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Le 30ème Sommet de l’Union Africaine (UA), se tiendra à Addis Abeba d’ici deux jours, les 28 et 29 janvier 2018. La migration constitue parmi les questions stratégiques à l’ordre du jour de cette importante rencontre. 

Dans ce cadre est prévue notamment la présentation par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, en tant que Leader pour l’Afrique sur le dossier migratoire, de « l’Agenda Africain pour la Migration », feuille de route dont il a été responsabilisé par ses pairs chefs d’Etat de l’Union Africaine. À la veille de cette présentation fort attendue au Maroc, au niveau africain et à l’échelle internationale, nous souhaiterions revenir sur le dossier en livrant quelques réflexions sur la thématique, et en précisant quelques propositions pour l’action, s’agissant particulièrement du Maroc. 

La présente contribution au débat public pour l’action, porte sur l’Agenda Africain pour la Migration, avec comme interrogation essentielle et questionnement l’impact sur les politiques migratoires marocaines, appréhendées aux deux niveaux principaux d’analyse : celui de l’immigration étrangère et de l’asile au Maroc, par le biais de ce qui est communément appelé de nos jours la Nouvelle Politique Migratoire du Maroc, et celui des politiques multidimensionnelles en direction de la communauté marocaine établie à l’étranger, évaluée à quelques cinq millions de personnes à travers le monde. 

Il y’a lieu d’insister sur la nécessaire prise en compte en même temps de l’autre volet, celui des Marocains résidant à l’étranger qui ne doit pas être oublié, occulté ou marginalisé, les droits des migrants faisant par ailleurs partie intégrante des droits humains, qui sont universels et indivisibles. 

Notre réflexion sera menée à travers cinq points principaux: 
  1. Un projet d’agenda. 
  2. Quatre axes d’action. 
  3. La question capitale de la perception de la migration. 
  4. Impact sur les politiques d’immigration et d’asile au Maroc 
  5. Impact sur les politiques en direction des Marocains résidant à l’étranger. 
I. UN PROJET D’AGENDA 

À vrai dire, il n’y a pas encore un Agenda Africain pour la Migration, mais nous avons seulement quelques éléments d’un projet de cet agenda, qui suit encore le processus d’affinement de sa conception au niveau de la réunion des ministres des affaires étrangères des pays membres de l’Union Africaine, en attendant l’adoption consensuelle, lors de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union Africaine, qui permettra d’avoir une ligne lisible. 

I.1 Le contexte 
Rappelons le contexte. Après qu’il ait repris sa place naturelle au sein de sa famille institutionnelle de l’Union Africaine (UA), de la manière la plus belle et la plus digne qui soit, à l’occasion du 28ème Sommet de l’UA, tenu à Addis Abeba les 30 et 31 janvier 2017, le Maroc joue désormais un rôle de chef de file et de porte-drapeaux des nations africaines, rôle que le discours royal prémonitoire de Dakar du 6 novembre 2016, à l’occasion du 41ème anniversaire de la Marche Verte, permet déjà d’en tracer les contours : « S’agissant des questions et des problématiques majeures, le retour du Maroc au sein de sa famille institutionnelle, le mettra en capacité de faire entendre la voix du continent dans les forums internationaux (…) Concernant la problématique migratoire, notre pays poursuivra ses efforts pour remédier aux causes réelles de ce phénomène, en le reliant au développement et en adoptant une approche humanitaire et solidaire, protégeant les droits des immigrés et préservant leur dignité». 

Trois mois auparavant (20 août 2016), à l’occasion du 63ème anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple, le Roi Mohammed VI livrait d’autres éléments sur la vision et le sens qu’il donne à la Nouvelle Politique Migratoire du Maroc : « Le Maroc compte parmi les premiers pays du Sud à avoir adopté une politique solidaire authentique pour accueillir les migrants subsahariens, selon une approche humaine intégrée, qui protège leurs droits et préserve leur dignité. Pour mettre en œuvre cette politique, notre pays, sans condescendance, ni arrogance, ni dénigrement ni discrimination, a procédé à la régularisation des migrants, conformément à des critères raisonnables et équilibrés, en créant pour eux les conditions appropriées pour s’établir, travailler et vivre dignement au sein de la société (…) Je tiens à réaffirmer que nous ne faisons que remplir le devoir qui nous incombe vis-à-vis de cette catégorie, étant donné qu’il s’agit de personnes que la précarité a poussées à risquer leurs vies et à quitter leurs familles et leurs pays (…)» 

Le Roi tire alors un enseignement et exprime un engagement solennel : le Maroc dit-il, « est fier de l’action qu’il mène dans le domaine de l’accueil et de l’intégration des immigrés. Et il ne reviendra pas sur cette approche pratique et humanitaire». 

Par ailleurs, lors des grandes retrouvailles d’Addis Abeba du 31 janvier 2017, à l’occasion du 28ème Sommet de l’Union Africaine, le Roi Mohammed VI a déclaré notamment : « Ma vision de la coopération Sud-Sud est claire et constante. Mon pays partage ce qu’il a, sans ostentation (…) A l’intérieur de mon pays, les Subsahariens sont accueillis dans les termes que nous avions annoncés (…) Nous sommes fiers de ces actions. Elles étaient nécessaires, vitales pour ces hommes et ces femmes qui ont trop longtemps souffert de la clandestinité. Et nous agissons pour que ces personnes ne vivent plus en marge, sans emploi, sans soins, sans logement, sans accès à l’éducation. Nous agissons pour que les couples mixtes, composés de Marocains et de conjoints subsahariens, ne soient pas séparés ». 

C’est dans cet esprit, et en connaissance de cause par les dirigeants du continent, que le Roi Mohammed VI a été responsabilisé par ses pairs chefs d’Etat africains en tant que Leader concernant la question migratoire en Afrique. 

De notre point de vue, la raison est en effet liée fondamentalement à la Nouvelle Politique Migratoire du Maroc, impulsée par le Roi à l’automne 2013 par des considérations humanistes et de solidarité Sud/Sud, et qui a eu de très bons échos notamment dans de très nombreux pays africains, confortant ainsi l’image du Maroc. Il s’agit surtout des deux opérations de régularisation des étrangers en situation administrative irrégulière (année 2014 et période du 15 décembre 2016 au 31 décembre 2017 pour le dépôt des dossiers), dont la seconde doit encore connaître les recours à l’échelle nationale. 

Dans le discours royal du 6 novembre 2013, le Souverain fournit le sens de cette nouvelle démarche : 
« Face à l’accroissement sensible du nombre des immigrés venus d’Afrique ou d’Europe, nous avons invité le gouvernement à élaborer une nouvelle politique globale relative aux questions d’immigration et d’asile, suivant une approche humanitaire, conforme aux engagements internationaux de notre pays et respectueuse des droits des immigrés ». 
I.2 Une coupure nette 
Pour bien comprendre le sens, la portée et le caractère radicalement différent de la décision de changer de politique concernant l’immigration étrangère au Maroc, référons-nous à la citation suivante qui renvoie à l’ancienne politique migratoire centrée sur la démarche fondamentalement répressive et d’alignement sur l’approche sécuritaire de l’UE. Il s’agit du message adressé en février 1999 par l’ancien ministre omnipotent de l’Intérieur, Driss Basri, à une délégation de parlementaires français en visite à Rabat, consistant à faire assumer par le Maroc la fonction de sous-traitance sécuritaire, à le considérer comme un poste avancé de contrôle des flux migratoires, dans la logique de l’Europe forteresse: 
« L’objectif principal pour le Maroc, consiste à être partie prenante de la politique européenne de l’immigration consécutive à l’instauration de l’espace Schengen. Le Maroc est en effet conscient de la communauté des valeurs des deux parties et des intérêts mutuels à défendre. Au niveau méditerranéen, nous sommes par notre situation géographique et nos liens économiques et sociaux, partenaires à part entière de la sécurité européenne…la défense de l’espace européen ne peut être efficace que si le Maroc y apporte sa contribution » (voir « L’opinion » du 24 février 1999). 
La mission confiée au Chef de l’Etat marocain, consiste en d’autres termes à prendre le leadership de la réflexion africaine pour l’action en matière de migration, dans une conception toute autre. De par ce mandat panafricain, il a été chargé de préparer pour la 30ème session ordinaire de la Conférence des Chefs d’Etats et de gouvernement de l’UA, qui se tiendra sous peu à Addis Abeba (les 28 et 29 janvier 2018), une feuille de route pour l’Afrique dans le domaine migratoire, déterminant non pas une politique commune en la matière, mais une approche commune de la gouvernance migratoire en Afrique, en mettant en avant la philosophie et les principes généraux d’action. En l’occurrence, l’objectif est de tracer un cadre stratégique pour une politique de migration pour l’Afrique de l’Union Africaine. Il s’agit de définir une position commune en tant que consensus général africain sur les questions de migration, en traitant sans exclusive des questions clés devant être prises en considération à cette fin. 

Dans cet esprit, lors de la cérémonie d’ouverture du 29ème Sommet des chefs d’ États et de gouvernements de l’Union Africaine, tenu à Addis Abeba le 3 juillet 2017 sur le thème « tirer pleinement profit du dividende démographique en investissant dans la jeunesse », outre un discours prononcé au nom du Roi où la problématique migratoire était également présente, le Prince Moulay Rachid a remis au chef d’Etat guinéen, Alpha Condé, président en exercice de l’UA (Union Africaine), une note préliminaire du Roi Mohammed VI posant les jalons ou grandes lignes d’un Agenda Africain pour les Migrations. 

Par la suite, lors du Sommet Union Africaine- Union Européenne tenu les 28 et 29 novembre 2017 à Abidjan, quelques points principaux de cet Agenda ont été esquissés par l’intervention du Roi Mohammed VI, dans l’attente de la présentation du document finalisé étoffé à Addis Abeba fin janvier 2018, avec des suggestions concrètes et précises... 

À travers une démarche d’ouverture, un processus de consultation inter-africain a été mené par le Maroc au cours de ces derniers mois. La préparation de cet Agenda, a fait notamment l’objet de la « Retraite régionale sur la migration » à Skhirate, près de Rabat, qui a réuni du 30 octobre au 1er novembre 2017 plusieurs ministres africains et hauts responsables des questions migratoires, des chercheurs et autres acteurs de la société civile pour échanger et avoir une visibilité globale sur le dossier migratoire africain, avec l’objectif de prendre en ce domaine, le destin de l’Afrique en main. 

De même, une conférence africaine sur la Migration, s’est tenue à Rabat, le 9 janvier 2018, avec la participation d’une vingtaine de ministres et responsables gouvernementaux africains. Selon le département marocain des affaires étrangères, la rencontre avait comme objectif de convenir d’une vision commune africaine sur la migration selon une approche inclusive et participative, où l’ensemble des États africains sont à la fois acteurs et auteurs. Selon la même source, la rencontre visait à harmoniser la vision pour un Agenda Africain sur la Migration sur la base des principes de l’inclusivité et du partage de responsabilité, le respect des droits humains, le développement et la lutte contre la migration irrégulière à travers la création de voies de migration régulière et la facilitation de la circulation des entrepreneurs, étudiants, chercheurs et artistes. 

Intervenant à la séance d’ouverture, Nasser Bourita, ministre marocain des Affaires étrangères a déclaré: 
« il s’agira à Addis Abeba, certes, de la culmination du processus de réflexion sur la migration, mais certainement pas de sa fin. Bien au contraire, ce sera le début d’un nouveau chapitre qui verra notre vision africaine commune portée à nos partenaires extérieurs et aux Nations Unies pour une appropriation commune à l’échelle internationale, c’est-à-dire une stratégie africaine en matière de migration qui encadrera le flux migratoire à l’intérieur du continent ». 
Nous n’avons pas d’autres informations sur cette rencontre, ni d’autres documents antérieurs nous permettant de nous faire une idée même générale sur le sujet. Certes, on aurait pu penser tirer des enseignements de l’annonce par le Maroc, en marge de l’assemblée générale de l’ONU en automne 2013, du lancement de l’initiative de l’Alliance Africaine pour la Migration et le Développement, présentée de manière solennelle lors du discours commémorant le 38ème anniversaire de la Marche Verte (6 novembre 2013) comme étant « axée sur une vision africaine commune et des arguments humanitaires devant présider aux questions migratoires » et qui « s’appuie également sur la responsabilité partagée entre les pays d’origine, de transit et d’accueil et sur le lien entre immigration et développement », mais cette annonce n’a pas eu de suite par la diplomatie marocaine. 

À ce propos, une des commissions ad hoc qui devait être créée par le gouvernement pour opérationnaliser la Nouvelle Politique Migratoire Marocaine, devait être chargée de la coopération régionale et internationale en matière migratoire, n’a donné lieu à aucune information précise sur sa composition, ses compétences et encore moins sur d’éventuelles activités qui auraient été menées dans ce cadre, au point de donner le sentiment qu’elle n’a jamais été mise en place. 

Pour l’instant, en dehors de bribes d’informations liées à la rencontre ministérielle de Rabat du 9 janvier 2018, nous avons donc trois contributions royales sur le sujet depuis la responsabilisation du Roi, auxquelles il faut ajouter le discours royal du 6 novembre 2013, le discours prémonitoire de Dakar pour les développements qui ont été rappelés, et celui du discours d’Addis Abeba du 31 janvier 2017. Dans les développements qui vont suivre, on se référera à d’autres positions antérieures du Souverain. Que peut-on alors en retenir? 

I.3 Le constat de départ 
D’abord, le point de départ. Le constat est accablant et nécessite des actions coordonnées et unifiées urgentes à l’échelle de tout le continent africain : « L’Afrique perd ses jeunes, par la migration légale ou illégale. Cette déperdition est injustifiable ». L’interpellation de la responsabilité et des consciences africaines est d’une extrême gravité : « Le destin de nos jeunes est-il au fond des eaux de la Méditerranée ? Leur mobilité est-elle devenue une hémorragie ? Il nous appartient au contraire de la gérer pour en faire un atout. Des milliers de nos jeunes africains tentent clandestinement de regagner la rive nord de la Méditerranée à la recherche d’une vie meilleure, avec tous les risques que l’on connaît. Ils sont des hommes de valeur, des ressources humaines pour notre continent.» 

Globalement, on dénombre 3283 morts en 2014, 3785 en 2015. Pour 2016, toutes nationalités confondues, 316.000 migrants de diverses provenances du monde, ont rejoint l’Europe par mer. Le bilan de l’ONU sur les morts en Méditerranée pour la même année, fait froid dans le dos puisqu’il est de 5.143 personnes, un bilan très lourd et un sinistre record. En 2017, le nombre de morts est de 3116 (sur un total cette dernière année de 5362 exilés décédés dans l’ensemble du monde, selon les chiffres de l’OIM). 

Parallèlement à ce discours d’Addis Abeba, la note préliminaire du Roi Mohammed VI à ses pairs chefs d’Etat africains pour recevoir leur feed-back, pose les jalons, le champ d’intervention et périmètre d’action de cet Agenda Africain sur la Migration. 

Cet Agenda à la portée pleine et entière, qui exprime « un haut degré de coordination ainsi qu’une réponse globale, intégrée et inclusive », a une fonction précise : d’une part permettre aux Africains de parler d’une seule et même voix africaine et selon un plan de travail africain pour supprimer le déploiement en ordre dispersé, d’autre part promouvoir une politique africaine des migrations et dans l’intérêt des Africains. A ce titre, la démarche s’inscrit sur le même plan que cette formule du philosophe camerounais Achile Mbembe : « Nous sommes (les Africains) étrangers partout dans le monde. Nous n’avons pas besoin d’être des étrangers chez nous » (« Le monde » du 14 novembre 2017). 

Cet Agenda est conçu à travers quatre axes ou niveaux d’action : national, régional, continental, international. 

Explicitons ces niveaux d’intervention. Dans la note préliminaire intitulée « vision pour un agenda africain pour la migration », destinée à faire émerger une vision africaine commune sur la migration, quatre axes fondamentaux sont mis en avant, qui feront l’objet de quelques réflexions de notre part dans ce qui suit. 

II. QUATRE AXES D’ACTION 

Le périmètre d’intervention de l’Agenda Africain sur la Migration, peut être repéré à quatre niveaux, déterminés par le Roi Mohammed VI en tant que Leader de l’Union Africaine sur le dossier migratoire : le niveau national, le régional, le continental et l’international. 

II.1 Le niveau national d’intervention 
Ce premier axe porte sur les politiques nationales. Ainsi, chaque Etat garde la haute main sur l’orientation de ces politiques et leur contenu, renvoyant à un champ d’intervention très large, compte tenu des aspects multidimensionnels, multisectoriels et multi-niveaux des migrations : aspects juridiques, administratifs, économiques, sociaux, culturels, cultuels, sécuritaires, frontaliers, diplomatiques, géostratégiques. Ces politiques font partie de la souveraineté de chaque État africain, qui garde la responsabilité régalienne en la matière. 

À titre de comparaison, au sein de l’Union européenne, malgré l’ancienneté et l’approfondissement de l’Union, il n’y’a pas encore une véritable politique commune en matière d’intégration des immigrés. Ainsi, on constate le maintien de législations différentes, chaque ministre de l’Intérieur d’un État européen membre, amène dans sa poche son projet de loi sur l’immigration quand il est nommé, lequel est modifié peu de temps après, surtout au grès des échéances électorales qui sont nombreuses pour chaque pays européen en particulier. 

Par ailleurs, le contexte migratoire des pays africains est très variable, exigeant la prise en considération des spécificités nationales et régionales. Globalement, et contrairement à une idée infondée fort répandue, les mouvements migratoires se font pour l’essentiel, à l’intérieur du continent, dans une proportion entre 70 et 80% selon les statistiques. Mais ils se développent également à moindre volume en direction de l’Europe, de l’Amérique du Nord et de certains pays du Moyen Orient, et la quasi-totalité des pays africains sont, quoique à des degrés divers, des pays d’origine, de transit, de destination ou les trois à la fois. En 2015, Il y’avait environ 21 millions de migrants en Afrique, dont 18 millions provenant d’Afrique et le reste provenant en grande partie d’Europe, d’Asie et d’Amérique du Nord. 

Ces migrations d’Africains en Afrique, sont à la fois intra-régionales (principalement dans les régions de l’Ouest, de l’Est et de l’Afrique australe et inter-régionales de l’Afrique de l’Ouest vers l’Afrique australe, de l’Afrique de l’Est /Corne de l’Afrique vers l’Afrique australe, et de l’Afrique centrale vers l’Afrique Australe et l’Afrique de l’Ouest. 

Dans ce cadre, un certain nombre de pays sont à très fort taux d’immigration, avec un grand afflux de pays limitrophes. C’est le cas de pays recevant chacun plusieurs millions d’immigrés : l’Afrique du Sud, le Kenya, le Nigéria, l’Ethiopie, la Côte d’Ivoire, le Ghana… Par contre, des pays d’Afrique du Nord, dont le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, connaissent plutôt une très forte émigration intercontinentale, principalement vers l’Europe. 

Dans ce contexte, les politiques migratoires nationales des pays africains, doivent être équilibrées et globales et tenir compte, d’une part des nationaux qui émigrent ainsi que des migrants en transit et des immigrés installés sur le territoire et d’autre part, des mécanismes de la coordination à l’échelle continentale et de la coopération internationale en matière de migrations. 

Selon la note préliminaire relative à l’Agenda migratoire, si chaque État africain a la responsabilité régalienne de gérer la migration irrégulière, de combattre tous les trafics des êtres humains, par contre chaque État doit aussi observer strictement certaines règles et appliquer certains principes pour que les politiques migratoires suivies aient un visage humain. La responsabilité incombe à chaque État de créer les conditions politiques d’intégration des migrants (renvoyant notamment à un emploi décent, à la scolarisation, au logement, à la santé, à la formation professionnelle, à la protection juridique et assistance sociale), en veillant scrupuleusement à la nécessaire promotion et protection de leurs droits dans tous les domaines, à traiter les migrants de manière digne et décente, à supprimer la marginalisation et l’exclusion et à éliminer toutes les formes de discrimination. 

La protection des migrants est une responsabilité partagée de tous les États. Cette sauvegarde des droits des migrants, passe nécessairement par une application effective des normes prévues dans les instruments des droits de l’Homme de portée générale, ainsi que la ratification et la mise en œuvre d’instruments portant spécifiquement sur le traitement des migrants, comme la Convention internationale pour la protection de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, les Conventions pertinentes de l’OIT, à savoir la Convention de 1949 sur la migration et l’emploi(numéro 97) et la Convention de 1975 sur les travailleurs migrants (dispositions complémentaires)(numéro 143). De ce point de vue, la migration ne doit pas être perçue fondamentalement sous un angle policier et sécuritaire et gérée avec des instruments de répression, de sanctions et de coercition. C’est la démarche inclusive et d’ouverture qui doit prévaloir, même si bien entendu, un minimum de contrôle est nécessaire, chaque gouvernement ayant le droit, voir même le devoir de savoir qui rentre et séjourne dans le pays et qui en sort. 

Dès lors, une vision homogène de la migration à l’échelle nationale dans les deux volets fondamentaux (émigration et immigration), de même que des politiques coordonnées, cohérentes et globales s’imposent dans le cadre d’une stratégie migratoire nationale globale et intégrée. Les aspects multisectoriels et multidimensionnels de la migration, doivent être intégrés dans une approche associant l’ensemble du gouvernement, des institutions nationales et autres acteurs, de manière à être complémentaires et efficients. 

Au niveau de l’exécutif, une nécessité s’impose, celle d’une approche multisectorielle et multi-niveaux, avec une attention pour la représentativité et l’inclusion de toutes les catégories d’acteurs, y compris la diaspora. Dans cet esprit, une attention particulière est à observer pour une coordination de ces politiques migratoires par le Premier ministre ou chef du gouvernement, par le biais d’une commission ministérielle chapeautée par la primature est la bienvenue, avec l’ouverture de cette commission aux syndicats également les plus représentatifs ainsi que les syndicats qui mènent sur le terrain, un réel travail de proximité auprès des travailleurs immigrés. 

II.2 Le domaine d’action régional 
Le deuxième axe d’intervention, consiste en une coordination sous-régionale, sans laquelle au plan africain, les politiques nationales de gestion de la migration seraient illusoires et vaines. Il s’agit notamment d’accorder toute sa valeur à la consultation de proximité entre les parties prenantes avec la participation active des États. Cette démarche devrait s’inscrire dans le nécessaire réajustement des institutions de l’UA, en améliorant au même moment, s’agissant du dossier migratoire, la division des tâches entre les organisations et les institutions régionales. 

Précisons à ce propos que le continent africain est divisé en plusieurs Communautés Économiques Régionales (CER) qui sont les suivantes, sachant par ailleurs que certains États sont membres de plusieurs CER à la fois.

Commençons d’abord par la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), à laquelle le Maroc a demandé l’adhésion en février 2017, le processus étant favorablement en cours, avec la nécessité pour le Maroc de se préparer à la libre circulation des personnes. La CEDEAO a été établie par le traité de Lagos signé le 28 mai 1975 signé par 15 pays. Parmi eux, 8 sont des pays francophones (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Niger, Sénégal, Togo ; 5 pays sont anglophones (Gambie, Ghana, Liberia, Nigéria, Sierra Leone ; et un pays lusophone (Guinée Bissau). 

Le Cap Vert (lusophone) a rejoint la CEDEAO en 1976, alors que la Mauritanie a décidé de la quitter en 2000, pour revenir en août 2017 avec un statut non pas d’Etat membre à part entière, mais d’Etat associé, par le biais d’un accord d’association. 

Les autres Communautés Économiques Régionales sont les suivantes: 
  • CEEAC : Communauté Économique des États de l’Afrique Centrale. 
  • CEMAC : Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale 
  • CEN-SAD : Communauté des États Sahélo-Sahariens. 
  • COMESA : le Marché Commun de l’Afrique Australe et Orientale 
  • CAE : la Communauté d’Afrique de l’Est. 
  • Autorité Intergouvernementale pour le Développement (IGAD) 
  • SADC : Communauté pour le développement de l’Afrique Australe 
  • COI : Communauté de l’Océan Indien 
L’Union du Maghreb Arabe (UMA) est quant à elle entièrement paralysée et inerte, la dernière réunion du Sommet regroupant les cinq chefs d’Etat concernés, date de 1994. Cette hibernation est très préjudiciable aux cinq pays du Maghreb, qui n’arrivent pas notamment à coordonner leurs politiques migratoires et à prendre des positions communes vis-à-vis de leurs partenaires extérieurs. 

De manière générale, la liberté totale de circulation des personnes est reconnue dans les CER et partielle entre elles. La liberté de circulation des personnes et leurs droits de résidence et d’établissement sont régis par des protocoles, mais ces derniers ne sont pas signés par tous les États, et lorsque la signature existe, elle n’est pas suivie parfois par la ratification. Ainsi, ce n’est qu’après 17 années de négociations, que la Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) a ratifié le 31 octobre 2017 l’accord de libre circulation des ressortissants des six pays de la sous-région (Cameroun, Centrafrique, Congo-Brazzaville, Gabon, Guinée Équatoriale, Tchad). 

Il s’agira certainement de procéder à l’état des lieux de tous ces accords et faire en sorte qu’ils soient réellement appliqués, la difficulté provenant du fait que les différentes sous-régions du continent africain, évoluent à un rythme différencié en termes d’intégration régionale. 

L’UA connaît en effet l’échec des décisions qui entraîne une crise de mise en œuvre. À titre d’exemple, un rapport de l’UA de 2006 indiquait que la plupart des pays africains (93%) avaient supprimé les visas d’entrée pour tout ou partie des membres des CER, mais 65% seulement avaient pris des mesures pour faciliter le droit de résider des ressortissants des pays membres concernés. 

S’agissant de la libre circulation des personnes qui constitue la clé de voûte de l’intégration, étant au cœur de ce processus, il est fort possible que l’on s’achemine vers l’établissement de passeports régionaux permettant la liberté de circuler, de résider, d’étudier, de travailler, de commercer dans un des pays membres de la communauté, en attendant une échéance plutôt à long terme pour établir un passeport africain. 

II.3 Le domaine d’intervention continental 
Le troisième axe d’action est conçu justement comme la nécessaire adoption d’une perspective continentale qui permet la mise en place d’une stratégie commune de la migration en vue de surmonter les obstacles et défis que pose la question de la migration aux pays africains et ce, dans un esprit de responsabilité collective ou partagée. L’Agenda Africain sur la Migration semble, selon le discours du ministre marocain des affaires étrangères, orienté plus spécifiquement sur cette dimension. 

Sur ce point, la coopération et le dialogue entre l’ensemble des pays africains, y compris par le biais des Communautés Economiques Régionales, peuvent renforcer la capacité des États à gérer la migration, notamment en favorisant le développement d’approches communes visant une harmonisation des politiques, législations et stratégies sur les migrations. 

À l’échelle continentale, les priorités et les principes relatifs à la migration, doivent prendre en considération les multiples réalités migratoires selon les pays et les régions. En d’autres termes, il s’agit d’articuler l’unité de la problématique des migrations à la diversité des contextes, et surtout, à la diversité territoriale... 

II.4 Le champ d’action au plan international 
Le quatrième et dernier axe d’intervention, renvoie au champ international, en tenant compte de la nécessaire rationalisation du champ d’action de l’UA. La migration étant une question qui implique de très nombreux pays (de départ, de transit, d’arrivée), le problème posé actuellement, ne peut être résolu par des dispositifs unilatéraux, bilatéraux ou sécuritaires, mais plutôt par la coopération multilatérale, pluridimensionnelle et constructive, dans le respect de la dignité humaine. La migration est de ce fait un thème porteur de dialogues politiques multi-acteurs, devant traiter la migration avec une conception globale. 

C’est déjà l’approche retenue par le Roi Mohammed VI, dans Le discours à l’occasion du 30ème anniversaire de la Marche Verte, le 6 novembre 2005: 
« L’amplification du flux de l’émigration illégale ayant pour source l’univers de la misère et pour destination celui de l’opulence, appelle un traitement global bien au-delà de l’aspect sécuritaire. Celui-ci restera insuffisant en soi si l’on ne s’avise pas de remédier aux causes économiques et sociales du phénomène dans les pays émetteurs. Or ce traitement reste tributaire au soutien qui doit être apporté au développement local des pays africains frères pour leur permettre de vivre dans la stabilité et d’accéder à une vie digne chez eux, dans un climat de prospérité partagée ». 
Ce champ international primordial est celui où l’Afrique doit s’inscrire dans le cadre d’un Partenariat International pour parler d’une seule voix, exposer et défendre sa propre vision de la migration de manière coordonnée et globale, en partant de son propre plan de travail afin que les préoccupations du continent soient reflétées. Parmi les forums internationaux importants, où l’Afrique doit s’assurer de la prise en charge de ses problèmes, figure à notre sens en premier lieu le dialogue Union Africaine – Union Européenne. Mais il y’a aussi, en particulier pour l’échéance fin 2018, le Forum Mondial Migration Développement, et le dialogue lié à l’adoption du Pacte Mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières. 

Au niveau de la démarche d’ensemble, il s’agira à notre sens, d’étudier également les voies et moyens pour garder la cohérence des politiques migratoires au niveau national, sous-régional, régional, continental et international. 

Nul doute aussi que dans le cadre des niveaux précédents, les questions de migration ne vont pas être traitées de manière isolée, dans la mesure où elles sont étroitement liées à d’autres questions de politique générale. Elles nécessitent par conséquent une approche globale, incluant les politiques concernant différents domaines qui ont toutes, soit un lien de causalité, soit une incidence directe ou indirecte sur la migration tels que la santé, l’éducation, la justice, le développement, les droits de l’Homme, la paix, la sécurité et la stabilité, le commerce et l’économie, l’emploi et la bonne gouvernance… 

Saisir la migration au niveau de ses racines ou de ses sources et en relation avec la problématique multidimensionnelle du développement, est déjà une démarche présente dans le discours royal du 3 juillet 2017 à Addis Abeba: 
« Traiter le défi de la migration, requiert une approche novatrice qui privilégie d’évaluer les causes, l’impact, d’envisager des solutions par la création de synergies entre les politiques de développement et de migration. » 
Treize années auparavant, lors du discours royal prononcé le 21 septembre 2004 devant la 59ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies, les déterminants principaux des migrations africaines sont mis en avant, fournissant, au-delà du diagnostic, les pistes de solution: 
« L’Afrique est le continent le plus accablé par les fléaux de la pauvreté, de la famine, de la désertification et de diverses pandémies meurtrières. Il s’y ajoute l’immigration illégale, le déferlement des réfugiés et le déplacement forcé des personnes, autant de maux que les pays du Sud sont incapables de juguler par leurs seuls moyens et en l’absence d’une coordination sans faille aux niveau régional et international et d’un appui efficace des efforts de développement local. Les effets catastrophiques de cette situation prennent un relief plus dramatique, du fait des conflits ethniques, des tensions et des antagonismes régionaux, fléaux qui entravent et compromettent la transition démocratique, Le développement et l’intégration régionale ». 
Les grandes causes de l’émigration vers l’étranger, en relation avec le développement, peuvent être également vues, à travers ce discours du 3 juillet 2017, sous l’angle de la dette des pays d’émigration. Voilà pourquoi, l’appel est lancé aux pays européens de trouver une solution à la question de la dette: 
« la conditionnalité de la dette doit être revue. Les pays occidentaux attendent, en effet, que certains pays d’Afrique -indépendants depuis un demi-siècle -aient des performances politiques et économiques aussi positives et aussi importantes que les leurs, et leur imposent donc des conditions impossibles à respecter. Cette aberration est d’autant plus vive, que ces mêmes pays européens ont parfois, eux-mêmes, de grandes difficultés sur le plan financier ». 
Il y’a lieu à ce niveau d’observer une cohérence dans la position du Souverain sur la longue période. En effet, dans une démarche éclatante et exemplaire de solidarité avec l’Afrique, le Roi Mohammed VI avait déjà annoncé il y’a près de 18 ans, le 3 avril 2000, lors du Sommet Afrique-Europe du Caire: 
« l’annulation de l’ensemble des dettes des pays africains les moins avancés vis-à-vis du Royaume du Maroc et la levée de toutes les barrières douanières imposées aux produits importés de ces pays ». 
Dans le sillage du Maroc, seuls deux pays européens avaient fait un geste. La France avait annulé ses créances bilatérales, épongeant ainsi pour 7 milliards de dollars suivant un processus étalé sur 2 à 3 ans, et l’Allemagne qui avait pris la décision de supprimer 700 millions de Marks de dettes bilatérales. 

La préparation de l’Agenda Africain sur la Migration a avancé, mais on comprend la discrétion des diplomates, qui n’interviennent publiquement à ce stade, que pour livrer en quelque sorte des «éléments de langage » sur l’état d’esprit et l’approche qui prévaut dans la préparation du projet, qui lui reste la finalisation proprement dite par son coordinateur. Tout comme il est tout à fait normal de laisser la primeur de l’expression des résultats des réflexions au moment opportun par le coordinateur lui-même et aux destinataires qualifiés. Voilà pourquoi, il faudra attendre la toute prochaine tenue du Sommet des chefs d’Etats de l’UA fin janvier 2018 pour avoir des éléments précis sur le contenu programmatique concret de cet Agenda Africain sur la Migration. 

Néanmoins, d’ores et déjà, les trois contributions du Souverain que nous avons rappelées, sont importantes à décrypter, venant du Leader désigné par l’UA pour le dossier migratoire. Elles fournissent des éléments clés sur la démarche suivie et l’optique d’analyse pour l’action du fait migratoire. Nous disons bien fait migratoire avec des raisons bien précises, notamment au plan socio-économique, socio-politique et des relations internationales. Ce n’est pas quelque chose de surnaturel avec des causes et des raisons inconnues et imprécises. La migration, qui relève des grandes problématiques de l’Afrique, a besoin d’être comprise et bien cernée, avec une représentation judicieuse. 

III. LA QUESTION CAPITALE DE LA PERCEPTION 

De manière centrale, pour le Maroc, au plus haut niveau de l’Etat, c’est la question de la représentation de la migration, de sa perception, du regard porte sur elle, de la manière dont elle est appréhendée et saisie, qui est posée avec insistance dans le cadre de l’Agenda Africain sur la Migration : « Il s’agit avant tout de modifier nos perceptions face à la migration, de l’aborder non comme une contrainte ou une menace, mais comme une force positive. De tout temps, la migration n’a-t-elle pas été un facteur de rapprochement entre les peuples et les civilisations ? » (Discours royal au 29ème Sommet de l’U.A, Addis Abeba, 3 juillet 2017). 

Cette question de la perception de la migration est en effet fondamentale. C’est elle qui dicte la manière d’en parler, déterminé le jugement que l’on a de la migration, qui dicte les réactions de tout un chacun, les actes en ce domaine et de manière générale qui fonde les politiques migratoires, permet de les saisir, de les comprendre et de les décrypter. 

Globalement, il y’a deux regards, deux perceptions, deux représentations de la question migratoire qui sont analysées par le Roi, et qui lui permettent de mener un plaidoyer vigoureux dans un sens déterminé. 

III.1 La perception à connotation négative 
Il y’a d’un côté la migration qui est perçue comme un problème, un handicap, un péril, un risque, un danger, une menace, un fardeau, un fléau à combattre. Les statistiques de la migration dite irrégulière ou clandestine sont ainsi gonflées démesurément et fantasmées dans une perception alarmiste, contribuant à inséminer durablement dans l’imaginaire collectif le syndrome du déferlement du sud au nord ce qui, en creux, donne corps et légitimité à l’Europe forteresse... 

De manière paradoxale, la question de la migration clandestine qui est la phase cachée de la question migratoire, mobilise toute l’attention dans les pays européens en particulier, alors qu’elle n’est pas – et de très loin – la composante majeure de l’immigration. 

Cette vision à connotation négative, s’alimente et s’exprime à travers plusieurs stéréotypes et préjugés : la migration est la source de tous les maux de la société. Elle est à l’origine du chômage, de la délinquance, de l’insécurité, de la mal vie dans les pays de réception. Elle est mise depuis bien longtemps sur le même plan que le trafic de drogue, des stupéfiants, le blanchiment d’argent, la criminalité, voir même le terrorisme. 

C’est ainsi que dans le « Traité d’Amsterdam : liberté, sécurité et justice », l’UE établit dans son jargon un amalgame pernicieux entre immigration « clandestine », réseaux « terroristes », trafic de stupéfiants et trafics illégaux en tous genres. Rappelons-nous également de la couverture de « Jeune Afrique » de l’été 2017 laquelle, partant des attentats terroristes de Barcelone où étaient impliqués des Marocains, mettait sous le titre de terrorisme : « Born in Morocco », voulant dire par là que le terrorisme est fabriqué, produit et créé au Maroc qui devient ainsi producteur de terrorisme, avec la stigmatisation de tout un pays et de tout un peuple. 

Cette représentation de la migration, qui n’attribue par ailleurs à la rive sud dont le Maroc, que des capacités de nuisance, est dramatisée à outrance, avec l’objectif d’en faire une perception anxiogène : il s’agit d’un déferlement, d’une avalanche, d’un tsunami, d’une invasion, d’un envahissement, d’une malédiction contre laquelle il faut se protéger en tant que victime et construire des murs de toutes sortes. Cette vision justifie alors des attitudes de rejet de l’autre, de remise en cause du vivre ensemble. 

Au niveau général, cette perception négative où la migration est satanisée et diabolisée, impulse des politiques publiques restrictives et frileuses, fournit une légitimation aux politiques sécuritaires et policières dans le domaine migratoire, en termes de répression, d’ordre, de fermeté et de fermeture, d’enfermement, d’expulsion, d’atteinte aux droits fondamentaux de l’Homme. Ces politiques sont déterminées par le tout sécuritaire, confortant ainsi le sentiment d’angoisse, d’inquiétude et d’insécurité des opinions publiques en Europe, tentées par la dérive droitière et aggravant les tendances xénophobes ici ou là, au lieu d’aller à contre-courant de ce mouvement. Cette approche est encouragée par la multiplicité des échéances électorales en Europe en particulier, où l’immigration constitue un fonds de commerce électoral : élections municipales, régionales, législatives, présidentielles (pour les pays à régime républicain), européennes (pour les États membres de l’UE). 

Dans cet esprit, les solutions politiques déployées, reviennent à « contenir » les migrants dans les pays de départ et de transit, à « stopper » la migration de la rive sud, à la « refréner », à « maîtriser les flux », à assurer la « traque », à mener une « lutte » acharnée, un « combat », voir une véritable « guerre » contre l’immigration dite irrégulière, clandestine, illégale, sauvage, pour ne pas dire « de sauvages ». 

Le Maroc n’a pas échappé également à cette vision négative, comme celle exprimée au parlement à Rabat le 7 mai 2003 par El Mostapha Sahel, alors ministre de l’Intérieur, en présentant le Maroc en tant que « victime » de la menace et du « danger » migratoire, la migration irrégulière constituant un défi pour la souveraineté, la sécurité et l’équilibre sociétal du pays: 
« la lutte contre l’immigration clandestine est l’une des priorités de l’action du gouvernement, qui, conscient du danger qu’elle recèle, a mobilisé tous les moyens humains et matériels nécessaire pour lutter contre ce fléau qui a des répercussions négatives au plan économique et social (…) ce programme de lutte contre l’immigration clandestine, nécessite d’importants fonds et représente de ce fait un fardeau pour le budget de l’Etat. Au lieu d’être un pays émetteur d’émigration, le Maroc devient victime avec ce que cela suppose comme effets négatifs. » (dépêche MAP 072058).
Parmi les exemples récents les plus significatifs de cette perception négative de la migration, relevons le jugement porté le 11 janvier 2018 par le président Donald Trump lors d’une réunion avec des parlementaires à la Maison Blanche sur l’immigration aux États-Unis d’Amérique, en qualifiant les pays d’où proviennent les Haïtiens, les Salvadoriens et les Africains, de « pays de merde » !!! (shithole countries) 
À travers le monde, ces propos ont été jugés « irresponsables et répréhensibles », « odieux et abjects », reflétant « une vision simpliste et raciste », propos « troublants, offensants et choquants », « pleins de haine et de mépris », « scandaleux, immatures et vulgaires ». 

La mission de l’Union Africaine (UA) aux Nations Unies (ONU) a exprimé notamment « son exaspération, sa déception et son indignation », considérant les remarques de « blessantes » et « dérangeantes ». Le texte se termine ainsi : « Nous condamnons ces termes de la plus ferme des manières et demandons que ces déclarations soient officiellement retirées. Nous exigeons aussi des excuses officielles, adressées non seulement aux Africains, mais aussi aux gens d’origine africaine partout dans le monde ». 

Par ailleurs, les 54 ambassadeurs du Groupe africain aux Nations Unies (ONU), ont exigé le 12 janvier 2018 des « rétractations « et des « excuses ». Le Groupe (dont l’ambassadeur du Maroc auprès de l’ONU à New York, Omar Hilale), s’est déclaré « préoccupé par la tendance continue et grandissante de l’administration américaine vis-à-vis de l’Afrique et des personnes d’origine africaine à dénigrer le continent ». Il s’est dit à l’unanimité « extrêmement choqué » et « condamne les remarques scandaleuses, racistes et xénophobes » de Donald Trump « tels que rapportés par les médias », et se dit « solidaire du peuple haïtien et des autres qui ont également été dénigrés », tout en remerciant « les Américains de toutes origines qui ont condamné ces remarques ». 

Dans le même esprit, 78 anciens ambassadeurs des États-Unis dans 48 pays africains ont diffusé une pétition sous forme d’une lettre ouverte au président américain en forme de lettre ouverte pour lui dire leur « profonde préoccupation » suite à ses propos. : « Nous vous écrivons pour dire notre profonde préoccupation au sujet de vos récentes remarques » précisent-ils. 

Prenant le contrepied de Trump, les signataires mettent en avant les observations suivantes: 
« L’Afrique est un continent de grands talents humains (…), c’est aussi un continent avec des liens historiques profonds avec les États-Unis ». « Nous savons aussi que le monde est plus riche grâce à la contribution des Africains et notamment des Américains descendants d’Africains. Et de conclure : « Nous espérons que vous allez réviser votre vision de l’Afrique et de ses citoyens et que vous reconnaîtrez la contribution importante que les Africains et les Afro-américains ont apporté et continuent d’apporter à notre pays et à son histoire ». 
III.2 La vision en termes positifs 
La seconde vision totalement opposée à la précédente, conçoit l’immigration comme une opportunité, une chance, un apport bénéfique multiforme (au plan économique, social, culturel, sportif etc), un pont, une passerelle, un trait d’union, un facteur de développement à multiples facettes. Elle perçoit l’immigration comme une source de progrès pouvant donner lieu à de véritables politiques de coopération et à un partenariat bilatéral ou multilatéral réel au plan migratoire. 

Bien entendu et on ne peut que s’en féliciter et s’en réjouir, c’est le regard ou la vision de la migration en termes d’interdépendance positive qui prévaut dans la démarche de préparation de l’Agenda Africain sur la Migration. Voici quelques passages du discours royal d’Abidjan du 28 novembre 2017: 
  • « Le 21ème siècle sera celui des grands brassages. Ce constat de bon sens nous interdit de donner toute tournure idéologique, passionnelle, voir xénophobe aux discours sur la migration ». 
  • « La question migratoire a constamment été envisagée non comme une source de solutions et d’opportunités, mais comme porteuse de menaces et de désespoir (…) Dans notre histoire contemporaine, elle a pris une connotation négative, puisqu’elle est associée à la drogue et autres trafics… » 
  • « Peu capables ou peu désireux de saisir les causes profondes du fait migratoire, on le fige et on le généralise dans des représentations stéréotypées : à travers des images de déferlement de personnes sans travail, sans ressources, parfois aux profils douteux ». 
Dans cette perception en termes d’interdépendance positive, le rappel est fait par le discours royal de l’apport inestimable de l’immigration africaine à la libération et à reconstruction de l’Europe, par le biais des recrutements d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne, principalement des Algériens, des Marocains, des Tunisiens, des Sénégalais, des Maliens entre 14-18 et 39-45 du siècle dernier. Mais la France (Verdun), la Belgique(Gembloux-Chastre), l’Italie (Monte Cassino) et bien d’autres contrées d’Europe, ont très souvent oublié leur histoire commune avec l’Afrique et le tribu du sang payé par les Africains dans la lutte contre le nazisme. 

III.3 L’interpellation de l’Europe 
Il est demandé à l’Europe en particulier, de changer de regard sur l’immigration, de faire évoluer sa politique en la matière, de procéder à une réflexion décisive en rapport à une question qui constitue une préoccupation majeure pour les pays africains. Il s’agit de remettre en cause la politique de la migration choisie et du drainage des cerveaux et des talents africains « de la tête aux pieds », selon l’expression du regretté Mehdi Elmandjra, qui faisait allusion également aux sportifs de haut niveau. Cette pratique est hautement préjudiciable à l’Afrique, constitue un gaspillage et un sérieux obstacle à son développement durable. En d’autres termes, en ciblant les compétences africaines, les approches migratoires sélectives, menacent fondamentalement les économies africaines : « la politique européenne en la matière devrait évoluer. Il n’est pas acceptable que, tant sur les bans des écoles prestigieuses, que dans les entreprises du continent, les meilleurs talents africains soient l’objet de convoitises européennes, au mépris de l’investissement de leur pays d’origine en termes de formation  l’hémorragie des cerveaux qui s’ensuit est déplorable ». 

Cette question constitue par ailleurs une préoccupation de longue date du Souverain. C’est ainsi que dans son discours au 23ème Sommet des chefs d’Etats d’Afrique et de France tenu à Bamako le 3 décembre 2005, le Roi Mohammed VI déclarait : « À défaut de mettre en place des mécanismes particulièrement attentifs aux besoins des jeunes répondant à leurs aspirations, l’Afrique continuera d’assister impuissante, au gâchis de la fuite des cerveaux ». 

III.4 Le Canada, chasseur de têtes 
Précisons à ce niveau que le Canada également s’adonne à cette pratique de drainage des cerveaux, en encourageant les étudiants étrangers, dont de nombreux marocains, à demander la résidence permanente à la veille de l’acquisition de leurs diplômes, procédant de la sorte à de substantielles économies d’éducation et de formation assurées par le pays d’origine et les familles concernées. Le Canada impose également des conditions sévères en matière de qualification et de formation pour pouvoir entrer et y séjourner, organisant déjà au Maroc même la chasse aux talents, à travers des annonces de presse et surtout le recours à des cabinets d’experts en immigration et d’avocats-conseils qui font des affaires juteuses en matière de recrutement de compétences marocaines dans le cadre d’une résidence permanente à Casablanca et Rabat. 

L’action de ces agences d’immigration est un exemple frappant de la pratique de la migration sélective (avec des critères de choix pour être éligible) et de l’incitation à l’exode des cerveaux. 

Par ailleurs, en revenant au discours royal d’Abidjan, aussi bien au niveau continental africain, qu’au niveau des relations migratoires entre l’Afrique et l’Europe, principalement l’Union européenne, « une nouvelle vision s’impose. Il s’agit de faire de l’immigration un sujet de débat apaisé et d’échange constructif », un débat serein ajoutons nous, y compris au niveau des pays africains, dont le Maroc où prospère un certain nombre de stéréotypes et de plus en plus un discours populiste ambiant à l’égard de la Nouvelle Politique Migratoire du Maroc dont on comprend mal le bien-fondé, et particulièrement des deux opérations de régularisation administrative touchant essentiellement des Africains subsahariens en situation administrative irrégulière. Certains vont même jusqu’à faire le reproche de n’avoir pas consulté la population avant la prise de ces décisions!!! 

III.5 Pour une culture de solidarité au Maroc 
Au Maroc, où existe pourtant une tradition d’hospitalité, nous avons besoin que la culture d’accueil et de solidarité s’étende et se renforce, tant les préjugés à l’égard de l’immigration étrangère, principalement africaine subsaharienne, deviennent tenaces et nuisibles au vivre ensemble et au nécessaire succès de la Nouvelle Politique Migratoire. En effet, les tensions sociales graves qui s’intensifient entre la population marocaine et les communautés de migrants comme à Ouled Zyane à Casablanca, risquent de remettre fondamentalement en cause les choix retenus en termes de politiques migratoires marocaines. Voilà pourquoi, il devient urgent de promouvoir la tolérance et une meilleure cohabitation entre les migrants et les marocains. 

Dans le même objectif, il s’agit de recarder positivement le discours sur les migrations, d’éclairer le débat sur les réalités migratoires, de tordre le cou au discours erroné et déshumanisant sur la migration, de reconnaître et de faire connaître les contributions multidimensionnelles de la migration En somme, il convient d’entreprendre tout un travail de déconstruction et de démystification de certaines analyses anxiogènes, voir apocalyptiques par rapport à l’immigration subsaharienne au Maroc. Concrètement, il s’agit de changer le regard sur les migrations et de déconstruire les préjugés en produisant un contre – discours au tout sécuritaire et à la personne migrante comme bouc émissaire. Le rôle des médias et du système éducatif dans son ensemble, est très important à ce niveau. On a besoin de mettre en place des politiques d’insertion et non pas de rejet. 

Un exemple concentrant une série d’idées infondées, nous vient d’Outre Atlantique d’une compétence marocaine au Canada, consacrant l’éditorial à la question dans « Maghreb Canada Express », volume XV n° 10, page 3, octobre 2017, sous un titre révélateur en lui-même. Commençant par « Mobilité humaine », on aurait pu penser que la suite s’inscrirait de manière positive, en termes d’encouragement à la circulation des personnes. Or la continuation sous forme de sous-titre, est l’expression d’une perception à très forte connotation péjorative et négative : « le Maroc face à la déferlante migratoire ». 

Ainsi, analysée par rapport au Maroc, l’immigration subsaharienne est considérée avec des mots très forts comme une sorte d’avalanche, de tsunami, une immigration galopante qui submerge le pays et (sur)pèse déjà de son poids démographique. Il s’agit d’une « pression qui va, écrit l’auteur, en augmentant sur les poumons économiques du pays concentrés dans certaines villes et davantage tout au long du littoral. Et de ce fait, cette immigration galopante, mal gérée, pourrait à moyen terme asphyxier complètement le pays. Il serait donc urgent de bien répartir cette immigration et de la canaliser là où il le faut, afin d’éviter que le Maroc ne bascule sous ce poids démographique qui est entrain de peser sur les zones côtières vers un certain chaos plus ou moins annoncé ». 

Pourtant, les chiffres et la réalité concrète contredisent totalement cette représentation, et lui ôtent tout fondement scientifique sérieux. Ainsi, une note d’information du Haut-Commissariat au Plan (HCP) publiée tout dernièrement, montre que sur une population de 33,8 millions d’habitants recensés en 2014, le nombre d’étrangers résidant au Maroc a atteint 84.000 habitants, soit une proportion de 0,25% de l’ensemble de la population marocaine avec en plus, parmi la population étrangère au Maroc, pratiquement autant d’Européens (33615),soit 40%) que d’Africains (34966, soit 41,6%), dont 64,5%(22545) sont issus des pays subsahariens et 31,9%(11142) du Maghreb. Par ailleurs, on observe une nette dominante de la communauté française (25,4%), suivie de celle du Sénégal (7,2%), d’Algérie (6,8%) et 6,2% de Syrie. 

Si on tient compte du fait que la première opération de régularisation des étrangers en situation administrative irrégulière, organisée tout au long de 2014, a réglé quelques 25. 000 dossiers et que la seconde opération effectuée tout le long de 2017 ne concerne le dépôt que de 25. 000 demandes de régularisation (selon un bilan provisoire à fin novembre 2017), on perçoit alors la dramatisation démesurée de l’analyse que nous discutons. 

Pourtant, son auteur s’est enlisé dans un autre stéréotype, insinuant dans un langage à peine voilé et avec une pointe d’ironie sur la noblesse de la démarche de la Nouvelle Politique Migratoire du Maroc qu’il trouve inexplicable et dont il est « difficile de cerner les motivations », une immigration que le Maroc « subit beaucoup plus qu’il ne souhaite ni qu’il planifie et dont il n’a absolument pas besoin, vu sa situation économique et surtout celle démographique ». En d’autres termes, l’immigration apparaît dès lors non seulement comme surnuméraire, mais aussi comme une anomalie. 

Une des conclusions majeure de l’analyse que nous discutons, et qui mérite d’être mise en question, est que cette immigration se fait au dépens des nationaux et que les devoirs des responsables envers les Marocains ne sont pas assurés, les régularisations créant des appels d’air pouvant avoir des conséquences catastrophiques, en particulier au niveau de la paix sociale, voir des tensions au plan politique: « Préserver les droits des immigrants et des demandeurs d’asile, c’est noble de la part du pays d’accueil. Mais il ne faut pas que la noblesse du droit fasse ombrage à celle du Devoir au point de créer un froid et des courants d’air pouvant se transformer en tempêtes » (sic !) 

Bien entendu, il faut trouver des solutions et ne pas rester sourd aux situations de vulnérabilité et de précarité ainsi qu’aux difficultés et inquiétudes que peuvent avoir des populations locales, qui pâtissent des inégalités et des privations économiques et sociales. Mais leurs problèmes et leurs souffrances n’ont pas pour origine la migration en provenance de l’extérieur du pays. Poser la question de cette façon, est une manière erronée de le faire. 

Par ailleurs, le nombre de dossiers déposés à l’occasion de la deuxième phase de régularisation, montre bien que la première phase n’a nullement provoqué « un appel d’air ». 

Quel impact cet Agenda Africain sur la Migration pourrait-il ou devrait-il avoir sur l’action des pouvoirs publics marocains, d’un côté en matière d’immigration et d’asile au Maroc et de l’autre côté, en direction de quelques cinq millions de Marocains établis à travers le monde ? 

III.6 Impact sur les politiques migratoires marocaines 
L’agenda migratoire attendu sous peu dans le cadre de l’action de l’UA, va toucher et viser tous les pays membres, y compris le Maroc. On ne peut en effet proposer une ligne de conduite au plan migratoire au niveau africain, sans l’appliquer à soi-même. Mais le Maroc va être concerné à un autre titre. En tant que pays dont le Roi est Leader de l’Union Africaine sur le dossier migratoire, il va nécessairement attirer l’attention sur lui pour tout ce qui a trait aux politiques marocaines en la matière, à l’arsenal juridique et réglementaire sur les migrations, aux institutions dédiées spécifiquement ou en bonne partie aux migrations et à leur gouvernance. À ce titre, il doit bien entendu donner l’exemple à tous les pays africains en matière de bonnes pratiques concernant ce dossier. 

L’intérêt porté au Maroc sur cette question et sa responsabilité sont d’autant plus grand qu’il co-préside avec l’Allemagne du 5 au 7 décembre 2018 à Marrakech le Forum Mondial Migration et développement, et qu’il a sollicité de l’ONU, en recevant une réponse favorable, l’organisation à la même période (10 et 11 décembre 2018) de la réunion intergouvernementale de haut niveau devant donner lieu à l’adoption du Pacte Mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, suite à la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrations adoptée le 19 septembre 2016 par l’assemblée générale de l’ONU, et des consultations en la matière à travers le monde. 

Pour toutes ces raisons en particulier, le Maroc doit constituer un exemple de bonnes pratiques pour tout ce qui a trait au dossier migratoire. Voilà pourquoi, cette responsabilité prise par le Maroc en ce domaine, devrait amener tous les acteurs, gouvernementaux et non gouvernementaux, à mettre à niveau toutes les composantes des politiques migratoires marocaines à l’échéance temporelle de décembre 2018. Le chantier de réformes est vaste, multidimensionnel et interpelle d’urgence toute une série d’acteurs. 

À titre de propositions, remettons à plat les politiques migratoires dans toutes leurs composantes, sans tabou. Identifions quelques éléments, devant contribuer à cette mise à niveau à tous les niveaux du dossier migratoire marocain, en s’intéressant d’abord à la politique d’immigration et d’asile, puis en se focalisant sur la politique en direction des citoyens marocains établis à l’étranger. L’objectif est de procéder à l’état des lieux sur chacun de ces ceux volets, d’appuyer les éléments positifs, d’identifier les insuffisances et lacunes, de dénoncer ce qui nous paraît inacceptable, d’alerter sur des choix ou pratiques problématiques et de formuler des suggestions concrètes alternatives, en assumant soi-même sa part d’interrogations et de doutes. 

IV. IMPACT SUR LES POLITIQUES D’IMMIGRATION ET D’ASILE 

Dans une démarche critique constructive, destinée à contribuer à poser les fondements de politiques alternatives, les suggestions pour l’action que nous formulons en matière de politiques d’immigration et d’asile au Maroc sont les suivantes, au nombre de quatre: 
  • réussir la deuxième phase de régularisation ; 
  • arrêter la pratique des déplacements forcés ; 
  • renoncer à la mise en place de centres régionaux d’accueil de migrants ; 
  • activer la mise à niveau juridique. 
IV.1 Réussir la seconde phase de régularisation 
En premier lieu, il s’agit de faire réussir la deuxième phase de régularisation des étrangers en situation administrative irrégulière qui a été prorogée jusqu’au 31 décembre 2017 et qui ne concerne pas que les Africains subsahariens, mais également des européens, ainsi que des asiatiques …. En plus de la régularisation de toutes les femmes et des mineurs comme lors de la première opération de régularisation en 2014, il convient à notre sens d’assouplir par la commission nationale de recours les critères de régularisation qui sont draconiens, très sélectifs et restrictifs, contrairement aux affirmations du gouvernement selon lesquelles il s’est aligné sur les critères les plus souples et les plus ouverts constatés dans le monde. 

Cette vision optimiste est même partagée par l’étude, fort intéressante par ailleurs, publiée en 2017 par la Konrad Adenauer Stiftung (KAS, Bureau de Rabat), en partenariat avec l’Université Internationale de Rabat (UIR), sous le titre : « La Nouvelle Politique Migratoire Marocaine ». À la page 42, il est affirmé par rapport aux deux opérations de régularisation menées par le Maroc, qu’ « il ne s’agit en aucun cas de remettre en cause la pertinence des critères retenus. Les différentes opérations de régularisation menées de par le monde, se sont appuyées sur des critères de même type qui prennent en compte les années de présence sur le territoire national, la situation par rapport au travail et les attaches familiales ». 

Or deux cas au moins, dans lesquels l’immigration marocaine « clandestine » était concernée en grand nombre, contredisent cette explication. La régularisation opérée en 1981 sous François Mitterrand, et celle effectuée par le gouvernement Zapatero en Espagne début 2005, exigeant une présence d’au moins 8 (huit) mois ! 

Voilà pourquoi, à notre sens, la souplesse au Maroc peut se traduire de la manière suivante : 
  • réduire la durée de séjour à un an au lieu de cinq ; 
  • réduire la durée du contrat de travail à six mois au lieu de deux années ; 
  • diminuer fortement la durée du mariage. 
IV.2 Moratoire relatif aux déplacements forcés 
En second lieu, tout en reconnaissant des avancées notables qui ont marqué ces quatre dernières années sur plusieurs plans (telles que l’arrêt des expulsions et refoulements vers l’Algérie et la Mauritanie), il convient de cesser toutes les actions qui ternissent, jettent un discrédit et vont à l’encontre de l’esprit de la Nouvelle Politique Migratoire du Maroc, basée sur le respect des droits humains, des dispositions des instruments internationaux en la matière, et soucieuse de la mise en œuvre d’une responsabilité partagée et d’une coopération bilatérale rénovée. 

Ainsi en est-il de la pratique sécuritaire des déplacements forcés avec grande violence des migrants du Nord du Maroc vers les villes de l’intérieur du pays comme Rabat, Casablanca, Meknès, ou bien vers le sud comme Ouarzazate, Agadir, Tiznit, Laâyoune. 

Ces pratiques maintiennent une image négative du Maroc, consistant à jouer le rôle de gendarme et de gardien des frontières de l’Europe. Il en est de même de l’acceptation des « refoulements à chaud » pratiqués par la Guardia Civil, consistant à réadmettre immédiatement et sans procédure vers le Maroc, tous les migrants qui tentent de rejoindre de manière irrégulière notamment les deux villes marocaines occupées par l’Espagne : Sebta et Melilla. 

IV.3 Alerte aux centres d’accueil régionaux de migrants et à une disposition sur le projet de loi relatif au CNDH 
En troisième lieu, certes la déclinaison territoriale de la Stratégie Nationale d’Immigration et d’Asile est à mener dans les diverses régions du pays dans le cadre du travail de proximité, mais en prenant des gardes fous pour ne pas tomber dans des contradictions insoutenables. La vigilance s’impose concernant en particulier les tentatives de mise en place de « centres d’accueil régionaux de migrants » comme celui de Marrakech, financé essentiellement par la coopération allemande (ministère fédéral allemand de la coopération économique et du développement), avec une enveloppe de 15 millions dirhams, soit 1,3 million d’Euros (et dont l’ouverture serait même prévue pour 2019). Entrant dans le cadre du programme RECOMIG ou « Renforcement des capacités des collectivités territoriales dans le domaine migratoire », les groupes cibles du projet sont, d’après des documents officiels allemands, notamment « des réfugiés et des Marocains de retour qui ont un besoin d’intégration et de réintégration dans la communauté d’accueil » (ou plutôt d’origine, devrait dire le document). 

Mais sous le prétexte d’une ouverture à l’ensemble de la population, d’une mission humanitaire en direction des réfugiés et de l’accueil des émigrés de retour, le risque est très grand de voir ces structures jouer le rôle de centres de rétention, de centres de tri pour les demandeurs d’asile en Europe, voir également de structures de « réception » des immigrés irréguliers marocains en Europe (et pas uniquement en Allemagne), ainsi que des immigrés irréguliers en Europe qui auraient transité par le Maroc et que l’on réadmettrait vers le Maroc, en application de l’accord général de réadmission UE-Maroc que Bruxelles veut toujours faire signer par Rabat, moyennant un soi-disant assouplissement dans l’octroi des visas aux Marocains. 

Le dessein de limiter l’accès en Europe aux procédures d’asile, d’externaliser le traitement des demandeurs d’asile et des politiques migratoires européennes assigné à ces centres est à peine voilé. Leur financement est une instrumentalisation manifeste de « l’aide au développement », que celle-ci vienne de l’Union européenne en tant que telle, de ses États membres comme l’Allemagne ou bien de la Suisse, des Pays-Bas… 

Dès lors, concernant le projet de création du Centre d’accueil des migrants à Marrakech, une ambiguïté politique majeure doit être levée. Officiellement, le gouvernement marocain a toujours été contre la création de ces centres. C’est ainsi qu’en février 2017, il exprimait son « refus d’accueillir des centres de transit pour migrants ». Dès lors, le ministère de l’Intérieur, qui assure la tutelle des collectivités territoriales, devrait exprimer sans détour son opposition catégorique à ce projet porté par la Commune de Marrakech, « suivi », «appuyé » et « couvert » par la Direction de la Coopération internationale au ministère chargé des MRE et des Affaires de la migration et ne pas céder aux pressions d’une certaine Europe, celle des sécuritaires qui tentent d’imposer leur propre agenda et leurs propres préoccupations pour répondre à leurs seuls intérêts. 

Ces pressions s’exercent dans le cas précis, sous le couvert de la coopération internationale allemande (GIZ) qui « parraine » ce projet, en se préparant, avec le partenariat de la Direction de la coopération internationale au ministère chargé des MRE et des Affaires de la migration, au lancement de neuf autres projets similaires liés aux communes suivantes avec lesquels le terrain est préparé en créant la confiance, en particulier par des voyages en Allemagne : Communes d’Oujda, Fès, Salé, Rabat, Casablanca, Tanger, Nador, Béni Mellal, Tiznit… Autre caractéristique : chacune de ces neufs collectivités territoriales partenaires, devra réaliser comme la Commune de Marrakech, un projet pilote. 

Associant notamment des élus communaux, des organisations de la société civile locales et autres acteurs locaux, les financements liés à ces projets, créent (chez certains mais pas tous), une sorte de climat de complaisance, nuisible sur beaucoup de plans et notamment à la démarche migratoire à visage humain lancée au plus haut niveau de l’Etat marocain en septembre 2013. 

Sur ce plan, le journal allemand Welt am Sonntag a annoncé récemment que le gouvernement allemand a commencé à construire deux centres de jeunesse dans le nord du Maroc pour loger des « enfants des rues » originaires du Maroc, ainsi que des « mineurs marocains non accompagnés » expulsés par l’Allemagne. Construits par la coopération allemande, ces centres de déportation seront gérés conjointement par des collectivités territoriales et des ONGs locales. Ces projets « pilotes » vont ainsi créer une voie légale permettant à l’Allemagne (et par comparaison à d’autres pays européens), de commencer à expulser les jeunes vers le Maroc, sans devoir nécessairement localiser leurs familles en priorité. 

S’agissant de ces divers financements extérieurs, mais répondant à une même logique, il s’agit par conséquent de prendre le recul pour penser les choses en termes politiques, et non pas se contenter de dire que nous sommes en présence d’une « coopération bilatérale et multilatérale fructueuse et exemplaire avec les pays d’accueil et les organismes internationaux ». 

De notre point de vue, une réflexion stratégique sur la nature et l’orientation politique de ces « aides » extérieures s’impose, au lieu de chercher à continuer d’impliquer les collectivités territoriales dans une perspective d’externalisation des politiques migratoires européennes, sous prétexte de pragmatisme. 

La vigilance politique et intellectuelle s’impose à un autre niveau. Dans le cadre du projet de loi n° 76.15 portant création du Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH), constitutionnalisé en 2011(article 161 de la Constitution) et soumis à discussion actuellement au parlement, une disposition attire l’attention. Certes, s’agissant de la possibilité du Conseil d’effectuer des visites, l’article 11 ne parle pas de centres mais « des lieux où on garde les migrants en situation irrégulière », considérés par ailleurs comme faisant partie des lieux de privation de droits. 

Cependant, on ne peut limiter l’interprétation de cette disposition de l’article 11 à la seule référence à un droit de visite aux zones d’attente, particulièrement dans les aéroports. Ce qui est visé, c’est l’ensemble des lieux de privation de libertés des migrants en situation irrégulière, y compris de notre point de vue, les centres d’accueil de migrants en situation irrégulière. Dès lors, ne sommes-nous pas ici face à un autre indicateur montrant que les responsables marocains cèdent aux chants des sirènes sécuritaires européennes !? 

Toujours est-il que les deux exemples précités sont en totale contradiction avec la démarche suivie par la Nouvelle Politique Migratoire du Maroc. Tout comme ils sont antinomiques et en plein déphasage avec l’esprit de l’Agenda Africain pour la Migration, qui insiste sur la nécessité d’avoir des politiques migratoires non répressives et non sécuritaires, mais au contraire soucieuses du plein respect des droits de l’Homme. 

Les responsables marocains du dossier migratoire, doivent par conséquent sortir de ces contradictions flagrantes. 

III.4 Le grand retard de la mise à niveau juridique 
En quatrième lieu, on ne peut nullement suivre les déclarations de certains responsables, selon lesquels, en matière d’immigration et d’asile, le cadre réglementaire a été changé. De même, l’affirmation suivante reproduite dans un numéro hors-série de « La Vie Économique » (décembre 2017), ne peut être retenue : «la mise en place de cette nouvelle politique migratoire, a été accompagnée sur le plan législatif par l’adoption de trois projets de lois sur l’émigration, la lutte contre la traite des êtres humains et l’asile ». 

En effet, le dispositif juridique n’a pas encore été, pour l’essentiel, modifié, alors que le gouvernement a procédé le 17 septembre 2013, à la création d’une commission chargée de la mise à niveau du cadre juridique relatif à l’immigration et l’asile. La présidence de cette commission est revenue à la Délégation interministérielle chargée des droits de l’Homme. Outre la Délégation, la commission a été composée des ministères des Affaires étrangères, de l’Intérieur, de la Justice et des libertés, de l’Emploi et de la formation professionnelle, du ministère chargé des MRE et des Affaires de la migration, du Secrétariat général du gouvernement, du ministère de la Solidarité, de la femme, de la famille et du développement social et de la Direction générale de la sûreté nationale. Le CNDH est associé aux travaux de la commission en tant que membre consultatif. 

Certes, la loi 27-14 relative à la lutte contre la traite des êtres humains, déposée à la Chambre des Représentants le 24 juillet 2015 et adoptée par cette chambre le 31 mai 2016 ainsi que par la Chambre des Conseillers le 2 août 2016, est entrée en vigueur le 17 septembre 2016. Par contre, il convient toujours de rattraper l’énorme retard incompréhensible dans la mise à niveau d’autres aspects centraux du cadre juridique concernant l’immigration. 
  • Il s’agit d’abord de la loi sur l’asile. Certes, le Maroc figure depuis le 7 novembre 1956 parmi les États partie à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés -dite Convention de Genève – et à son protocole de 1967, depuis le 20 avril 1971. Mais il n’y’a jamais eu jusqu’à présent, de loi fondant une procédure nationale de détermination du statut de réfugié. 
En plus de ce vide législatif, une véritable marche arrière est opérée dans le domaine de l’asile au Maroc. En effet, depuis mars 2017, le Bureau des réfugiés et des apatrides (BRA) chargé de l’octroi de ce statut et relevant du ministère des affaires étrangères, a suspendu ses activités. En effet, le BRA héberge la commission ad hoc constituée de représentants des ministères des Affaires étrangères, de l’Intérieur, de la Justice et des Libertés, de l’Emploi et de l’insertion professionnelle, de la Délégation interministérielle aux droits de l’homme et d’un représentant de la Délégation du HCR à Rabat, chargée d’auditionner les demandeurs d’asile et d’instruire leurs dossiers, avant de leur octroyer le statut de réfugié. 

Or cette suspension tend à remettre en cause le processus de réforme entamé depuis le 25 septembre 2013 en vertu duquel le HCR sera remplacé par le BRA, sachant que l’obtention d’une carte de réfugié par le BRA, donne entre autres, la possibilité de se faire établir une carte de séjour, de travailler dans le secteur formel, d’avoir accès aux services publics ou encore de louer un appartement en toute légalité. Par conséquent, cette fermeture du BRA a un impact négatif majeur, celui d’empêcher des personnes reconnues réfugiés par le HCR d’être régularisées avec une carte de séjour, laquelle seule leur permet d’accéder à un certain nombre de droits, enlevant ainsi tout caractère opérationnel effectif à la procédure d’asile et la remettant en cause tout simplement. Car encore une fois et encore, sans carte de séjour, les réfugiés restent dans le dénuement et la précarité. 
  • Il s’agit ensuite de la refonte de fond en comble de la loi numéro 02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Royaume du Maroc, à l’émigration et à l’immigration irrégulières, promulguée par dahir numéro 1-03-196 du 11 novembre 2003 et son décret d’application du 1er avril 2010. Contrairement à ce qu’on a pu lire sur les colonnes du journal « Le monde » du 14 novembre 2017, on ne peut dire par rapport à cette loi, qu’« elle a été finalement abrogée en septembre 2014 » (article signé par Mattéo Maillard qui double par ailleurs le chiffre des régularisés en 2014 : 50.000 au lieu de 25.000 réellement), mais cette loi foncièrement liberticide, reste le principal texte de loi qui régit la migration. 
Elle est toujours en vigueur, continuant à criminaliser la migration irrégulière, à faire des migrants irréguliers des criminels, alors que – paradoxe -, on régularise leur situation administrative !!! À forte dominante sécuritaire, cette loi n’a nullement prévu en contrepartie un équilibre pour l’institution d’un certain nombre de droits économiques, sociaux et culturels pour les étrangers au Maroc. 

Sur ce point, faisons référence à divers articles de presse reproduisant un communiqué de la Commission Nationale (présidée par le CNDH) de suivi et de recours concernant l’opération de régularisation qui dit ceci par rapport à son activité proprement dite: 
« il a également été décidé d’accélérer le processus d’adoption des lois relatives à l’asile et à la refonte de la loi 02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Royaume du Maroc, à l’émigration et l’immigration irrégulière ». 
Faisons observer en premier lieu que la Commission de recours (qui doit par ailleurs être élargie au niveau de la société civile), n’a aucune prérogative ou compétence pour décider l’accélération du processus d’adoption des lois en question. La commission peut formuler un souhait, exprimer une demande dans ce sens, interpeller les instances concernées en ce domaine, mais elle n’a nul pouvoir de décision en ce domaine, sinon pourquoi elle ne passerait pas alors elle-même à l’exécution concrète !? 

Par ailleurs, la formulation du communiqué est ambiguë et pas claire. Quand on parle d’accélération du processus d’adoption des lois, on pense plutôt à l’instance législative qui doit augmenter ses cadences de travail, en particulier en commission. 

Or dans ce dossier, si le chantier de réforme reste inabouti, le retard est d’abord et avant tout dans le processus de préparation et d’élaboration des projets de lois qui n’ont pas encore été soumis par le Secrétariat général du gouvernement au Conseil de gouvernement. La critique est par conséquent à adresser franchement et directement au gouvernement, y compris à la Direction interministérielle chargée des droits de l’Homme, qui n’arrive pas à aboutir à un accord en interne sur ces lois, ce qui bloque politiquement leur processus d’élaboration, et non pas pour une quelconque « surcharge de travail au niveau du gouvernement », encore moins du parlement. 

Précisons donc ici encore une fois et encore, qu’il ne peut y avoir de Nouvelle Politique Migratoire du Maroc, si elle n’est pas adossée à une législation appropriée à visage humain. En d’autres termes, les politiques migratoires qui n’ont pas d’assise législative, ne reposent pas sur un système de gouvernance assez stable. Ainsi, le manque toujours persistant de nos jours de fondement législatif, équivaut à une profonde lacune pour tout l’édifice de l’intégration des immigrés qui n’est pas encore inscrit dans la loi. De même, les pratiques administratives liées aux opérations de régularisation, telles les conditions de renouvellement des cartes de séjour pour les personnes dont la situation administrative a été régularisée, ne sont pas encore, pour l’essentiel, encadrées par des textes juridiques claires. 

La refonte urgente de l’arsenal juridique en question est par conséquent indispensable. On ne peut s’en passer. Le retard observé étant dû à des hésitations, à des désaccords de fond, que l’on lance au moins un débat public en la matière pour avancer, en rendant public par le SG du gouvernement le texte des avants projets de loi, en s’ouvrant réellement sur la société civile qui n’a jamais été jusqu’ici réellement impliquée dans le cadre d’une démarche participative, contrairement aux orientations données par la plus haute autorité du pays! 

Par ailleurs, d’autres textes en vigueur, doivent être nécessairement modifiés: 
  • Amendement du dahir numéro 1-58-376 réglementant le droit d’association, afin de permettre l’alignement du statut juridique des associations étrangères sur celui des associations marocaines. 
  • Amendement de la loi numéro 65-99 relative au Code du travail en son article 416, de manière à permettre aux travailleurs immigrés l’accès aux postes d’administration et de direction des syndicats professionnels auxquels ils sont affiliés. 
Enfin s’agissant de la lutte contre la discrimination et le racisme, la Stratégie Nationale relative à l’Immigration et l’Asile a prévu l’élaboration d’un projet de loi, restée sans suite à ce jour, alors qu’il y’a urgence à disposer de ce texte, compte tenu notamment du discours populiste rampant à propos de l’immigration étrangère au Maroc. 

Par contre, dans la présente législature, le groupe parlementaire des députés de l’Istiqlal, a (re)déposé à la Chambre des Représentants, une proposition de loi en la matière, et sa discussion a même commencé en commission de la législation, en espérant qu’elle aboutira positivement. 

Enfin, la politique d’insertion harmonieuse des immigrés est un travail de longue haleine, qui nécessite des interventions multi-sectorielles, l’apport de divers acteurs extra-gouvernementaux et un processus participatif continu. Voilà pourquoi, sans tomber dans l’inflation institutionnelle et dans la mesure où constitutionnellement, le CCME (Conseil de la communauté marocaine à l’étranger)est dédié spécifiquement aux citoyens marocains établis à l’étranger, la mise en place d’un haut conseil à l’intégration des immigrés au Maroc, ouvert notamment à la société civile immigrée au Maroc et aux syndicats actifs dans le domaine, serait la bienvenue, comme cadre de consultation et de concertation pour tout ce qui touche ce dossier de l’intégration des étrangers au Maroc. 

V. IMPACT SUR LES POLITIQUES MIGRATOIRES EN DIRECTION DES MRE 

Les derniers développements de cette contribution au débat public pour l’action, traitent de l’impact de l’Agenda Africain pour la Migration (ainsi que celui du dialogue migratoire à l’échelle mondiale en 2018) sur les politiques marocaines en direction des cinq millions de citoyens marocains établis à travers le monde. Voici, de notre point de vue, quelques-unes des actions très urgentes à mener, qui montrent que d’autres politiques migratoires sont possibles, qu’il existe des politiques et des pratiques alternatives : 
  • donner la priorité à la Stratégie Nationale relative aux MRE ; 
  • nécessaire mise à niveau du paysage institutionnel MRE ; 
  • opérationnaliser les droits politiques constitutionnels des migrants ; 
  • confirmer le refus de l’accord de réadmission avec l’Union européenne. 
V.1 Priorité à la Stratégie Nationale relative aux MRE 
  • Nécessité urgente d’une Stratégie Nationale globale, cohérente et intégrée en matière de communauté marocaine résidant à l’étranger. 
Une clarification capitale s’impose à ce niveau. Avant de parler « des avancées de la Stratégie au profit des Marocains résidant à l’étranger » comme l’a fait un article paru dans « L’opinion » du 20 et 21 janvier 2018 (en pages 1 et 4), reproduisant une note du ministère chargé des MRE et des Affaires de la migration, encore faut-il que cette Stratégie Nationale en direction des MRE existe réellement ! 

Pour nous et nous l’avons montré notamment lors de la deuxième rencontre de concertation organisée dans une démarche d’ouverture et de partenariat le mercredi 17 janvier 2018 par le ministère chargé des MRE avec les chercheurs en migration, le Maroc pâtit encore de l’absence d’une stratégie nationale dédiée aux MRE, alors que dans les documents officiels du ministère chargé des Marocains résidant à l’étranger et des Affaires de la migration, cette stratégie existe bel et bien et elle est même opérationnalisée, connaissant des acquis et des « avancées ». 

L’affirmation de l’existence réelle de cette stratégie est relayée par des institutions internationales qui suivent pourtant de près le dossier migratoire au Maroc et des politiques marocaines y afférent. 

C’est ainsi que dans un document du programme précité « Renforcement des capacités des collectivités territoriales dans le domaine migratoire », la GIZ affirme que « le gouvernement marocain a présenté fin 2014 la stratégie nationale d’immigration et d’asile, et en 2015, le Royaume du Maroc s’est aussi doté d’une stratégie pour les Marocains du monde ». 

Par ailleurs, à l’occasion de la dernière célébration de la Journée Internationale des Migrants (18 décembre 2018), le Maroc et l’Union européenne ont signé un nouveau programme de partenariat dans le domaine de la migration visant à apporter un appui aux politiques migratoires du Maroc. Dans le détail, précise le communiqué de la Délégation de l’Union européenne à Rabat, ce programme doté d’une enveloppe de 390 millions de dirhams pour une durée de 4 ans, « a pour objectif d’améliorer la gouvernance de la migration au Maroc par l’appui aux stratégies nationales d’immigration et d’asile et pour les Marocains résidant à l’étranger (MRE) ». 

En revenant à la décision d’exécution de la Commission européenne du 15 décembre 2016 relative au programme d’action annuel—partie 3 en faveur du Maroc à financer sur le budget général de l’Union (document de 105 pages : C (2016)8836 final), les développements suivants (voir pages 3 et 7) attirent l’attention : « L’objectif du présent programme est de renforcer la coopération UE-Maroc en matière de programme par un appui budgétaire aux deux stratégies migratoires marocaines. Il vise à consolider les acquis des nombreux appuis de l’UE aux différents volets de ces stratégies par une approche plus intégrée (…) Le Conseil de gouvernement a adopté en juillet 2015 la Stratégie Nationale au profit des Marocains Résidant à l’Etranger (SNMRE) qui permet de commencer à formaliser une expérience de plus d’une décennie de politiques de soutien aux/et aux mobilisations des MRE. En effet, le Maroc fait figure de modèle pour le maintien et le renforcement des liens avec sa diaspora… ». 

Or le discours du Trône du 30 juillet 2015 apporte un démenti cinglant à propos de l’existence d’une Stratégie Nationale MRE, l’étude lancée par l’IRES en 2012 (en partenariat avec le ministère MRE, le CCME, la Fondation Hassan II pour les MRE), pour l’élaboration d’une stratégie nationale relative à l’émigration à l’horizon 2030, ayant totalement échoué, le rapport final n’ayant jamais été validé. En effet, le Roi Mohammed VI réitère au gouvernement l’appel solennel lancé 10 années auparavant, concernant l’impératif d’élaborer une stratégie nationale globale, cohérente et intégrée dans le domaine des MRE : « Nous réitérons notre appel pour élaborer une stratégie intégrée fondée sur la synergie entre les institutions nationales ayant compétence en matière de migration pour rendre ces institutions plus efficientes au service des Marocains du monde ». 

En fait, durant la précédente législature et avec le dernier gouvernement, le département de tutelle a concocté en urgence par le biais d’un bureau d’étude une note de 17 pages en arabe qui est encore publiée sur le site officiel du ministère chargé des MRE et des Affaires de la migration, en lui donnant un titre trompeur : « Stratégie Nationale pour les Marocains Résidant à l’Etranger » ! 

Il suffit de consulter l’introduction pour se rendre compte du « bricolage » entrepris et de la non crédibilité du document. Ainsi parmi les trois « fondements » retenus pour cette pseudo stratégie, deux sont formulés comme suit: 
  • discours royaux du 30 juillet 2010 et 20 août 2012 ; 
  • le programme gouvernemental 2012-2016. 
Cependant, une lecture attentive du discours du Trône du 30 juillet 2010, permet de constater qu’il n’y’a aucune référence, aussi minime soit-elle, à la migration ou aux Marocains résidant à l’étranger. Par contre, de nombreux discours royaux pouvant constituer une référence, n’ont nullement été cités, en particulier : 30 juillet 1999 ; 20 août 2001 ; 30 juillet 2002 ; 20 août 2002 ; 30 juillet 2004 ; 6 novembre 2005 ; 6 novembre 2006 ; 6 novembre 2007 ; 30 juillet 2015. 

Par ailleurs, un programme gouvernemental, aussi riche soit-il (ce qui n’est même pas le cas), ne peut fonder une stratégie. Au contraire, c’est la stratégie qui détermine et fonde les plans d’action et leur donne du sens, fixe le cap. Au niveau méthodologique, la confusion est flagrante et inacceptable. 

De plus, cette « SNMRE » n’a pas une portée transversale, qui est une caractéristique principale du dossier MRE. À peine si elle couvre déjà le ministère de tutelle, ne constituant même pas un plan d’action. Elle n’a pas été dotée d’un système de gouvernance, pas d’estimation budgétaire ni de planification budgétaire pluriannuelle des objectifs.Tout comme les leviers et instruments d’intervention dans le champ MRE qui connaissent de multiples dysfonctionnements, ne sont même pas cités, alors qu’ils doivent être mis à niveau (CCME, Fondation Hassan IJ pour les MRE…). 

Dès lors, peut-on dire officiellement que le Maroc est un exemple et fait aujourd’hui office d’un vrai modèle en matière de politiques migratoires, sans qu’il ne dispose lui-même d’une stratégie pour sa propre communauté résidant à l’étranger ? Quel paradoxe de constater qu’un secteur stratégique d’intérêt national n’ait pas une stratégie nationale le concernant ! Comment un Agenda migratoire peut-il être impulsé à l’échelle continentale par le Maroc, sans qu’au niveau national marocain, une vision d’ensemble et une stratégie globale ne puissent être établies au profit de sa Jaliya !? 

Dès lors, le processus de refonte de la politique migratoire envers les citoyens marocains établis à l’étranger, doit s’opérer à partir d’une construction politique horizontale impliquant les diverses institutions étatiques et les différents acteurs concernés par Le champs migratoire. Précisons bien qu’il ne s’agit pas de « réviser » une stratégie déjà existante ou d’élaborer une « nouvelle » stratégie, mais bien de produire une stratégie qui n’a jamais été mise en place jusqu’à présent, contrairement à plusieurs déclarations gouvernementales, en particulier celle de Abdelilah Benkirane, ex-chef du gouvernement le 22 juin 2016 et celle de son successeur, Saâdeddine El Othmani, à la Chambre des Conseillers, début août 2017. 

De même, on ne peut que regretter la « fake news » ou désinformation pratiquée par le journal « Le Matin » daté du vendredi 19 janvier 2018. Dans un article ayant pour titre « Mise en œuvre de la politique migratoire ; le gouvernement tient à se concerter avec les experts et les universitaires », l’auteur affirme dans une démarche manipulatrice, que les participants à la dernière réunion de concertation (17 janvier 2018), ont notamment dressé « un état des lieux des différentes AVANCEES de la Stratégie au profit des Marocains résidant à l’étranger… ». Or en dépit du peu de temps consacré au débat général, diverses interventions ont bien montré que cette stratégie n’existe pas encore, et même en tirant les conclusions de ces échanges, le Secrétaire général du ministère chargé des MRE et des Affaires de la migration a eu l’honnêteté intellectuelle de reconnaître que cette stratégie nationale MRE n’a pas encore été élaborée, invitant les chercheurs et universitaires à accompagner scientifiquement le département dans ce projet indispensable. Cela dit, il ne suffit pas de faire le constat et de reconnaître l’absence de stratégie relative aux MRE, il faut en tirer les conséquences en mettant les politiques actuelles en leur direction à plat. 

V. 2 Nécessaire mise à niveau du paysage institutionnel MRE 
Cette intervention est à opérer sur le mode de fonctionnement et de gouvernance à adopter au sein du dispositif institutionnel migratoire marocain. Il s’agit de la mise à niveau des instruments d’action dédiés principalement ou partiellement aux Marocains résidant à l’étranger, qui connaissent de multiples dysfonctionnements, lacunes et gouvernance défaillante. Ces organismes sont notamment les suivants: 
  • Fondation Hassan II pour les MRE ; 
  • CCME ; 
  • Bank Al Amal ; 
  • Conseil Européen des Oulémas Marocains (CEOM) ; 
  • Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) ; 
Où en est brièvement chacune de ces institutions? 
  • Fondation Hassan II pour les Marocains Résidant à l’étranger, en révisant notamment la loi 19/89 portant création de la Fondation pour démocratiser le comité directeur, dont la composante MRE reste limitée aux « Amicales » sécuritaires datant des années de plomb !!! Il s’agit donc d’instaurer un cadre démocratique de concertation avec les citoyens marocains établis à l’étranger. Tout comme en matière de gouvernance, le comité directeur doit se réunir régulièrement. Alors que la loi prescrit sa réunion au moins deux fois par an, le président-délégué de la Fondation ne l’a pas convoqué depuis l’an 2000 !!! 
  • Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, en particulier par l’opérationnalisation démocratique et transparente de l’article 163 de la Constitution, afin de faire du prochain CCME une institution réellement démocratique, représentative, efficiente et de bonne gouvernance. 
Établir par le CCME des relations de partenariat avec des pays africains comme la Côte d’Ivoire pour les aider à mettre en place en particulier un Conseil similaire, exige un certain nombre de conditions, à savoir la possibilité «d’exporter » des bonnes pratiques, qualités dont ne dispose pas à l’heure actuelle le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, vus les multiples dysfonctionnements structurels dont il pâtit après dix années d’existence : sur les 50 membres nommés qu’il devait avoir, 13 n’ont pas encore été nommés ; seule une assemblée générale annuelle a été tenue depuis début juin 2008 ; aucun avis n’a été présenté durant cette très longue période par cette institution pourtant consultative. De même, sa mission prospective n’est nullement remplie… 

Par ailleurs, ayant été constitutionnalisé en juillet 2011 (article 163 de la Constitution rénovée), le CCME n’a pas encore connu sa refondation et le renouvellement de sa composition par des élections démocratiques et transparentes selon les orientations du discours royal du 6 novembre 2007. 

De plus, après sa création il y’a dix ans, ce Conseil est pratiquement en situation de mort clinique et ses six groupes de « travail », sont inertes … Or ceci n’empêche nullement « La Vie Économique » numéro 4.927 du 5 au 11 janvier 2018, d’écrire de manière très complaisante à la page 34 que « le CCME reste très dynamique » (allusion à la période où son président n’était pas encore devenu également président du CNDH), « le CCME ne chôme pas. Il multiplie les actions sur tous les plans » (sic !), et à la page 35 que « le CCME dans sa version actuelle, fait montre d’une dynamique remarquable » (re-sic !!!). Voilà en termes d’efficacité, une « pub » ou « com » bien payante… 

Dès lors, la commission de contrôle mise en place au niveau du ministère marocain des Affaires étrangères pour le suivi de l’exécution de toutes les conventions de coopération établies par le Maroc avec des pays africains subsahariens, devrait à notre sens, se pencher également sur ce dossier pour vérifier la crédibilité de cette coopération du CCME avec la Côte d’Ivoire, au risque de porter tort à l’image du Maroc, dont le Roi est Leader de l’Afrique sur la question migratoire. Il en est de même du nouveau ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale, chargé de la coopération africaine. 

Rappelons en effet que le 20 janvier 2017, fut signé à Marrakech un mémorandum d’entente entre le CCME et le ministère de l’Intégration africaine et les Ivoiriens de l’extérieur, lors d’une cérémonie présidée par le Roi Mohammed VI et le Président Alassane Ouattara, chef de l’Etat de la Côte d’Ivoire. 
  • Bank Al Amal ou « Banque sans travail ». À titre d’exemple., cette banque n’a nullement été impliquée et ne joue aucun rôle dans la « 13ème Région » instituée par la CGEM, en partenariat avec le ministère chargé des MRE et des Affaires de la migration. 
  • Conseil Européen des Oulémas Marocains, créé par le dahir n° 01.08.17 du 20 octobre 2008. Relevons à ce propos l’échec de la politique d’encadrement religieux des jeunes MRE au vu notamment de l’implication directe ou indirecte d’un grand nombre d’entre eux dans les attentats terroristes en Europe. Sur ce plan, la lettre adressée récemment par le Roi au ministre des Habous et des affaires islamiques, lui enjoignant de réviser fondamentalement la gestion financière, aura-t-elle une répercussion sur l’encadrement religieux des MRE, en mettant en cause l’approche purement sécuritaire qui prévaut en ce domaine !? 
  • Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) qui a en charge la gestion de la protection sociale des Marocains établis à l’étranger à travers les accords bilatéraux de sécurité sociale qui doivent être révisés et dont le nombre doit être étendu à d’autres pays, notamment d’Afrique subsaharienne (Sénégal, Côte d’Ivoire, Gabon...). Le cas de l’Italie doit également être réglé. Si l’accord de sécurité sociale entre le Maroc et l’Italie date de 2004, le Maroc l’a ratifié, mais pas encore le parlement italien, privant ainsi quelques 550. 000 Marocains d’Italie d’une partie appréciable de leurs droits sociaux. Une campagne systématique de sensibilisation et de lobbying devrait être menée dans ce sens, avec l’implication notamment du mouvement syndical au Maroc et les centrales syndicales italiennes, avec l’appui du Parlement marocain (Groupe d’amitié Maroc-Italie) et les médias des deux pays. 
Par conséquent, il s’agit d’accorder toute son importance à la mise en place d’une architecture institutionnelle saine, efficace et appropriée pour la gouvernance migratoire au Maroc. Sur le même plan, pourquoi au niveau officiel, la reddition des Comptes touche différents secteurs à travers un certain nombre de sanctions contre des responsables qui ont failli à leurs missions, alors que celui des institutions chargées des MRE est épargné, y compris par la Cour des comptes, avec une sorte de deux poids, deux mesures !? 

V.3 Opérationnaliser les droits politiques constitutionnels des migrants 
  • Article 30 de la Constitution pour le droit de vote des étrangers aux élections locales marocaines. Il ne suffit pas de rappeler constamment cet acquis dans les forums internationaux, sans mettre en pratique cette disposition. 
  • Article 17 de la Constitution pour la députation des citoyens marocains établis à l’étranger, au même titre que les ressortissants à l’étranger des pays africains suivants : Tunisie, Algérie, Mozambique, Cap Vert, Angola, Sénégal. La reconnaissance concrète des Marocains établis à l’étranger en tant que citoyens marocains à part entière, est une nécessité absolue. 
L’obstacle « technique », « matériel », « logistique » ou « organisationnel » mis en avant par les responsables politiques du dossier électoral au Maroc, appuyés en cela par les dirigeants du CCME et du CNDH (celui-ci prône non pas le vote direct dans les consulats, mais le vote par correspondance ou électronique vers le Maroc), ne constitue en fait qu’un pseudo argument. L’étude des bonnes pratiques au niveau électoral des pays africains précités, seraient très bénéfique pour le Maroc si, en parallèle, la volonté politique de considérer les Marocains résidant à l’étranger comme des citoyens marocains à part entière, y est. 

Voilà donc une série d’actions et de réformes législatives à mener concernant le secteur MRE, à ajouter à celles qui sont à entreprendre en matière d’immigration et d’asile au Maroc que nous avons mis en évidence auparavant. C’est dire que ce sont le gouvernement et l’ensemble des acteurs politiques qui sont interpellés, y compris les parlementaires des deux chambres pour une réflexion d’ensemble et des débats de fond avec pour objectif l’élaboration et l’adoption de textes législatifs de qualité en la matière, dans le cadre d’une vision nationale relative aux MRE et d’une charte nationale les concernant, avec leurs droits et leurs devoirs. 

À ce propos et en coordination avec l’Exécutif, un plan de travail législatif d’urgence sur ce vaste domaine migratoire serait à élaborer et à suivre, en envisageant une procédure exceptionnelle d’adoption des textes (session extraordinaire pour chacune des deux chambres en septembre 2018 par exemple), en cohérence notamment avec les responsabilités du Maroc en matière migratoire, particulièrement en 2018, qui sera « une année de l’Afrique, placée sous le signe de la migration », selon le mot du ministre marocain des affaires étrangères, Nasser Bourita. 

V.4 Confirmer le refus de l’accord général de réadmission avec l’Union européenne. 
Enfin, le Maroc devrait de notre point de vue, maintenir son refus catégorique de signer un accord général de réadmission des immigrés irréguliers avec l’Union Européenne (irréguliers marocains et irréguliers étrangers en Europe ayant transité par le Maroc, principalement les Subsahariens), comme il le fait depuis pratiquement le début de ce siècle, en résistant aux multiples chantages et aux incessantes pressions de l’UE, qui fait de la réadmission une idée fixe. 

La réadmission des Africains subsahariens unifierait notamment la mise en place par le Maroc de centres de rétention ou de détention pour abriter ces irréguliers. Il s’agit aussi de sécuriser ces camps, de permettre l’identification des refoulés (pour les renvoyer vers leurs pays d’origine) et de bien s’assurer que les réadmis ne quittent à nouveau le Maroc à destination de l’UE. Or peut-on concevoir l’existence de cette situation, dans le cadre d’une atmosphère régie par ailleurs par une conception humaniste de la Nouvelle Politique Migratoire du Maroc!? 

L’aspect fondamentalement contradictoire ne peut être que souligné, venant conforter les raisons qui poussent déjà, depuis 17 ans, à l’opposition à la conclusion de l’accord de réadmission de l’UE avec le Maroc. 

Cette attitude à travers laquelle le Maroc a toujours refusé de réadmettre les Africains subsahariens « irréguliers » en Europe, gagnerait au niveau de l’Agenda Africain sur la Migration, à être étendue en particulier à certains alinéas de l’article 13 de l’Accord de Cotonou (ex-Convention de Lomé), signé le 23 juin 2000 et entré en vigueur le 1er avril 2003, par lequel l’Union européenne veut toujours imposer des accords généralisés de réadmission aux 79 pays ACP (48 pays d’Afrique subsaharienne, 16 des Caraïbes, et 15 du Pacifique) concernant leurs propres ressortissants, mais également des ressortissants d’autres États ACP en situation irrégulière en Europe, qui auraient transité vers l’UE par ces États. 

Dans l’alinéa C du paragraphe 5 de l’article 13, il est stipulé notamment que : « Chacun des États ACP accepte le retour et réadmet ses propres ressortissants illégalement présents sur le territoire d’un État membre de l’Union Européenne à la demande de ce dernier et sans autre formalité(…) 

Plus loin, il est précisé que : « À la demande d’une partie, des négociations sont initiées avec les États ACP en vue de conclure, de bonne foi et en accord avec les principes correspondants du droit international, des accords bilatéraux régissant les obligations spécifiques de réadmission et de retour de leurs ressortissants. Ces accords prévoient, si l’une des parties l’estime nécessaire, des dispositions pour la réadmission de ressortissants de pays tiers et d’apatrides. Ces accords précisent les catégories de personnes visées par ces dispositions, ainsi que les modalités de leur réadmission et retour. Une assistance technique sera accordée aux États ACP en vue de la mise en œuvre de ces accords ». 

En d’autres termes, chaque État ACP doit réadmettre d’Europe ses propres ressortissants irréguliers, mais également les ressortissants d’autres pays ACP qui se trouveraient en situation administrative irrégulière au sein de l’UE et qui auraient transité par cet État, quitte à ce qu’il s’occupe lui-même de leur réadmission vers leur pays d’origine dans un second temps, avec l’appui « technique » et financier de l’UE. 

Ainsi, chaque État ACP doit jouer le rôle de gendarme de l’Union européenne. 

Par ailleurs, la formulation du Pacte Mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulière est instrumentalisée dans un même esprit à une vaste échelle par les grands pays d’immigration du Nord, qui prônent plus le contrôle, la reprise en main, la fermeté et la fermeture, « l’ordre », bref une ligne raide et dure. Dans ce texte, on assiste ainsi à des remises en cause des acquis tels que la Convention internationale pour la protection de tous les travailleurs migrants et les membres de leur famille, les Conventions de l’OIT, la Convention de Genève sur les réfugiés, et en cherchant à faire admettre à tous et à cautionner, au nom d’un pragmatisme supposé, la nécessité de l’externalisation des frontières, de la déportation et de la réadmission. C’est ainsi que dans les « engagements s’appliquant aux migrants », le Pacte stipule par rapport à la réadmission notamment ce qui suit: 
  • « Nous rappelons aussi que les États sont tenus de réadmettre leurs nationaux de retour et de faire en sorte que ceux-ci dûment accueillis sans délai injustifié, une fois leurs nationalités confirmées en application de la législation nationale. Nous prendrons les mesures pour informer les migrants des divers processus associés à leur arrivée et à leur séjour dans les pays de transit, de destination et de retour » (paragraphe 42). 
  • «Nous encourageons fortement la coopération entre les pays d’origine ou de nationalité, les pays de transit, les pays de destination et les autres pays concernés pour faire en sorte que les migrants qui n’ont pas la permission de rester dans le pays de destination puissent retourner, en application des obligations internationales de tous les États, dans leur pays d’origine ou de nationalité (…)Nous notons que la coopération en matière de retour et de réadmission, constitue un élément important de la coopération internationale en matière de migration. Une telle coopération devrait inclure une identification en bonne et due forme et la fourniture des documents de voyage voulus (paragraphe 58). 
À ce niveau, un des passages du discours du ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, à l’ouverture le 9 janvier 2018 de la Conférence ministérielle à Rabat sur la migration, attire l’attention et aurait besoin d’une clarification. L’inquiétude provient notamment du fait qu’au-delà d’une apparence d’équilibre, certaines questions comme le partage des responsabilités dans le domaine de gestion des frontières, des retours, de la réadmission, sont au cœur de l’Agenda Africain sur la Migration : « le recrutement équitable des travailleurs migrants, la reconnaissance et le développement des compétences, l’intégration économique, sociale et civique des migrants, ainsi que le partage des responsabilités en matière de gestion des frontières, de retour, de réadmission, d’intégration et de réintégration, sont quelques-uns des volets majeurs de l’Agenda Africain sur la Migration ». 

Est-ce à dire sur ce plan que, aux yeux de la diplomatie marocaine, globalement pour l’Afrique, y compris pour le Maroc, la question de la réadmission est saisie selon la même conception que celle prévalant dans le projet de Pacte Mondial pour des Migrations sûres, ordonnées et régulières, et qu’elle devient par ailleurs « négociable » avec l’Union européenne et dans le même esprit foncièrement sécuritaire, entre les pays africains !? L’enjeu est par conséquent de taille et mériterait un débat approfondi avant la finalisation de l’Agenda, à moins qu’en séance à huis clos, les choses aient pris, comme on le souhaite, un chemin plus cohérent avec la Nouvelle Politique Migratoire du Maroc, et la position officielle du Maroc en ce domaine, pratiquement depuis le nouveau règne! 

EN GUISE DE CONCLUSION 

Au total, les gestionnaires à tous les niveaux du dossier migratoire marocain dans ses deux dimensions, celle de l’immigration étrangère et de l’asile au Maroc, et celle des Marocains établis à l’étranger, sont interpelés en premier lieu par l’Agenda Africain sur la Migration. La mise sur pied de cet Agenda, questionnera le Maroc qui doit présenter de manière cohérente, une feuille de route retraçant les grandes lignes de cet agenda sur les migrations au niveau national, régional, continental et international. 

Les responsables marocains du dossier migratoire, sont interpellés en second lieu par l’agenda mondial relatif au dossier migratoire dans lesquels le Maroc, particulièrement en 2018, avec la double échéance de Marrakech, est destiné à jouer un rôle de premier plan et d’assumer des rendez-vous de cohérence. 

Une bonne opportunité par conséquent pour le Maroc, de se mettre à niveau sur tous les plans sur ce dossier stratégique concernant sa propre gouvernance migratoire au plan national, de se questionner en termes de politiques publiques si l’on veut que son expérience au plan migratoire dans ses deux volets soit probante et qu’il montre réellement la voie en ce domaine. 

Si comme l’a déclaré le ministre chargé des MRE et des Affaires de la Migration, Abdelkrim Benatiq, à l’occasion de la conférence ministérielle de Rabat sur les migrations, « le Maroc est prêt à partager son expérience dans le domaine migratoire avec les pays africains », de notre point de vue, les conditions ne seront pas totalement remplies tant que toutes les réformes indispensables au niveau juridique et au plan des institutions liées au champ migratoire, n’auront pas été faites. Ceci est effet loin d’être le cas maintenant, surtout pour la politique en direction des Marocains résidant à l’étranger pour lesquels on manque encore une fois et encore d’une stratégie nationale globale, cohérente et intégrée spécifique, alors que celle relative à l’immigration étrangère au Maroc est en bonne voie, malgré certaines limites qui sont à dépasser à la faveur notamment de l’Agenda Africain sur la Migration, qui doit être également une chance pour le Maroc lui-même. 

C’est une occasion propice et une aubaine hors norme d’y renforcer la protection des migrants (immigrés et émigrés) et d’améliorer leurs conditions de vie ainsi que la gouvernance des migrations au sens large, bref de se questionner vraiment pour évoluer et accompagner le changement nécessaire en la matière. Ceci implique également une politique de recherche pour l’action dans le domaine migratoire, non seulement à l’échelle de chaque pays africain, mais aussi globalement au niveau de l’Union Africaine. 

Dans cette perspective, la mise en place au Maroc d’un observatoire national des migrations (immigration et émigration), avec l’établissement d’un agenda national de la recherche en migration serait bénéfique, l’esprit étant d’avoir une meilleure prise en compte des réalités de l’immigration étrangère au Maroc et d’une diaspora marocaine en mutation, permettant notamment de garantir leurs droits et de préserver leurs intérêts. 

Rabat, le vendredi 26 janvier 2018 

Abdelkrim Belguendouz 
Universitaire à Rabat, chercheur en migration 



 
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