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La question migratoire en Afrique a été un des thèmes majeurs au niveau des réflexions, des discussions et préoccupations du 29ème Sommet des Chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union Africaine (U À) qui a eu lieu les 3 et 4 juillet 2017 à Addis Abéba sur le thème : "Tirer pleinement profit du dividende démographique en investissant dans la jeunesse "et où Sa Majesté le Roi Mohammed VI était représenté par S.A.R le Prince Moulay Rachid. 

C'est dans ce cadre qu'un discours royal a été délivré, abordant en bonne partie la dimension migratoire, en en faisant un thème prioritaire et en lui donnant une grande visibilité. De même qu'au nom du Souverain, une note préliminaire intitulée :"Vision pour un agenda africain pour la migration", s'appuyant sur une démarche concrète et pragmatique, a été remise au Chef d'Etat guinéen, Alpha Condé, président en exercice de l'Union Africaine par S.A.R le Prince Moulay Rachid, comme contribution de Sa Majesté le Roi. Rappelons à ce propos que e Souverain avait désigné par le précédent sommet de l'UA comme leader pour gérer la question de la migration au niveau continental et préparer une feuille de route en la matière. 

Quelques points relatifs aux jeunes africains 
Parmi les principaux points du discours royal liés à la jeunesse africaine, on relèvera ceci : 
  • La croissance démographique de l'Afrique, ses institutions, la migration et la jeunesse constituent des opportunités à saisir collectivement.
  • Ces opportunités sont autant de défis à relever pour contribuer à l'émergence d'une nouvelle Afrique, une Afrique forte, une Afrique audacieuse qui prend en charge la défense de ses intérêts, une Afrique influente dans le concert des nations. 
  • Une politique volontariste orientée vers la jeunesse canalisera l'énergie pour le développement. L'avenir de l'Afrique passe par sa jeunesse estimée aujourd'hui à presse 600 millions et en 2050, 400 millions d'Africains auront entre 15 et 24 ans. Une occasion inespérée s'offre ainsi à l'Afrique de bénéficier d'une main-d'œuvre jeune, éduquée et abondante pour nourrir sa croissance économique. 
  • Une jeunesse africaine livrée au désœuvrement bloquera l'émergence tant souhaitée du continent. Et si le défi de l'employabilité des jeunes n'est pas traité de toute urgence, cette carence aura pour conséquence leur désœuvrement, renforcera en conséquence leur vulnérabilité et le risque de leur radicalisation. 
  • Au lieu d'être victimes de l'émigration illégale ou de trafic des êtres humains, les jeunes africains pourraient contribuer à la réalisation de l'agenda africain en matière de sécurité, de paix et de développement. 
La migration dans le discours royal du 3 juillet 2017 
Le discours royal concerne aussi bien la migration légale africaine que la migration dite irrégulière ou clandestine. Ces deux formes de migration sont considérées comme une "déperdition injustifiable". S'agissant d'abord de l'émigration légale, celle par exemple qui s'exprime comme exode des compétences, il faut appréhender celles-ci au sens large. Ces compétences englobent non seulement le savoir accumulé au niveau supérieur avant ou après l'émigration, mais également la formation, les compétences techniques, économiques, managériales, sociales, ainsi que l'expérience et le savoir-faire acquis sur le terrain. Ce type d'émigration est vue comme une perte, un amenuisement et appauvrissement en ressources humaines qualifiées, en intelligence, en compétences techniques et professionnelles de l'Afrique au profit des pays d'immigration. 

Déjà, dans son discours au 23ème Sommet des Chefs d'Etats d'Afrique et de France, tenu à Bamako le 3 décembre 2005, le Roi Mohammed VI déclarait ce qui suit à propos de cette hémorragie des compétences et des talents : 
"A défaut de mettre en place des mécanismes particulièrement attentifs aux besoins des jeunes répondant à leurs aspirations, l'Afrique continuera d'assister impuissante, au gâchis de la fuite des cerveaux". 
La migration irrégulière retient également toute l'attention royale comme l'a rappelé le Prince Moulay Rachid : 
"le destin de nos jeunes est-il au fond des eaux de la Méditerranée ? (...) Des milliers de jeunes africains tentent clandestinement de gagner la rive nord de la Méditerranée, à la recherche d'une vie meilleure, avec tous les risques que l'on connaît. Ils sont des hommes de valeur, des ressources humaines pour notre continent". 
Sur les remèdes à cette situation, il est utile à notre sens, de rappeler que le Roi Mohammed VI appelait déjà dans le discours du 6 novembre 2005, à l'occasion du 30ème anniversaire de la Marche Verte, à s'éloigner de la démarche purement sécuritaire : 
"l'amplification des flux de l'émigration illégale ayant pour source l'univers de la misère et pour destination celui de l'opulence, appelle un traitement global bien au-delà de l'aspect sécuritaire. Celui-ci restera insuffisant en soi si l'on ne s'avise pas de remédier aux causes économiques et sociales du phénomène dans les pays émetteurs. Or, ce traitement reste tributaire au soutien qui doit être apporté au développement local des peuples africains frères pour leur permettre de vivre dans la stabilité, et d'accéder à une vie digne chez eux dans un climat de prospérité partagée et de sécurité globale". 
Au niveau de la démarche et de la méthode d'analyse de la migration, le dernier discours royal présenté par le Prince Moulay Rachid, apporte des précisions très importantes : 
" Il s'agit avant tout de modifier nos perceptions face à la migration, de l'aborder, non comme une contrainte ou une menace, mais comme une force positive. De tout temps, la migration n'a t-elle pas été un facteur de rapprochement entre les peuples et les civilisations ? "
On ne peut que souscrire à cette analyse de la migration envisagée en termes d'interdépendance positive et non pas en termes d'interdépendance négative. De manière précise et de notre point de vue, la migration doit être perçue en termes de facteur de développement, de partenariat mutuellement avantageux, de confiance mutuelle, d'ouverture l'un sur l'autre, d'enrichissement réciproque et d'opportunité. À contrario, elle ne doit pas être perçue comme source de conflits, de désordres et de dérangements, comme source d'insécurité, de risque, de danger, voir même de menace et de fléau à combattre. 

Cette question de la perception est capitale. Ceci ne se limite pas en effet à une simple posture intellectuelle. Selon que l'on adopte l'une ou l'autre des deux visions précitées, cela débouche sur un certain nombre de mesures, sur des attitudes, sur des politiques déterminées. Voilà pourquoi, dans le domaine migratoire, il y'a un effort à entreprendre de part et d'autre en matière de communication, de dialogue pour essayer de voir dans quelle mesure le fait migratoire n'est pas mal perçu, et s'il n'y' a pas un certain nombre de malentendus.
Le discours royal, du 3 juillet 2017, ajoute par ailleurs que "traiter le défi de la migration requiert une approche novatrice qui permette d'évaluer les causes, l'impact, d'envisager des solutions, notamment par la création de synergies entre les politiques de développement et de migration". 
Cette approche est intéressante à suivre. De notre point de vue, en matière de politiques migratoires, rien de valable ne peut être se faire sans la convergence et sans la synergie pour parvenir à une mutualisation des efforts, à un meilleur usage des divers outils de la migration et à plus de rentabilité et d'efficacité. Les maîtres mots sont les 3 C : coordination, concertation, cohérence. 

La cohérence en particulier, suppose à notre sens l'articulation / combinaison des politiques migratoires avec d'autres politiques nationales pertinentes pour mieux agir et parvenir à la transversalité qui est une plus-value, en termes de pertinence, d'efficacité et d'efficience des réponses apportées. Il s'agit de jouer sur les croisements et autres politiques comme les politiques de développement, celle de l'emploi, politique de protection des droits humains, approche genre qui ne doit pas être une simple mise en scène ou une action entrant dans une simple logique de promotion féminine, mais l'expression d'une approche transversale. 

Le parti pris en termes d'interdépendance positive est celui retenu par le Roi Mohammed VI dans sa contribution annoncée, axée sur la nécessité de développer une vision africaine commune sur la migration, ses enjeux et ses défis. Cette contribution fort attendue dans un proche avenir, a fait par ailleurs l'objet de la remise d'une note préliminaire sur la migration au président en exercice de l'UA. À notre sens, ce document préliminaire est destiné à circuler parmi les chefs d'Etats pour recueillir leurs remarques et suggestions afin d'en tenir compte dans une nouvelle version permettant une adoption consensuelle. 

Éléments sur la note préliminaire du Roi du Maroc sur la migration 
Le contenu de ce document préliminaire n'a pas été publié intégralement. Seules ses grandes lignes ont été synthétisées notamment dans une dépêche de l'agence officielle Maghreb Arabe Presse (MAP), en relevant quatre axes : 
  • Le premier axe porte sur les politiques nationales. Ainsi, chaque pays a la responsabilité régalienne de gérer la migration illégale, de lutter contre les trafics de tous genres et de créer les conditions politiques d'intégration des migrants, tout en veillant à la protection de leurs droits. D'après la MAP, la migration, selon la note, ne doit pas être un instrument de répression.
  • La migration en Afrique étant une migration de travail essentiellement intra-africaine, le deuxième axe consiste en une coordination sous régionale sans laquelle les politiques nationales de gestion seront vaines. Tous les pays du continent africain sont devenus à la fois des pays d'émigration, de transit et d'installation, mais à des échelles variées. 
  • Le troisième axe consiste en la nécessaire adoption d'une perspective continentale permettant la mise en place d'une stratégie commune de la migration, en vue de surmonter les obstacles et défis que pose la question de la migration aux pays africains. 
  • Le quatrième axe est relatif au partenariat international. Toujours selon MAP, la note préliminaire souligne la nécessité pour les pays africains et l'Union Africaine d'évaluer les défis et les opportunités de la migration et d'y donner suite. Dans ce cadre, la migration doit faire l'objet de partenariats dans lesquels l'Afrique devra pleinement jouer son rôle. Selon le même document préliminaire, il est primordial que l'Afrique parle d'une seule voix au niveau international, défende une vision commune et mette en place une gouvernance partagée sur les questions de mobilité. 
Le Maroc qui a réintégré fin janvier 2017 l'Union Africaine (UA), se présente ainsi comme exemple de gestion des migrants depuis qu'il a adopté en septembre 2013 une nouvelle politique migratoire humaniste, généreuse et solidaire et mené dans cet esprit deux campagnes de régularisation (la seconde encore en cours) de régularisation d'immigrés en situation administrative irrégulière, venant principalement de pays africains subsahariens. Ce statut lui impose un certain nombre de devoirs qui sont à assumer. 

Par ailleurs, l'appel du Maroc à une vision commune africaine sur la migration et à un agenda africain en la matière, joint à sa coprésidence avec l'Allemagne en 2017 et 2018 du Forum Global Migration Développement ne font qu'endosser plus de responsabilités au gouvernement marocain et à toutes les institutions nationales marocaines chargées du dossier migratoire (étrangers au Maroc et citoyens marocains à l'étranger), afin qu'à l'échelle du Maroc, la mise à niveau se fasse à tous les niveaux de ce dossier migratoire. 

Rabat, le 5 juillet 2017

Abdelkrim Belguendouz 
Universitaire à Rabat, chercheur en migration 













 
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