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Dans mon dernier article de blog, « L’idéologie dominante et la manipulation des masses », je m’étais penché sur les deux composantes de nos sociétés, l’infrastructure et la superstructure qui, combinées, représentent un moyen efficace de domination indirecte. Celle-ci, omniprésente et multiforme – presse, radio, télévision, spectacles etc. – « formate » notre comportement sans que nous en ayons conscience. Dépossédés de notre identité, de notre intégrité psychologique, en un mot de nous-mêmes, nous sommes devenus les jouets dociles d’un système politique, économique et social qui nous gruge. Selon Marx et Engels cette soumission s’appelle aliénation.

Vous me demandez à présent quel rapport il peut y avoir entre Alexis de Tocqueville et l’aliénation, concept marxiste. C’est lui, et non moi, qui vous le dira. Voici un extrait du second tome de « De la démocratie en Amérique » écrit en 1835. D’une lucidité étonnante, ce penseur nous mettait déjà en garde contre les dérives de la démocratie telle qu’elle s’élaborait aux Etats-Unis. Cette menace repose sur deux principes : l’individualisme et le matérialisme, pierre angulaire de « l’exceptionalisme américain ». Encouragés par une éthique du travail qui glorifie l’homme riche et le pare de toutes les vertus chrétiennes, enivrés par la promesse d’une ascension sociale vertigineuse et motivés par leur seul égoïsme, les citoyens seront incités au « repli sur la sphère privée et (à) l’abandon des affaires publiques » ; au culte du gain – « unique mobile de l’action des hommes », et à « une servitude consentie » Ecoutons Alexis de Tocqueville :

« Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une multitude d’hommes semblables et égaux, qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul, et s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie.
« Au dessus de ceux-là, s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leurs jouissances et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle, si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur, mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divisent leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? »
Etonnante, cette vision prophétique d’un penseur du XIXème siècle ! N’est-ce pas ce que nous sommes devenus ? Et si nous omettons les adjectifs « prévoyants et doux » n’est-ce pas ce que notre république nous impose ? Car nous ne sommes plus au tout début d’une démocratie qui se cherchait encore, mais au stade final d’un régime qui pour se survivre est résolu à aller au bout de sa logique et de ses conséquences.







 
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