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La forme diasporique a été souvent redéfinie ces dernières années. Robert Fossaert (1989) parle d'une "chaîne de colonies sans mère patrie" (p. 164), une mère patrie "racornie" et idéalisée (p. 165). Il distingue les diasporas issues d'enclaves de marchands étrangers sises au carrefour de routes commerciales et les diasporas issues des réserves industrielles européennes et asiatiques créées par le capitalisme et émigrées vers les Amériques. 

Dans la version assimilant diaspora et liens avec un pays d'origine, Gabriel Scheffer (1993) retient trois traits : revendication d'identité ethnique, forte densité des liens communautaires transnationaux; contacts avec un territoire d'origine. Dans une version plus proche de l'archétype juif, William Safran (1990) avance cinq traits : dispersion d'un homeland vers plusieurs régions ; mémoire collective de centre d'origine, relations avec celui-ci, volonté d'y retourner et sens d'une responsabilité d'en assurer la reproduction; relation malaisée avec la société de résidence. Robin Cohen (1997, pp. 140-141) en ajoute deux, dispersion volontaire et relations entre les diverses communautés dispersées. Et Kachig Tölölyan (1996, pp. 16-17) définit les diasporas dites historiques selon six critères : dispersion forcée, unité culturelle, mémoire collective (texte, histoire), maintien de frontières communautaires, liens entre divers pôles d'établissement et lien avec un centre historique d'origine. 

Dans la version de la rupture de la modernité par l'annihilation ou la dispersion des autochtones des Amériques et l'esclavage d'Africains, la diaspora n'est pas un état, un ensemble de traits empiriques, un type de communauté ethnique mais une représentation de la dispersion. La représentation d'être en marge d'ensembles culturels stables, en constante hybridation et en mouvement faute de centre. Les diasporas modernes sont selon cette thèse les histoires de passeurs de frontières ostracisés, de gens sans histoire. Ces trois définitions de la diaspora offrent deux choix. Soit, à l'image des deux premières, on retient une forme particulière d'organisation et les notions de communauté multipolaire et d'absence d'une centralité culturelle, institutionnelle, territoriale caractérisent une diaspora. 

Des liens au-delà des frontières entre plusieurs noyaux d'implantation historique, des institutions et des réseaux commerciaux, matrimoniaux, religieux multinationaux et des formes culturelles métisses sont opposés à l'unicité de l'État-nation. Chantal Benayoun (1998) parle de démultiplicateur de la relation aux autres pour désigner cette forme d'organisation sociale de la dispersion et Amitav Gosh (1989) de groupes aux multiples centres, ne recherchant nullement des racines en un lieu spécifique et un retour à ce lieu mais plutôt réinventant une culture similaire en de multiples lieux.

Une question se pose cependant : comment apparaît cette forme d’organisation ? On explique la dispersion en distinguant les populations fuyant le malheur, maltraitées, expulsées ou menacées de disparition, celles fuyant la misère et la destitution et celles suivant ou créant des routes du commerce. Ce faisant, on assimile exils forcés, stratégies de survie et stratégies d'enrichissement et de mobilité sociale. On trace des routes de la dispersion et on désigne les groupes qui les suivront mais on n'explique nullement pourquoi des populations organisent leur dispersion en communauté multinationale. Cette option quelque peu déterministe dessine des cases où placer des populations mais elle ne précise pas la raison de leur mode spécifique d'organisation sociale. Soit, selon une option plus constructiviste on constate les causes structurelles des trois formes de dispersion de populations et on s'attache aux formes et sens que ces dernières accordent à leur dispersion. 

Toutes les populations dispersées ne se considèrent pas liées en une communauté et ne créent pas d'institutions les regroupant au-delà de multiples frontières étatiques. Elles montrent des rapports distincts à l'idée de communauté car, comme écrivit Clifford (1994, p. 10), il existe une constellation de modes d’adaptation et de réponses au déplacement de populations. Aussi faut-il pour le moins distinguer migrants et diasporiques.

Suivront, 4 autres chapitres

Auteur : Denise Helly
Institut National de Recherche Scientifique
 
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