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Depuis fort longtemps, les ressortissants d’un certain nombre de pays africains subsahariens n’avaient nul besoin d’un visa marocain pour se rendre au Maroc. Il s’agit notamment des pays suivants : Sénégal, Gabon, Mali, Guinée (Conakry), Côte d’Ivoire, Congo (République Populaire), Niger. Appartenance à l’Afrique et relations historiques obligent. 

Depuis la fin du siècle dernier, cette facilité d’entrée au Maroc des ressortissants de ces pays, était considérée par l’UE comme un moyen d’encouragement de l’entrée irrégulière en Europe de migrants subsahariens transitant par le Maroc. Voilà pourquoi, depuis en particulier le Sommet européen de Tampéré (Finlande) des 15 et 16 octobre 1999, à travers l’adoption du Plan d’Action Maroc, l’Union Européenne exerce des pressions pour que le Maroc instaure des visas d’entrée sur son territoire pour les ressortissants de tous les pays de l’Afrique subsaharienne. Mais Rabat avait toujours refusé de le faire, pour des raisons de souveraineté, d’amitié séculaire et de géostratégie. 

Or avec l’évolution du dossier migratoire à l’échelle nationale , continentale et Euro-Méditerranéenne et à l’approche de la signature à Marrakech du Pacte Mondial pour des migrations sûres , ordonnées et régulières , le Maroc commence à prendre un certain nombre de mesures qui contredisent sa « nouvelle politique » humaniste en matière d’immigration et d’asile , sa stratégie africaine et la philosophie de l’Agenda Africain pour la Migration qu’il a impulsé dans le cadre de l’Union Africaine (UA) .

Au lieu de favoriser en Afrique la libre circulation des personnes , en cohérence avec les grandes options de l’UA et l’existence de groupements régionaux comme la CEDEAO à laquelle il a demandé l’adhésion , voilà que le Maroc agit à contre-courant , en adoptant une nouvelle procédure , celle de l’instauration à partir du 1er novembre 2018 d’une autorisation électronique de voyage (AVEM) pour les ressortissants du Mali , de la Guinée (Conakry) et du Congo Brazzaville désirant se rendre au Maroc .Pour ces ressortissants , il s’agit désormais de demander au préalable une autorisation électronique de voyage sur le portail www.acces-maroc.ma, qui n’est accessible que de l’extérieur du Maroc .Cette demande doit se faire au plus tard 96 heures avant le départ . Elle est exigible à l’aéroport de départ au moment de l’enregistrement et à l’arrivée au Maroc au contrôle de police. 

Opacité 
La mesure a été entourée de la plus grande opacité. Rendue publique non pas par une annonce officielle du département ministériel marocain concerné avec les explications nécessaires, mais par un communiqué de la compagnie aérienne Royal Air Maroc en date du 30 octobre 2018 et signé par son représentant régional au Gabon, on ne sait nullement sur quels critères on va se baser pour accorder ou refuser la demande. De même, nulle information n’a été donnée sur le fait de savoir si l’autorisation électronique de voyage est exigée seulement des passagers par voie aérienne ou si elle concerne tous les ressortissants de ces trois pays utilisant les autres types de transport et transitant par d’autres pays vers le Maroc. 

L’information a surpris plus d’un. Eco/Actu écrit à titre d’exemple : « la nouvelle est tombée comme un couperet. Certains internautes issus de ces pays n’ont pas manqué de manifester leur étonnement d’une pareille mesure, surtout les Maliens et aussi les Guinéens, leurs pays étant liés aux nôtres par des accords historiques « Le site mediaguinee.com a, quant à lui, trouvé le message « simplement sidérant » qu’il s’est interrogé : « le document est-il un faux ? ». « A y voir de près, le document pourrait ressembler à un gros Fake ». 

« Fluidifier », un mot ambigu 
Selon les éléments de langage utilisés par des sources du ministère marocains des affaires étrangères (et des ambassades du Maroc à l’étranger) citées par plusieurs médias qui les ont contactés, cette mesure a pour objectif de « fluidifier les arrivées », « fluidifier le trafic passager », « fluidifier la demande », « permettre une fluidité à l’étape de la frontière ». Le mot clé « fluidifier » qui revient est ambigu. En langage diplomatique, on voudrait faire croire que la mesure est destinée, comme pour le trafic routier, à éviter l’embouteillage et l’encombrement, à faciliter et simplifier le passage au niveau de la frontière, d’autant plus qu’il ne s’agirait pas selon cette présentation optimiste, d’une procédure contraignante qui nécessiterait des déplacements, mais une simple connexion sur le web. En d’autres termes, l’accomplissement de cette mesure, se fait gratuitement et à distance. 

En fait, l’objectif réellement visé est de restreindre et de diminuer les passages aux frontières marocaines, de les organiser au goutte à goutte à partir de critères qui ne peuvent être que très sélectifs, à l’instar de ceux utilisés pour l’obtention du visa Schengen. Il s’agit de réduire fortement la liberté de circulation, la mesure présentée officieusement comme « expérimentale », étant destinée en fait à être pérenne, voir même à être élargie à d’autres pays subsahariens. 

On est ainsi en présence d’un visa déguisé ou visa clandestin, destiné à éliminer les personnes à risque migratoire, ce qui protègera d’autant l’Union Européenne de la venue de sudistes ! En fin de compte, cette mesure s’inscrit dans la logique fondamentalement sécuritaire, comme une des facettes de la politique d’externalisation pratiquée par l’Europe dans la gestion de la question migratoire. Au vu en particulier des mesures répressives et violentes d’éloignement massif des migrants subsahariens du nord du Maroc vers d’autres villes du Maroc, voir même de l’expulsion d’un certain nombre d’entre eux vers leurs pays d’origine, avec la connivence des consulats africains concernés, on constate que Rabat cède finalement aux pressions de l’Europe, quitte à ce que cela se fasse en violation des droits humains et au dépend des intérêts géostratégiques du Maroc ! 

Réactions négatives 
C’est ainsi que le site magisoft déclare que « le Maroc veut moins de Maliens, de Guinéens et de Congolais sur son territoire ». Le site africaguinee.com renchérit « voyage et immigration : le Maroc prend une décision « inamicale » contre la Guinée » ; pourtant, « la Guinée et le Maroc se sont toujours illustrés par leurs liens d’amitié et de fraternité qui datent de plus d’un demi-siècle ». Par ailleurs, sous le titre « immigration : le Maroc exige un visa électronique pour trois pays », afrimaghrb.com s’interroge : « le Maroc aurait-il met fin à sa coopération bilatérale avec ces pays dans le cadre des voyages sans visas ? ». De son côté, le site guinéen l’abats ho.com écrit : « En raison des liés séculaires et de coopération bilatérale entre les deux pays, les Guinéens étaient exemptés de visa pour le Maroc. Mais finalement, le Maroc décide de mettre fin à cet avantage qui remonte depuis la première République ». 

Donnant un sens à cette mesure restrictive de la circulation des personnes, AfriMaghreb avance ceci sans une certaine ironie : « En attendant le forum international sur les migrations à Marrakech, le Maroc améliore son image dans la gestion des flux migratoires ». 

Pour revenir aux déplacements collectifs et forcés des migrants du nord du Maroc vers d’autres parties du pays, le ministre marocain des affaires étrangères et de la coopération a rejeté d’un revers de main leur présentation en termes massifs et brutaux. Dans l’interview au journal « Le Monde » du 2 novembre 2018, il déclare en effet : « on généralise sur la base de témoignages individuels. Nous avons éloigné ces gens du nord du pays pour des raisons évidentes : leur objectif était de partir, de prendre la mer, au risque de perdre la vie comme d’autres avant eux. » 

Toutes ces dernières mesures prises par le Maroc, y compris l’imposition de l’AVEM aux ressortissants de trois pays africains amis, ne sont-elles pas plutôt la résultante des pressions exercées par l’Union Européenne ? 

Rabat, le 2 novembre 2018


Abdelkrim Belguendouz 
Universitaire à Rabat, chercheur en migration 











 
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