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On connaît tous la « Fureur de vivre ». Le titre en anglais est tellement plus clair : « Rebel without a cause ». Ce film du milieu des années cinquante crée la jeunesse moderne nihiliste, dépravée, désabusée, celle qu’on a tous eue finalement, puisque tous ceux qui ont connu une autre jeunesse (celle où il y avait des parents et des principes, de la religion ou des idéaux sociaux) sont morts. 

C’est Guy Debord qui sur son déclin explique que la société du spectacle crée « un homme qui ressemble plus à son temps qu’à son père ». Etait-ce un constat ou une création ex nihilo, une conspiration de psychiatres, de profs de Francfort et de fonctionnaires de cet hypomaniaque Etat profond US ? Dans le film de Nicholas Ray (dont l’agonie fut filmée par Wenders), James Dean bat son père. Le marché sera là pour remplacer son père.

James Dean ? Explication par Guy Debord :
« À l’acceptation béate de ce qui existe peut aussi se joindre comme une même chose la révolte purement spectaculaire : ceci traduit ce simple fait que l’insatisfaction elle-même est devenue une marchandise dès que l’abondance économique s’est trouvée capable d’étendre sa production jusqu’au traitement d’une telle matière première. »
La grande victime n’est pas le rebelle mais son disciple Platon, joué par le futur sacrifié Sal Mineo. Rappelons que les trois acteurs auront des morts tragiques, James Dean, Sal Mineo et même Nathalie Wood, prisonnière du désert, qui mourut mystérieusement en pleine mer. Son mari d’alors (on était au début des années 80), Robert Wagner avait tué sa fiancée enceinte dans un film de ce même début des années cinquante (A kiss before dying de Gerd Osward). Car Hollywood montrait l’exemple !

Le jeune Platon donc : que nul n’entre ici s’il n’est géomètre, dit Platon. Justement, le personnage prédominant de ce film n’est pas le rebelle mais l’observatoire ! C’est dans l’observatoire que les protagonistes sont présentés sous leur symbolisme astrologique (comme dans le Satiricon de Pétrone en fait). Et ils ont droit à la conférence qui suit, tenue par un savant universitaire, assez bureaucrate et bien déprimant surtout, qui aime en rajouter comme on dit :
« Les constellations familières qui illuminent notre nuit resteront inchangées et absolument pas émues par la brièveté de temps entre la naissance de notre planète et sa disparition. »
Le conférencier ajoute gentiment et peu délicatement : 
« nous disparaîtrons dans la noirceur de cet espace d’où nous sommes venus. Nous serons détruits comme nous avons commencé dans un éclat de gaz et de feu. »
Toujours optimiste, le conférencier continue : « dans la complexité de notre univers et des galaxies, la terre ne manquera à personne. »

Et notre gaillard conférencier insiste (c’est un vrai attentat de l’observatoire !) :
« A travers les infinies distances de l’espace, les problèmes de l’homme semblent triviaux et naïfs. Et l’homme, seul au monde, semble être un épisode de peu de conséquence. »
Allez motiver un peuple avec ça
La science moderne avec ses trous noirs et la farce de sa conquête spatiale a tout fait pour désespérer l’humanité – devenue trop abrutie pour être rebelle ou même déprimée. On lui annonce même son grand remplacement d’ici cinquante ans via l’intelligence artificielle et elle ne trouve rien à y redire (pourquoi y redire ? T’es facho ?).

Juste après la conférence commence le duel qui aboutit à la mort d’un autre « rebelle spectaculaire ». Il est précipité en bagnole d’une falaise ; pensez à la mort en bagnole de Dean un ou deux ans plus tard, pensez à celle de Paul Walker, l’acteur de Fast and Furious et aussi du curieux film Skull&Bones.

Et à la fin du film on a un autre sacrifice. Celui de Platon, et dans ce même observatoire.

C’était ma minute de Monsieur l’encyclopédiste !Enfin les plus savants reliront la remarquable interview de Lucien Cerise à proposer de Gouverner par le chaos :
« Afin d’anticiper sur les comportements populaires et de les garder sous contrôle, il faut aller plus loin que la simple observation et le recueil d’informations, en un mot le renseignement ; il faut aller jusqu’à provoquer ces comportements, y compris les comportements d’opposition, critiques et contradictoires. Cette démarche proactive est celle de la communauté du Renseignement, en particulier depuis les années 1950 et le programme Cointelpro (Counter Intelligence Program), élaboré aux États-Unis dans le cadre du maccartisme et de la chasse aux sorcières anti-communiste. Les services secrets américains (FBI, CIA) ont ainsi consciemment créé pour la jeunesse une contre-culture beatnick et hippie totalement inoffensive, à base d’expressionnisme abstrait (Pollock, De Kooning), de bougisme (Kerouac), d’art pop psychédélique et de produits stupéfiants incapacitants, comme un circuit de dérivation hors de l’institution du potentiel de subversion autrement plus dangereux que représentait le communisme orthodoxe, qui était situé, lui, au cœur de l’institution. »
Nicolas Bonnal

Sources
Bonnal – la damnation des stars (Filipacchi) ; la culture comme arme de destruction massive (Amazon.fr)
Cerise – Gouverner par le chaos
Debord – La société du spectacle
Vu ici







 
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