Menu

News

Au revoir, Jacques Chirac. L'ancien président a terminé son voyage, et la postérité s'occupera de débattre de son héritage politique et de sa place dans l'histoire. Mais le monde du football sait déjà qu'il va regretter un fidèle camarade, qui n'y connaissait rien, mais qui se fondait parfaitement dans son environnement.

1932-2019. Huit chiffres que l'on contemplera jusqu'à l'écœurement durant plusieurs jours. Deux dates affichées en une des journaux, en ouverture des JT, matraquées à la radio, et bientôt gravées sur une tombe, sans doute quelque part en Corrèze. Deux dates qui se perdront au milieu du tourbillon de souvenirs, d'événements, et de moments marquants de la vie du grand Jacques. 1932-2019, une grande parenthèse de près de 86 ans, au milieu de laquelle il faut en caler d'autres, plus petites. 1995-2007, dates de son règne élyséen. Mais aussi 1977-1995, celles de l'époque où il gouvernait Paris en rêvant de la fonction suprême, ou encore ses deux passages à Matignon, ou ses décennies de députation en Corrèze. Et au-delà des chiffres, des élections et des anecdotes, les mêmes images ressurgiront un peu partout. Celles qui, depuis que Chirac a quitté le pouvoir, sont postées sur les réseaux sociaux, ou fièrement arborées sur les T-shirts à la mode. Ces photos qui font de lui le plus « cool » des présidents, expression souvent utilisée par des gens trop jeunes pour l'avoir vraiment connu à l'Élysée, ou qui n'auraient jamais voté pour lui s'ils en avaient eu l'occasion. Chirac qui saute par-dessus le tourniquet du métro parisien par-ci, Chirac avec une couronne de fleurs à son arrivée à Wallis-et-Futuna par-là... Et au milieu du diaporama, Jacques Chirac au stade de France, un soir de juillet 1998. Le 12, exactement.


Le roi imprécis de Saint-DenisPrésident de la République française, surtout très français et un peu moins président pour l'occasion, Jacques Chirac a offert au monde ce soir de finale de Coupe du monde un spectacle devenu légendaire, en articulant n'importe comment le nom des joueurs lors de leur entrée sur le terrain. Filmé en gros plan pendant que le speaker présentait les Bleus, le président enchaînait les approximations en prononçant mal chaque nom ou presque, ou en attendant que l'homme au micro hurle les premières syllabes pour baragouiner la fin maladroitement. Toujours avec le sourire aux lèvres, comme si le gosse qui s'amusait à faire l'école buissonnière et à se baigner dans les rivières qui bordaient son village de Sainte-Féréole en Corrèze s'était subitement réveillé en lui. Une scène immédiatement certifiée classique, autant qu'un « What do you want ? Me to go back to my plane and go back to France ? » balancé à un agent des services de sécurité israélien, ou qu'un « C'est loin, mais c'est beau » répété en boucle en campagne électorale.

Ce soir-là, Jacques Chirac a laissé éclater au grand jour ce qui n'était un secret pour personne : il n'y connaissait rien au football. Et pourtant, au milieu de l'ambiance à la fois populaire, festive et virile du stade, Chirac était dans son élément, compagnon bonhomme et familier des 80 000 personnes qui l'entouraient dans l'arène de Saint-Denis, et des dizaines de millions de Français plantés devant leur télévision. À la fois président et compère, roi et plébéien, au-dessus de la foule, mais tellement indissociable d'elle. Deux jours plus tard, lors de la garden party de l'Élysée du 14 juillet, il se distingue en recevant les nouveaux champions du monde, et en les présentant comme « l'équipe de France, et la Coupe de France » . Personne ne lui en tiendra rigueur.

La confession de ZinédineHomme d'ambiances mâles, ayant connu les casernes de la guerre d'Algérie et concevant la politique comme un rapport de force permanent, Jacques Chirac retrouvait sans doute dans les vestiaires un peu de ces camaraderies franches, folles et décomplexées qui lui plaisaient tant. Le football en lui-même ? Peu importe le ballon, pourvu qu'on ait l'ivresse. À l'Élysée, Chirac avait succédé à François Mitterrand, sphinx à la figure aussi écrasante qu'impossible à imaginer hurler dans un stade, et il avait battu Lionel Jospin et Édouard Balladur lors de la course présidentielle de 1995. Soit un basketteur, et un homme qui ne sait sans doute même pas que le football se joue au pied. Au milieu de ces personnages, comment Chirac aurait-il pu ne pas être adopté par la France du football, pourtant si réticente à accepter les faux connaisseurs de sa religion ? Autour de lui, et surtout chez ses successeurs, les passionnés de football pulluleront. Et Jacques Chirac a beau avoir été maire de Paris pendant 18 ans, c'est bien Philippe Séguin qui a une tribune à son nom au Parc des Princes.

Mais pendant que ce petit monde se coltinait du mauvais football porte d'Auteuil, en 2006, Jacques Chirac écrivait l'histoire. Au fin fond d'un vestiaire berlinois, aux côtés d'un Zidane tout juste exclu de la finale du Mondial pour un coup de sang irréel, le président était l'un des premiers à discuter avec le numéro 10 des Bleus, et les deux hommes ont parlé comme s'ils étaient seuls au monde. Plus mystérieux que les insultes de l'Italien, le contenu de la conversation n'a jamais filtré. Chirac a emporté le secret dans sa tombe, et pas sûr que Zizou soit plus bavard un jour. Qui sait, le président lui avait peut-être chuchoté à l'oreille « Sacré Zouzi. Faire ça en finale de Coupe de France... »





 
Top