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Respirer 
Un petit film didactique réalisé par un médecin étasunien a circulé sur la toile. La praticienne y montre comment partager un respirateur conçu pour un patient unique entre deux ou quatre nécessitant une assistance respiratoire à l’aide de tubes en U ou en H. Les appareils de ventilation assistée très sophistiqués délivrent de l’air au patient selon un débit, un volume, une pression et une proportion en oxygène, constantes déterminées en fonction de ses conditions. 

La mise en commun de flux aériens inspirés puis rejetés favorise la contamination en germes (surajoutés au virus Sars qu’ils ont en commun) à partir d’un patient donné et ne respecte pas les besoins spécifiques de chacun. 

Cette méthode est inspirée des médecines de catastrophes quand en un point géographique donné, le nombre d’appareils disponibles ne suffit pas pour porter secours à un flot de patients inhabituel. C’est une solution d’attente, le temps que parviennent des appareils d’autres sites où ils sont inutilisés. Le délai acceptable pour cette mise en commun de dépannage est d’environ 12 heures. 

Pour cette épidémie de Covid-19, la durée d’utilisation d’un appareil pour un patient quand il lui est nécessaire est d’environ 3 semaines. D’ores et déjà, un manque cruel se fait ressentir partout. Ce protocole, peu éprouvé jusque-là, est maintenant adopté en Italie et dans différents hôpitaux aux Usa. 

Trump, parmi la foule de tweets et de propos qu’il édicte ou éructe, a demandé à General Motors de créer une ligne de fabrication de ventilateurs. GM a reçu beaucoup d’aides fédérales pour assurer sa survie en 2009 et 2012. Les appareils qui sortiraient d’usines réquisitionnées n’auraient pas la sophistication des nouvelles générations bourrées d’électronique capables d’adapter leur fonctionnement aux caractéristiques des patients. Les principaux fabricants croulent sous la demande. L’Allemagne a bloqué toute vente d’appareils de ventilation à l’étranger tandis que Hamilton Medical, installé dans le canton suisse des Grisons a augmenté sa production au maximum de ses possibilités, soit 50%, pour répondre aux besoins nationaux. Les services de réanimation en Italie ne sont équipés qu’à hauteur de 25% des besoins. La Chine a augmenté ses capacités de production en matériel de traitement mais aussi de diagnostic et de protection. Le gouvernement n’a pas imposé de restrictions à l’exportation, il a même passé des commandes pour offrir du matériel à titre compassionnel à l’Italie. 

En 1997, des responsables en santé publique avaient conseillé au gouvernement fédéral étasunien de faire construire une flotte de ventilateurs portables peu onéreux. Un ventilateur sophistiqué coute environ 60 000 euros. Ils avaient identifié comme une vulnérabilité cruciale la pénurie dans ce type d’équipement. L’usine qui avait été mandatée pour cette mission a été rachetée par un gros fabricant d’appareils médicaux, interrompant le projet qui n’a été repris qu’en 2014. L’appareil vient d’être validé mais n’est pas encore produit. 

Protéger. 
UV et Visières en attendant mieux. 
Le manque d’équipements de protection du personnel soignant et des travailleurs est flagrant dans beaucoup de pays. Dans certains hôpitaux français et italiens, il est demandé au personnel de laver/ réutiliser masques et sur-blouses alors même qu’il est connu que certaines manœuvres thermiques ou mécaniques visant à les décontaminer les rendent inefficaces. 

De telles recommandations sont plus qu’irresponsables, elles sont criminelles. Car elles mettent en péril les personnes en charge de patients excréteurs de virus soustrayant les capacités humaines déjà réduites et au bord de l’épuisement d’absorption de nouveaux malades. La communication coupable du gouvernement français n’a trompé personne. 

On ne peut pas gérer une pénurie avec des mensonges et faire basculer des stocks insuffisants de masques de centres de soin vers la police et inversement en prétendant que leur port est inutile ou compliqué. La bonne pratique, connue de tous, recommande d’en changer toutes les quatre heures pour les personnes exposées. N95, c’est une norme qui garantit l’ultrafiltration de 95% des particules, pas au-delà. La taille d’une particule virale est de 0,12 microns, celle de la maille d’un masque chirurgical 2 à 10 microns, enfin celle d’un FFP2 est de 0,3 microns. 

Le prix du matériau non tissé produit par fusion-soufflerie de granules de polypropylène présent au cœur des dispositifs de protection a grimpé de 18000 yen à 200000 depuis le début de l épidémie. Car il y a pénurie mondiale. Encore une fois, les machines-outils capables d’un tel processus sont importées depuis le Japon, l’Allemagne et les Usa. L’imprévoyance des dirigeants politiques des contrées chargées de privatiser à tout va et de faire disparaître du champ lexical commun l’intérêt général et le bien public est dès lors criminelle. 

On pourrait imaginer des solutions, certes imparfaites, alternatives d’attente. 
Plutôt que de laver les équipements, on pourrait les exposer le temps nécessaire à un rayonnement ultra-violet. Un pays même moyennement développé est capable d’en fournir rapidement en grandes quantités des lampes UV. Les rayons UV pourraient être utilisés également pour stériliser les surfaces des centres de tri de la poste comme le courrier qui n’en sera pas endommagé, ainsi que dans tout lieu fréquenté par le public. 

Le département Santé de l’université Duke vaporise du peroxyde d’oxygène, un bon agent viricide et bactéricide, sur les masques de manière à en pénétrer toutes les couches. Ce traitement ne semble pas altérer leur qualité de filtration. 

Le port de visière couvrant la totalité du visage est d’une efficacité protectrice supérieure à un masque à usage unique plusieurs fois recyclé. La polymérisation de métacrylates (plexiglass) est maîtrisée depuis longtemps et assez banale. D’une transparence et d’une hauteur suffisantes, les visières étendues permettraient de travailler confortablement tout en retardant le moment du remplacement des masques toujours indispensables. 

Diagnostiquer. 
Rares sont les pays qui disposent de moyens techniques et humains suffisant pour effectuer en masse la recherche de virus dans l’oropharynx. 

Il n’est pas anodin de trouver parmi la très abondante littérature sur le Sars-Cov-2 une publication d’un essai qui préconise de mélanger les échantillons provenant de 32 à 64 patients avant de techniquer le pool en RT-PCR*. En cas de positivité, il sera alors procédé à l’analyse des échantillons individuellement, soit une sorte de dépistage de masse. L’essai insiste en effet sur les économies qu’il convient de faire en période de pandémie et de rareté relative des réactifs. 

La France fait à l’évidence partie des pays où le testing est rationné, réservé aux patients dont le score clinique implique qu’il faudra les hospitaliser ainsi qu’aux favorisés du système, ministres et députés entre autres. 

Pour pallier au déficit manifeste en équipes capables de mettre au point un test robuste, sensible et spécifique, le Ministère des Armées a lancé un programme avec une dotation de 10 millions d’euros en direction de biologistes pour qu’ils proposent des solutions innovantes, d’ordre technologique, organisationnel, managérial ou d’adaptation de processus industriels. Les protocoles doivent être d’une maturité suffisante pour être exploitables dans l’actuelle pandémie du Sars-Cov-2. Les candidatures doivent parvenir avant la mi-avril. C’est sans compter avec la durée de formation de biologistes chercheurs dont les carrières sont contrariées et découragées avec l’insuffisance de dotations dans la recherche publique. 

La Corée du Sud comme l’Allemagne ont testé très largement les personnes suspectes du portage ainsi que leurs contacts afin de les mettre en quarantaine stricte dans des institutions hospitalières dédiées. Ces deux pays ont distribué des masques à la population générale. L’Allemagne a pu le faire sans problème car elle maîtrise l’approvisionnement de la matière première. La Corée du Sud bénéficie de l’expérience du Sars-Cov à l’origine de l’épidémie rapidement maîtrisée de 2003. Le port de masques chirurgicaux est très banal dans les villes polluées d’Asie au point qu’il est considéré comme un signe de politesse et de sollicitude envers les personnes croisées auxquelles on épargne les microbes que l’on porte. 

La stratégie de la Chine a combiné ce qu’elle a pu. La province concernée a été mise en quarantaine. Les services sanitaires ont pratiqué les tests virologiques et des scanners du poumon à toute personne suspecte. L’iconographie venait renforcer la biologie car il a été repéré assez vite que les amplifications géniques pouvaient être mises en défaut. Les personnes diagnostiques positives avec un score de gravité faible ont été isolées et hospitalisées. C’est à ce prix que l’épidémie a été maîtrisée dans le premier foyer épidémique mondial. Après être passée par une phase zéro nouveaux cas, la Chine en déplore de nouveaux et des décès sont encore attribués au Sars-cov-2. 

La recherche publique belge en collaboration avec la firme Coris Bioconcept a mis au point un test qui met en évidence très simplement sur une bandelette la présence d’antigènes viraux à partir de sécrétions nasales et pharyngées. Il est faiblement sensible car positif chez 60% des porteurs. Bien sûr, il existe une véritable compétition pour la mise au point de tests fiables et aisés pour des dépistages de masse. BioMérieux a bénéficié du soutien du Département de la Défense américain pour le développement d’un test rapide à exécuter et qui semble être sur le point d’être mis à disposition du Pentagone. 

Dans la batterie des tests bientôt ou déjà disponibles sur le marché international, les tests sérologiques détectent la présence d’anticorps contre le virus qui commencent à circuler quelques jours après l’invasion de l’organisme. Leur utilité est plus épidémiologique et rétrospective que diagnostique. En général ils sont plus faciles à mettre en oeuvre que les tests de mise en évidence du virus lui-même. S’ils sont positifs en même temps qu’une clinique évocatrice, ils rendent le diagnostic certain. 
La France brille remarquablement par son absence sur le terrain de cette recherche. 
Un élève en comédie. 
La France ne produit pas les ventilateurs, elle ne s’empresse pas de déclencher un programme industriel dans ce sens. 

Elle n’a pas les moyens de protéger soignants et travailleurs exposés dans leur métier à la contamination de dispositifs de protection. 

Elle pratique les tests diagnostics avec parcimonie et ne semble pas figurer parmi les pays en voie de mettre au point une technique fiable et généralisable. 

La seule réponse apportée concrètement à l’épidémie en phase ascendante est le confinement, assorti d’une répression policière, judiciaire et pécuniaire. Le confinement n’est qu’imparfaitement prescrit. Des activités professionnelles non essentielles aux soins et à la vie sont maintenues, comme celle de l’automobile ou de l’aviation. Il ne peut qu’être imparfaitement suivi quand les conditions de logement sont déplorables ou insalubres. L’exemple de la ville d’Euganeo dans le Nord de l’Italie, de 3300 habitants, a montré le succès d’un confinement absolu. Dès le premier décès par le Covid-19, un testing de masse a été appliqué qui a montré la contamination de 3% de la population dont la moitié était asymptomatique. En deux semaines, après mise en quarantaine stricte des positifs, le taux des porteurs a été réduit à 0,25%. Le mot d’ordre c’est tester, tester et mise en quarantaine. 

Faute de convaincre une partie de la population qui ne se résout pas au cantonnement difficile au domicile (quand il existe), il distribue de lourdes amendes. Au Maroc, l’armée dépêche l’armée dans des quartiers populaires, des brigades communiquent à la population des messages didactiques et parfois émouvants pour conseiller le confinement. De temps à autre, des coups de gourdin sont distribués sur le dos de récalcitrants qui prennent la fuite. Les scènes enregistrées par les téléphones portables de policiers frappant à quatre ou six un malheureux promeneur dans des quartiers populaires sont propres à la France et vues nulle part ailleurs. 

La proclamation d’un état d’urgence sanitaire adoptée le 22 mars a permis une remise en cause une fois de plus mais cette fois-ci radicale du Droit du Travail : temps de repos légal limité à 9 heures sur 24, semaine de 60 heures autorisée, dérogations en matière de congés payés. Cette loi qui habilite le gouvernement à légiférer par ordonnances pour deux mois l’autorise à réquisitionner biens et services nécessaires ’afin de mettre fin à la catastrophe sanitaire’. 

Ni les cliniques privées, vides, ni les hôtels sans fréquentation n’ont été réquisitionnés. Les usines qui pourraient être mobilisées pour fournir ventilateurs et matériel de protection n’ont pas été sollicitées. Le ministère de l’Intérieur a en revanche décidé de rehausser le réseau Sentinelle, chargé de prévenir la menace terroriste. (!) 

Le gouvernement accomplit bien la seule tâche souveraine que lui délègue l’union européenne, celle de la surveillance et de la punition. 

L’Allemagne, beaucoup moins contraintes par les règles européennes qu’elle édicte, est une puissance industrielle capable de s’auto-suffire dans la production de matériels pour soigner sa population. A cet égard elle a réalisé son ambition de dominer l’Europe, momentanément retardée par l’issue de la deuxième guerre mondialisée. Disposant du plus grand nombre de lits de réanimation par 100 000 habitants au sein de cette fameuse Union, elle a doublé sa capacité en peu de temps et a formé rapidement du personnel pour utiliser les appareils employés dans ces unités. 

Dans les circonstances tragiques et inédites que vit actuellement l’humanité, la France n’offre pas les caractéristiques d’une société cohésive dirigée avec lucidité et fermeté en vue de la sauvegarde de sa population. Elle a confié son sort à la joliesse de l’art du sophisme enrubanné dans la prestation oratoire d’un Alcibiade juvénile, amant non d’un philosophe mais d’un professeur de comédie. 

Dr Badia Benjelloun 

° RT-PCR reverse transcription-Polymérase Chain Reaction, technique d’amplification génique après transformation de l’ARN viral en ADN. 




 
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