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À partir des années 1970-1980 le mot diaspora se voit doté du simple sens de population vivant hors d'un centre originel (homeland) [Tölölyan, 1996, pp. 13-15]. Selon des auteurs de ce changement sémantique [Sheffer, 1986, p. 3 ; Esman, 1986 ; Connor, 1986], les minorités d'ascendance immigrée qui développent de forts liens avec un pays d'origine sont les diasporas de l’ère moderne et l'on peut parler de diasporas mexicaine, philippine, serbe, kosovar, croate, haïtienne, polonaise, japonaise, ukrainienne, sikh, turque, basque, finlandaise, coréenne ou islamique. 

Une publication, la revue Diaspora, fait la fortune de cette acception durant les années 1980 au point qu'un de ses directeurs, Khachig Tölölyan (1996, p. 8), pointe le danger de la dissolution totale du terme, un mot qui en est venu à « "parler" tout seul » ironise Stéphane Dufoix quelques années plus tard (2003, p. 123). Assimilé à l'émigration d'un centre d'origine fortement investi, le mot diaspora est vidé de toute signification sociologique propre et réintégré dans les discours sur la nation. De fait, à partir des années 1990 quand la facilité des communications porte les migrants et leurs descendants à multiplier les liens avec leur pays d’origine, nombre de gouvernements font appel à leur ‘patriotisme’ afin de mobiliser leurs votes, ressources financières et expertises. Par exemple, en janvier 2003 une organisation de descendants d'émigrés grecs, sise à Chicago, Alexander the Great Foundation, propose de faire sculpter l'effigie du roi sur le flanc du Mont Kerdyllion (Macédoine) pour réaffirmer son appartenance grecque. 

L'opération au coût de 45 millions de dollars met le gouvernement grec dans l'embarras, les Américains d'origine grecque forment un groupe de pression puissant à Washington. En 1974 ils ont fait pression sur le gouvernement américain à propos de la question chypriote et en 1992 à propos de la Macédoine. Autres cas de figure, lors de la chute de l'Union Soviétique des Arméniens de la diaspora13 se mobilisent en faveur de l’indépendance de l’Arménie et des Ukrainiens, Baltes et Polonais en faveur de la reconstruction de l'État du pays d’origine de leurs ancêtres. En 1991, lors de la guerre dans l'ex-Yougoslavie des Croates émigrés rallient les rangs de l'armée croate, d'autres lèvent 30 millions de dollars et exercent des pressions sur le gouvernement allemand et sur l'Union Européenne pour obtenir la reconnaissance de l’État créé en 1992. 

Douze des 120 sièges au Parlement croate sont alloués aux émigrés et, en 1999, lors d’une visite en Afrique du Sud, le Président Franjo Tudjman demande aux Croates émigrés, aussi nombreux que les Croates vivant en Croatie, de rentrer reconstruire « leur pays ». Quant aux transferts monétaires des immigrés, ils sont d'une telle importance depuis une quinzaine d'années qu'ils hypothèquent des négociations sur le contrôle des flux migratoires et font partie des débats sur le développement des pays du Sud et l'exode des cerveaux vers le Nord. Leur croissance dans le cadre de la mondialisation économique est expliquée par les théories de la migration sur les calculs de risques réalisés par les familles de migrants [Stark, 1991; Stark et al., 1986] et sur les réseaux et filières de migration [Gurak et Caces, 1992]. Estimés à quelque 150 à 200 milliards de dollars par an, ils constituent jusqu'à 5 % des revenus de certains États [Congressional Budget Office, 2005; Pérouse de Montclos, 2005] et en 2002 ils représentaient 22,8 % du produit national brut de la Jordanie, 13,8 % du Liban, 9,7 % du Maroc et 5 % de la RPC et une part élevée des mouvements de capital vers certains pays : 66 % au Maroc, 51 % en Égypte et Tunisie, 30 % au Nigeria [Migration Policy Issues, 2003, p. 2]. En 2002, les Latino-Américains et les Antillais émigrés transférèrent 32 milliards de dollars américains et en 2003, 38 milliards, dont 31 milliards provenant des États-Unis. 

La même année le Mexique recevait 13,2 milliards de transferts d'émigrés, le Brésil 5,2 milliards, la Dominique 2,3 milliards et l'Amérique latine seulement 29 milliards d'investissements par des entreprises ou pays étrangers [Caribbean Business, mars 2004]. Des États 'produisent' littéralement des émigrés qui viennent accroître leurs revenus, comme celui des Philippines qui encourage la formation d'infirmières pour le marché du travail nord-américain. Cependant ces transferts sont autant le fait de membres de groupes ethniques que de membres de diasporas. Dans ces conditions nommer diasporique tout flux migratoire maintenant des liens avec un pays d'origine n’ajoute rien à la sociologie des diasporas et la question des conditions de leur constitution demeure ouverte.

Suivront, 7 autres chapitres

Auteur : Denise Helly
Institut National de Recherche Scientifique




 
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