-ils justice à ce que nous savons de l’origine de l’univers ?

C’est une question qui est presque une question politique, puisque comme vous le savez, dire ce qu’a été l’origine de l’univers, c’est toujours prendre un certain pouvoir sur les esprits. Et certains nous parlent de l’origine de l’univers comme s’ils en revenaient directement par une navette spatiale.

Et donc comment parlons-nous de l’origine de l’univers ?

Eh bien, au XXème siècle, comme vous le savez, on a découvert que l’univers a eu une histoire, et continue d’en avoir une. Et quand je dis l’univers, je veux dire l’Univers. Je ne veux pas dire une partie de l’univers. Je veux dire l’univers en tant que tel, c’est-à-dire en tant qu’objet physique.

Pendant longtemps, on a pensé que l’univers c’était l’enveloppe de tous les éléments physiques, en fait c’est lui-même un élément physique, c’est un objet physique qui a des propriétés globales qui ne sont pas réductibles à des propriétés locales.

Et comment est-ce qu’on a découvert cela ?

Par la succession de deux événements très importants.
Le premier, c’est l’élaboration par Einstein en 1915, en fait il a travaillé entre 1907 et 1915 à une nouvelle théorie de la gravitation qui s’appelle la théorie de la relativité générale. C’est cette théorie qu’on utilise pour décrire l’univers — puisque c’est la gravitation qui domine à grande échelle — et qui permet — je parle de la théorie — d’attribuer à l’univers en tant que tel des propriétés physiques. Par exemple une courbure globale, déterminée par son contenu matériel et énergétique.

Et le deuxième événement, c’est une découverte, résultant d’une observation faite par un astronome qui s’appelle Hubble, qui a observé le mouvement des galaxies, et qui s’est rendu compte à la fin des années 1920 que les galaxies s’éloignent les unes des autres d’autant plus rapidement qu’elles sont plus éloignées les unes des autres. Et quand vous mettez ces deux événements ensemble, et que vous extrapolez vers le passé, c’est-à-dire vous regardez le temps se déroulant dans l’autre sens, vous allez de plus en plus loin vers le passé, vous constatez que l’univers, plus il est loin dans le passé, plus il est petit, plus il est dense, et plus il est chaud. Et lorsque vous extrapolez jusqu’au bout, vous tombez sur ce qu’on appelle une singularité initiale.

C’est-à-dire un univers ponctuel, alors ponctuel ça veut pas dire qu’il est arrivé à l’heure. Ça veut dire qu’il a la taille d’un point. Il a la taille d’un point, sa densité est infinie, et sa température est infinie.

Et c’est cette singularité initiale qu’on associe souvent à un instant zéro, qu’on appelle le Big Bang. Expression qui a été inventée dans les années 1950, et que chacun d’entre vous connaît bien. Et c’est la suite de l’histoire qui est intéressante. Parce que cette découverte scientifique s’est faite dans une culture, la nôtre, qui promeut l’idée que l’univers a été créé.

Et il y a eu donc une sorte de conjonction entre ce qui nous venait de notre culture — l’univers a été créé — et une découverte scientifique qui nous dit que l’univers est passé par une singularité initiale grâce à laquelle tout ce qui existe est apparu : l’espace, le temps, la matière, le rayonnement, l’énergie, etc…

Et évidemment, cet amalgame étant fait, s’est greffé sur lui un questionnement métaphysique :
Qu’est-ce qu’il y avait avant l’instant zéro ?
Comment l’univers a-t-il pu surgir à partir de rien ?
Est-ce que Dieu ou un être transcendant a joué un rôle ?
Qui a joué le rôle d’allumette cosmique ? Etc…

Question passionnante, qu’il ne faut absolument pas entraver parce qu’elle fait progresser la pensée. Mais question prématurée. Prématurée au sens où ce questionnement n’est pas imposé par la cosmologie contemporaine.

Il faut prendre acte du fait que quand j’extrapole dans le passé, et que je tombe sur cette singularité initiale, en fait, avant de l’atteindre, je tombe sur des conditions physiques – très forte énergie, et des particules qui ont plus d’énergie qu’un TGV, très forte température – de sorte que les particules qui sont dans cet univers subissent des forces autres que la gravitation.

Elles subissent les forces électromagnétiques, elles subissent les forces nucléaires.

Or la théorie de la relativité générale, que j’ai utilisée pour faire l’extrapolation, ne décrit pas ces forces, puisqu’elle ne décrit que la gravitation.

Elle s’appelle théorie de la relativité générale, mais en fait c’est une théorie spécifique de la gravitation.

Et en fait j’arrive à un moment où les équations de la relativité générale deviennent fausses. Non pas parce qu’elles sont mathématiquement fausses, mais parce qu’elles ne décrivent plus le monde physique qui correspond aux conditions physiques que je viens d’évoquer.

Et ce moment à partir duquel je n’ai plus le droit d’extrapoler, il s’appelle le mur de Planck. Il se situe tout au début. De sorte que je ne sais pas, je ne peux pas dire, ce qu’il s’est passé avant le mur de Planck, la notion même d’espace-temps devient problématique, et je ne peux plus parler d’un instant zéro.

Alors, l’histoire ne s’arrête pas là, parce que depuis très longtemps, enfin depuis une vingtaine d’années, un grand nombre de physiciens-théoriciens essaie de trouver un cadre théorique qui permet d’escalader ce mur de Planck, c’est-à-dire de construire un formalisme, ou des nouveaux concepts de physique, qui nous permettraient de décrire ensemble la gravitation, les forces électromagnétiques, les forces nucléaires.

Et si on a une telle théorie, alors on est armé intellectuellement pour franchir le mur de Planck et dire ce qu’il s’est passé avant.

Peut-être avez-vous entendu parler de la théorie des supercordes, qui entre dans cette catégorie de recherches qui essaient d’escalader le mur de Planck, qui envisage plus que 4 dimensions d’espace-temps – on envisage 10 dimensions d’espace-temps.

Il y a d’autres théories qui envisagent que, à petite échelle, l’espace-temps n’est pas lisse et continu comme on a l’habitude de le considérer, mais il est granulaire. Il est discret, comme on dit.

Bref, il y a plusieurs idées qui sont testées mais qui ne permettent pas de décrire très exactement l’univers primordial, parce que si on prend par exemple l’exemple de la théorie des cordes, les particules sont décrites par des cordes, les cordes sont tellement enchevêtrées que les calculs sont impossibles.

Simplement, on arrive à faire des espèces d’approximations, on simplifie les équations. Ce qui nous permet de construire des scénarios.

Et par exemple, si on regarde le scénario associé à la théorie des supercordes, on s’aperçoit que cette théorie prédit que, à aucun moment de son histoire, et à aucun point de son espace, l’univers n’a pu avoir une température supérieure à une certaine valeur maximale, qui est très élevée, mais qui n’est pas infinie.

Ça veut dire que la singularité initiale, qu’on associait au premier modèle de Big Bang, ce qui ne prenait en compte que la gravitation avec la théorie d’Einstein, cette singularité n’existe plus en théorie des cordes.

Elle est volatilisée, et on pourrait dire que dans ce cadre-là, l’instant zéro, auquel on associe le Big Bang, passe un sale quart-d’heure.

Alors ce qui est marrant, c’est que, si vous regardez ce qui se passe avec d’autres théories, d’autres pistes théoriques, on arrive à la même conclusion.

La singularité disparaît, et le Big Bang tel qu’on le conçoit est remplacé par ce qu’on appelle une transition de phase. C’est-à-dire qu’il y a un univers en contraction, qui se contracte, il devient de plus en plus dense, il atteint la température maximale autorisée par la théorie des cordes, et une fois qu’il l’a atteinte, évidemment il ne peut pas continuer à se rétrécir, donc il rebondit sur lui-même – il n’y a plus de singularité, il n’y a plus d’instant zéro, il n’y a plus de Big Bang au sens habituel du terme.

Donc la conclusion, c’est que nous n’avons pas la preuve scientifique que l’univers a une origine quand je prends le mot origine dans un sens radical, c’est-à-dire l’absence de toute chose devient quelque chose.

On n’a pas la preuve qu’il y a eu un jour du néant.

Et la deuxième conclusion, c’est que, évidemment ça ne prouve pas que l’univers n’a pas eu d’origine. Ça prouve simplement que la science ne l’a pas saisie. Et on peut se poser la question de savoir si l’univers a une origine, est-ce qu’on serait capable de la dire ? Est-ce qu’on serait capable de la penser ? Est-ce qu’on serait capable de l’expliquer ?

Et ma réponse est non. Parce que expliquer l’origine, c’est dire comment du néant, ou une absence de toute chose, peut devenir quelque chose, et pour faire cette explication, il faut mettre dans le néant des propriétés qui lui permettent de cesser d’être un néant.

Il faut y installer une espèce d’œuf qui va pouvoir engendrer autre chose que lui-même. Mais un œuf qu’on met dans le néant, c’est un œuf.

Et donc on est pris là dans des apories qui sont des apories que les philosophes grecs avaient déjà évoquées, et qui nous explosent à la figure aujourd’hui en 2011 à cause de la cosmologie contemporaine.

Et ma conclusion sera la suivante. C’est une anecdote.

Vous savez qu’il y a quelques années, Jean-Paul II, pape, a rencontré Stephen Hawking, astrophysicien, au Vatican. Et on rapporte que, à la fin de l’entretien,

Jean-Paul II a dit à Stephen Hawking : « Monsieur l’astrophysicien, nous sommes bien d’accord, ce qu’il y a après le Big Bang, c’est pour vous, ce qu’il y a avant, c’est pour nous. » (Rires)

Et, je pense que, compte tenu de ce que je viens de vous dire, cette anecdote, qui est drôle – vous avez ri d’ailleurs – mérite — la portée de cette anecdote mérite d’être réinterrogée.

Je vous remercie pour votre attention.
(Applaudissements)









 
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