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Le professeur Abdelkrim Belguendouz, universitaire à Rabat et chercheur en migration, vient juste de publier, aux Editions Béni Snassen, un nouveau livre de 703 pages intitulé « Politiques migratoires marocaines en débat. Défis internes et enjeux externes (2013-2018). La sortie de ce nouvel ouvrage coïncide avec la Journée Nationale de la Communauté Marocaine Résidant à l’Etranger. Nous publions, ci-dessous, les raisons de l’édition de ce livre qui traite de la question des politiques migratoires marocaines.

Pourquoi ce livre ? 
Ce livre participe du devoir de mémoire sur ce fait sociétal contemporain qu’est la migration internationale, vue au niveau de ses deux volets pour le Maroc : immigration étrangère et asile d’une part, mais aussi émigration vers l’extérieur du Maroc et existence d’une communauté marocaine établie à l’étranger d’autre part. 

Or lorsque l’on parle officiellement de politique migratoire du Maroc, et plus précisément de « Nouvelle Politique Migratoire du Maroc », on a tendance à oublier le secteur relatif aux Marocains résidant à l’étranger, en ne renvoyant qu’à la politique concernant le premier volet, sans s’interroger sur la nature de la seconde. 

Politiques migratoires marocaines doivent en effet être saisies au pluriel, et la « nouveauté », au plan des choix politiques et de la gouvernance, devrait réellement concerner et caractériser concrètement tout autant les deux volets, et pas uniquement le premier, comme c’est le cas actuellement en pratique, compte tenu d’un certain nombre de déficiences qui seront analysées. 

Ce livre contribue de la sorte à l’évaluation de ces politiques avec des éléments d’alternatives. Il restitue, de l’automne 2013 à l’été 2018, l’itinéraire d’une réflexion ou évolution d’une perception d’un observateur actif de la scène migratoire marocaine et analyste assidu des politiques publiques marocaines la concernant, dont il s’agit de déterminer les fondements et le contenu, de décrypter la portée; politiques qui touchent à une multitude de dimensions et d’implications : économiques, financières, sociales, culturelles, cultuelles, éducatives, démographiques, politiques, juridiques, institutionnelles, environnementales, sécuritaires, diplomatiques, géostratégiques, implications au niveau international, sous-régional, nationales, locales. 

Acquis et dysfonctionnements 
Dans une démarche qui se doit d’être nécessairement équilibrée, en reconnaissant des progrès accomplis et des réalisations dans le domaine migratoire, le livre met au même moment le doigt sur des dysfonctionnements graves dans la gouvernance migratoire au plan général, et surtout sur l’absence de sens et de signification de certaines des politiques marocaines en question. 

C’est ainsi que, depuis l’automne 2013 et comme le montrent des contributions publiées dans cet ouvrage, la « Nouvelle Politique Migratoire du Maroc » a connu des avancées qualitatives substantielles en matière d’immigration étrangère. Avec notamment depuis fin 2014, l’adoption et le suivi d’une stratégie nationale relative à l’immigration et à l’asile, qui est l’expression d’un choix humaniste et de solidarité active avec les peuples du continent africain en particulier. Toutefois, cette stratégie est perfectible sur certains points et a besoin d’être opérationnalisée au plan juridique et réglementaire en particulier. 

Tout comme l’insertion harmonieuse des immigrés dans le tissu productif et la société marocaine, qui est l’objectif ultime des deux opérations de régularisation (2014 et 2017) doit être activée, pour avoir des résultats tangibles dans les meilleurs délais possibles, sachant que l’œuvre la concernant, s’inscrit par ailleurs dans un projet sociétal auquel doivent contribuer toutes les composantes de la société marocaine. Ceci nécessite en particulier de tordre le cou à des préjugés et à une perception négative sur l’immigration subsaharienne, conçue soit en terme de «danger(s)» multiforme(s), soit sous l’angle de « concurrence » aux nationaux ou même les deux à la fois. 

Par contre, la stratégie nationale globale, cohérente et intégrée, relative aux Marocains du Monde fait toujours défaut, malgré des rappels de discours royaux, dont le discours du Trône 2015, avec en plus, son déni persistant par des responsables et des gestionnaires du dossier migratoire, retardant d’autant d’une part la coordination et la synergie entre les différents intervenants du secteur, d’autre part l’effectivité sur le terrain de la pleine citoyenneté des « MRE » par rapport au Maroc, en dépit de l’apport novateur de la Constitution de 2011... 

Les contributions de l’auteur au débat public pour l’action qui composent ce livre, ont trouvé hospitalité dans divers médias (écrits, radiophoniques ou électroniques) qui sont signalés pour chaque chronique, tribune ou étude avec la date de parution (ou de diffusion). Ces médias, pour les plus fréquents, sont les suivants : 
  • Presse écrite : « L’opinion » (Rabat), « Albayane » (Casablanca), « Perspectives Med » ; Maghreb Canada Express (Montréal). 
  • Radio : émission marocaine « Arc En Ciel » sur « Radio Pluriel » (Lyon) pour diverses chroniques « Citoyens Marocains à l’Etranger » ; 
  • Sites électroniques : Dounia News, Wakeup MRE puis Wakeupinfo.fr, Lavigiemarocaine.com, OujdaCity.com, Almohagir.com. 
Le dénominateur commun de ces contributions est de permettre à la question migratoire dans sa globalité, d’entrer de plein droit et force dans les politiques publiques marocaines multidimensionnelles, la planification multi-sectorielle du développement, y compris régional et local et surtout, dans le changement démocratique et les nécessaires réformes politiques à mener dans l’intérêt du Maroc dans son ensemble, des citoyen(ne)s marocain(e)s établi(e))s à l’étranger et des immigrés au Maroc, dans le respect de l’intégralité des droits humains, par le biais d’une bonne gouvernance migratoire. 

Sur la forme, le lecteur peut constater quelques répétitions sur certains points. Celles-ci sont inévitables lorsque des problèmes restent longtemps posés sur la place publique avec, chez les responsables, l’absence de volonté politique de les résoudre et en ayant recours à la répétition sans relâche d’un même argumentaire officiel qui n’est même pas affiné avec le temps, y compris par des institutions nationales consultatives chapeautées par un même président, chargées pourtant de la promotion et de la protection des droits de l’Homme, ou bien de la défense spécifique des droits et des intérêts de la communauté des citoyens marocains résidant à l’étranger, et non pas au contraire à « militer » en particulier pour le non-respect des droits politiques par rapport au Maroc des citoyens marocains établis hors des frontières nationales. 

Quelques principaux thèmes 
Comme le montre la table des matières qui suit cette introduction, une variété de sujets est abordée dans les analyses, à la mesure de la complexité de la question migratoire, de son caractère multisectoriel et transversal. De notre point de vue, sur l’essentiel, ces contributions gardent tout leur intérêt, dans la mesure où les questions auxquelles elles renvoient, n’ont pas encore été résolues à ce jour, en dépit de l’insistance au niveau du débat public. Nous sommes face à des défis et à des enjeux importants qui renvoient à des problèmes majeurs en suspens, en particulier : 
  • l’absence de stratégie nationale globale, cohérente et intégrée en matière de Marocains résidant à l’étranger (voir notamment les pages 359 à 374, 534 à 548 et les pages 668 à 697) ; 
  • la nécessaire mise à niveau juridique et réglementaire pour tout ce qui concerne le dossier migratoire dans ses deux volets ; 
  • la prépondérance, chez une bonne partie de l’opinion publique marocaine, de la perception négative des deux opérations de régularisation et de manière générale, de l’immigration étrangère au Maroc, ce qui nécessite tout un travail de pédagogie ; 
  • la gestion plus ou moins chaotique des instituions chargées du dossier migratoire (en particulier le CCME, la Fondation Hassan II pour les MRE, le Conseil Européen des Oulémas Marocains, la CNSS pour ce qui est des droits sociaux des MRE) ; pour ces droits, voir les pages 232 à 243, 267 à 276 et l’étude pages 601 à 617 ; 
  • la persistance, qui n’a que trop duré, de l’absence de participation et de représentation politiques des citoyens MRE par rapport au Maroc : voir notamment les études et analyses pages 21 à 39, 72 à 81, 92 à 100, 244 à 251, 260 à 266, 283 à 288, 309 à 343, 375 à 380, 405 à 416,421 à 424, 469 à 474, 556 à 560 ; 
  • la non opérationnalisation des diverses dispositions de la Constitution 2011 dédiées à la migration ; 
  • le caractère non efficace de l’encadrement religieux par le Maroc de la communauté marocaine résidant à l’étranger (p.524 à 529). 
Ces thématiques couvrent l’essentiel du contenu de ce livre et méritent qu’un débat national approfondi, apaisé, ouvert, démocratique et transparent leur soit consacré par le Parlement regroupant les deux chambres, avec l’étroite implication notamment de la société civile MRE et celle à l’intérieur du Maroc. Ce livre s’inscrit dans cet esprit. D’autant que le débat national sur le nouveau modèle de développement du Maroc n’a pas encore eu lieu, devant de notre point de vue, intégrer également la dimension migratoire dans ses deux volets, en s’inspirant notamment de l’Agenda 2030 pour le développement durable. 

Une triple interpellation 
Par ailleurs, les politiques publiques migratoires marocaines concernant rappelons le, aussi bien l’immigration étrangère au Maroc que la communauté marocaine résidant à l’étranger, sont également interpellées à trois niveaux. 
  1. La première interpellation vient de l’Agenda Africain sur la Migration qui est un apport majeur du Royaume du Maroc à l’Union Africaine, préparé par le Roi Mohamed VI en tant que leader de l’UA sur le dossier migratoire et soumis au 30ème Sommet de l’UA, tenu à Addis Abeba fin janvier 2018 (voir notamment les pages 632 à 666). 
  2. Les politiques migratoires marocaines sont interpelées en second lieu par l’établissement au Maroc de l’Observatoire Africain des Migrations et du Développement (la formulation « et du Développement » ayant été ajoutée à l’appellation après débat), sous l’égide de l’UA. Ceci suppose notamment, comme «point focal », l’existence effective au Maroc d’un observatoire national des migrations, dans ses deux volets, avec l’implication ouverte et transparente des milieux universitaires et de la société civile MRE et interne au Maroc (y compris les ONG de l’immigration). 
  3. La troisième interpellation est due au débat délicat et sensible politiquement lié aux deux conférences internationales qu’abritera Marrakech fin 2018 : celle du 5 au 7 décembre 2018 liée à la 11ème édition du Forum Mondial Migration Développement sous co-présidence maroco-allemande et surtout, celle du 10 et 11 décembre 2018 relative à l’adoption formelle par les États membres de l’ONU, du « Pacte mondial pour des Migrations sûres, ordonnées et régulières » (PMM). Le texte final de ce Pacte a été endossé par l’Assemblée général de l’ONU le vendredi 13 Juillet 2018 avant d’être soumis pour signature à tous les États membres de l’ONU lors de la conférence de Marrakech. 
Un risque de régression 
Même non contraignant, l’application effective étant laissée au bon vouloir des États, ce nouvel outil représente un problème de basculement majeur dans la gouvernance migratoire mondiale, avec un risque de régression par rapport à un certain nombre d’acquis figurant notamment dans les conventions de l’OIT, la Convention de Genève sur les réfugiés, ou bien la Convention internationale pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, à laquelle les grands pays du Nord n’ont jamais voulu adhérer, et de la prédominance par contre de la démarche sécuritaire. 

Quelle est ainsi l’utilité d’élaborer d’autres textes alors que des dispositifs plus avancés existent, mais sont «boudés» par les grands pays d’immigration comme les États-Unis d’Amérique (qui se sont par ailleurs retirés des négociations sur le PMM) et les pays de l’UE qui privilégient également les méthodes sécuritaires ? 

En atteste le débat récent sur la création pour les migrants secourus en mer de « plateformes de débarquement » hors UE et notamment en Afrique du Nord, dont le Maroc, qui a refusé à juste titre cette «proposition», moyennant financement de l’Union Européenne. 

Comme il avait refusé auparavant l’installation sur le territoire marocain de « centres de tri » pour demandeurs d’asile à l’UE et rejeté avec constance depuis pratiquement le début de ce siècle (les rounds de négociations formelles ayant débuté en 2003), malgré de multiples pressions et un chantage quasi incessant, la mise en place de centres de rétention destinés à réadmettre les « illégaux » en Europe qui auraient transité par le Maroc, dans le cadre d’un accord général de réadmission UE-Maroc relatif non seulement aux Marocains en situation administrative irrégulière en Europe, mais aussi aux ressortissants des pays tiers, principalement de l’Afrique subsaharienne, qui auraient transité du Maroc vers l’UE et s’y trouvent de manière « clandestine », «irrégulière» ou « illégale ». 

Pacte Mondial ou pacte du silence !? 
Dès lors, comment suivre cette attitude euphorique de l’ambassadeur représentant permanent du Maroc à l’ONU qui a notamment déclaré le 13 juillet 2018 qu’il ne faudrait surtout pas changer quoi que ce soit à la nouvelle version du PMM, mais au contraire l’adopter telle quelle : « Nous sommes tous appelés à promouvoir ce Pacte dans nos pays respectifs. Il est de notre devoir collectif et individuel de garantir la pleine adhésion de nos autorités nationales et de tous les acteurs concernés, notamment la société civile et les migrants eux-mêmes » !? Et d’ajouter, alors que le PMM n’est pas contraignant : «Nous devons commencer à réfléchir sur les voies et moyens de mettre en œuvre, de manière efficace, les dispositions du Pacte». 

Bien entendu, c’est un grand honneur pour le Maroc d’abriter cette conférence. Mais ces propos sont-ils l’expression de la « neutralité » du pays hôte ? Partant du caractère non contraignant du Global Compact et du fait que certaines de ses dispositions (criminalisation et détention des migrants, réadmission etc) font l’objet de vives controverses, ne sont nullement dans l’intérêt des pays du Sud et des droits des migrants, les inquiétudes exprimées dans les pages 662 à 665 de ce livre, à partir de la version antérieure du Pacte, sont toujours d’actualité au vu du contenu des objectifs 13 et 21 de sa nouvelle mouture. 

Dès lors, leur discussion publique en particulier, doit rester ouverte. Il est important de soulever ce qui manque dans le Pacte ou de rectifier des démarches. On ne peut souscrire à un pacte du silence. La société civile doit rester un espace de vigilance et de plaidoyer, une force d’interpellation et de proposition, appuyant bien entendu les avancées, mais dénonçant les manques et/ou les remises en cause. 

Dans cet esprit, alors que le Pacte doit être un processus cumulatif, il reste fondamentalement euro-centré avec beaucoup de contrôles, confortant et renforçant les politiques coercitives existantes et voulues par l’Union Européenne, comme ceci transparaît dans les réformes des législations et politiques migratoires introduites récemment, notamment en Italie, aux Pays-Bas, en Autriche, au Danemark,en France … 

Au même moment, l’Agenda Africain sur la Migration, qui se caractérise par de grandes avancées et dont tout l’apport n’a pas encore été capitalisé, se veut, au point 119, un outil entre les mains de l’Afrique pour parler d’une seule voix et constitue, s’agissant du processus d’élaboration et d’adoption du Pacte Mondial sur les migrations, « le point d’appui de la position africaine commune ». 

Que le débat pour l’action s’amplifie ! 
Au total, ce contexte national, continental et international est propice pour que le Maroc, qui est perçu et/ou présenté comme exemple, voir même un «modèle» à suivre, se mette à niveau concernant le domaine migratoire dans ses deux niveaux (au plan juridique, politique, institutionnel, opérationnel) pour qu’on puisse valablement s’en inspirer. 

Ce contexte incite aussi à ce qu’un large débat public soit mené au Maroc sur ce dossier migratoire qui est désormais une question politique par excellence, hautement prioritaire et présente dans tous les agendas à l’échelle internationale, en particulier de part et d’autre de la Méditerranée et en liaison avec le Pacte mondial. La nouvelle mouture du Pacte, avec ses quelques faibles retouches, ne peut faire l’objet d’un non-débat par la société civile en particulier. D’autant plus qu’à Marrakech même, le débat continuera et des négociations finales auront lieu avec un apport de l’Afrique qui sera décisif, espérons-le. 

La publication de ce livre est une contribution au nécessaire débat public au Maroc lié à cette problématique migratoire en relation notamment avec le débat interne sur la problématique du nouveau modèle de développement ; avec la nécessaire opérationnalisation de la Constitution 2011 ; avec l’engagement africain fort du Maroc en la matière et avec la double échéance de Marrakech de décembre 2018 qui doit réussir. 

Rabat, le 10 août 2018 

Abdelkrim Belguendouz 
Universitaire à Rabat, chercheur en migration 

 
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