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Avec Mohammed V ou la monarchie populaire, Charles Saint-Prot illustrait l’art de la biographie, le livre, Mohammed VI ou la monarchie visionnaire (éditions du Cerf, 2019), qu’il consacre, avec Zeina el Tibi, à Mohammed VI, roi visionnaire, consiste en une réflexion sur l’art de la politique et sur le lien entre la tradition et le progrès. Le lecteur ne doit pas s’attendre à un récit mais à un point de situation sur la vision de l’homme d’État pour son pays et sur l’action du Roi, à une étape marquante, la vingtième année de son règne.

Le Roi Mohammed VI poursuit l’œuvre des rois qui ont fait le Maroc. La monarchie marocaine est nationale, enracinée dans le pays et dans l’histoire depuis le VIIIe siècle ; le Roi incarne le lien entre le passé et l’avenir, entre la population et l’État. Commandeur des croyants, il garantit l’intégrité d’un Islam du juste milieu. Chef de l’État, il n’est pas la Reine d’Angleterre ou le Roi d’Espagne mais il veut être la tête d’une monarchie gouvernante pour répondre aux attentes du peuple et conformément à l’intérêt de la nation dont sa personne symbolise l’unité. Il est, selon la conclusion du livre, un « Roi capitaine » qui fixe le cap, les grandes orientations et conduit « l’évolution tranquille » du pays vers la modernité.

Dans son action, le Roi Mohammed VI s’est révélé un homme de terrain, dévoué à son pays. La tâche est immense ; elle vise à déjouer le complot séparatiste qui porterait atteinte à l’intégrité territoriale du Maroc, en particulier au Sahara marocain, à préserver la sécurité physique et morale du Royaume, à combattre le terrorisme, à poursuivre un effort remarquable en matière de développement économique, à installer la régionalisation source d’initiatives locales, à accompagner ce développement économique par le progrès social qui est considéré comme une priorité absolue. Ces préoccupations concrètes n’ont pas distrait Mohammed VI de la conduite d’une politique étrangère brillante qui révèle un diplomate habile, animé par une vision régionale et continentale, sensible aux évolutions du monde et aux périls du temps. Ainsi le Maroc apparaît en mesure de renforcer son rôle central pour la stabilité au sud de la Méditerranée et pour la nécessaire progression du dialogue entre les deux rives.

Tout en respectant les grands principes de la tradition de la monarchie marocaine, ce Roi, né en 1963, incarne la transformation du Maroc et l’ouverture au monde. Son métier de Roi, Mohammed VI l’exerce pleinement, suivant la mise en œuvre des chantiers, intervenant personnellement pour stimuler ou sanctionner les administrateurs défaillants, le livre de Charles Saint-Prot évoque aussi la dimension humaine du souverain, le père attentif qui veille à l’éducation de ses enfants, consacrant une attention particulière à la formation du Prince héritier, progressivement associé aux fonctions officielles.

L’ouvrage, très dense, fait le point sur les nombreux chantiers d’infrastructures, de réforme économique sociale et institutionnelle, ouverts par le Roi Mohammed VI dès son intronisation en 1999. Le nouveau règne a marqué non pas une rupture mais un changement de style et il dénote une conception nouvelle de gouvernance. Tout en demeurant attaché à l’essentiel du régime, sa légitimité religieuse et constitutionnelle, sa fibre populaire, son patriotisme historique, le monarque entend le hisser au rang de « monarchie citoyenne ». Il s’est attaché très tôt à renforcer l’État de droit pour solder les comptes du passé, puis le Roi a dessiné une vision personnelle de son rôle et de l’évolution du pays pour construire une nation moderne destinée à compter parmi les pays émergents. Aussi, les auteurs ont pris le parti de décliner en autant de chapitres « la vision » de Mohammed VI dans les différents domaines de son action : institutionnelle, religieuse, nationale, sociale, en matière de développement durable et évidemment la vision internationale et africaine.

Des thèmes essentiels sont à retenir
Sous l’angle institutionnel et politique le Roi Mohammed VI incarne l’alliance de la tradition et du progrès. La réforme constitutionnelle entreprise en 2011 n’est pas fortuite. Elle n’est pas un reflet de l’air du temps ou le résultat d’un illusoire « printemps arabe ». La Constitution s’inscrit dans la continuité de la pensée du sultan Mohammed V qui avait jeté les bases d’une monarchie démocratique. Ce texte consacre la régionalisation lancée à Marrakech en 2010, il vise à constitutionnaliser les droits de l’homme et les libertés publiques et à renforcer le lien social tout en rééquilibrant les pouvoirs par le renforcement de la fonction de premier ministre et du rôle de la chambre des représentants. La monarchie gouvernante répond aux attentes du peuple car elle permet l’exercice efficace de l’autorité mais non pas un exercice solitaire du pouvoir, le Roi étant entouré de nombreuses institutions spécialisées. Il faut souligner que le Roi impose certaines exigences comme la reddition des comptes et la lutte contre la corruption avec notamment la création d’une Commission nationale en 2017. Il donne l’impulsion à une dynamique réformatrice globale marquée par de nombreuses initiatives : nouveau code de la famille, la Moudawana (2004), l’Initiative pour le développement humain (2005), la réforme du champ religieux, l’initiative pour la négociation d’un statut d’autonomie des provinces du sud et le règlement du conflit artificiel sur le Sahara marocain (2007), la régionalisation, l’institution d’un Conseil économique social et environnemental (2011)…

L’ouvrage démontre également que la légitimité et la stabilité du régime sont indissolublement liées à la religion. Le Roi a su répondre aux tentatives d’instrumentalisation du religieux à des fins politiques révolutionnaires ou terroristes et aux attaques ou aux caricatures anti-musulmanes depuis septembre 2001. La tolérance, l’humanisme de l’Islam malikite permettent de juguler la propagande extrémiste, à travers notamment le pacte des Oulémas. Par sa personnalité, le Roi contribue au dialogue des civilisations illustré par la visite du Pape François à Rabat en 2019 et il affirme l’existence de l’Islam du juste milieu face à l’Islam politique.

Le règne de Mohammed VI est aussi marqué par le développement spectaculaire du pays sur le plan économique et social. Le développement a été favorisé par l’essor de l’industrie, l’expansion des écosystèmes sectoriels tel Tanger Med, le lancement d’activités de haute technologie (satellites marocains en 2017-2018), tandis qu’une stratégie et un modèle de développement durable prennent forme avec les énergies renouvelables et la politique de protection de l’environnement. Sur le plan social, la politique inspirée par le Roi Mohammed VI s’est révélée audacieuse. La création d’un Conseil national des droits de l’homme résulte d’une vision large des droits humains qui englobe les Marocains résidant à l’étranger et place l’administration face à ses responsabilités. Parallèlement, l’Initiative nationale de développement humain (INDH) lancée en 2005 vise à désenclaver les zones défavorisées, à lutter contre la précarité et à mettre en place une économie solidaire au profit des personnes les plus démunies, à commencer par les femmes et les jeunes enfants. Toutefois, ce sont sans doute les efforts en faveur de la promotion de la femme, peu communs dans le monde arabe, qui constituent la plus emblématique des réformes, voulue et imposée par le Roi contre les résistances conservatrices y compris au sein des partis politiques.

Enfin, les auteurs insistent sur la vision nationale du souverain qui n’est pas le moindre aspect de la politique du Roi Mohammed VI. Dans l’ordre interne, elle exprime fortement l’alliance du Trône et du peuple en particulier à travers la défense de l’intégrité territoriale du Maroc. Cela avait été exprimé dès Mohammed V par la volonté affirmée du Sultan de récupérer les provinces du Sud (Sahara marocain), illustré par la Marche verte et maintenu par le Roi Mohammed VI avec l’Initiative pour le statut d’autonomie considérée par les Nations Unies, dès 2007, comme un effort « sérieux et crédible » fait par le Maroc pour aller vers un règlement du dossier irritant du Sahara, entretenu artificiellement par l’Algérie. Dans l’ordre international, l’exception marocaine inscrite dans sa position géopolitique unique s’exprime autour de trois axes diplomatiques. Le premier est constitué par les relations de voisinage et de solidarité avec le Maghreb, le monde arabe, le Sahel et l’Afrique noire. La politique africaine conduite par le Roi Mohammed VI est inscrite dans l’Histoire ; le retour dans l’Union africaine en janvier 2017 est de nature à favoriser la réforme de l’organisation et à dynamiser la coopération inter-africaine. Le second axe consiste dans les partenariats ; avec la France, il est traditionnel et relève d’une amitié ancienne et privilégiée, avec l’Union européenne il prend la forme d’un statut avancé de coopération depuis 2007. Enfin, Charles Saint-Prot évoque la « diplomatie tous azimuts » du Maroc qui ne se limite pas à la Méditerranée ; certaines relations sont très anciennes comme les liens établis avec les États-Unis d’Amérique dès 1777, d’autres sont récentes et diverses avec la Russie, l’Inde, la Chine ou l’Amérique latine.

Assorti d’une bibliographie abondante et d’annexes utiles (plusieurs discours importants du Roi Mohammed VI ; glossaire très complet des termes arabes ; rappel chronologique de l’Histoire du Maroc depuis le VIIe siècle ; généalogie du Roi ; carte du Maroc), riche en informations, inspiré par une connaissance approfondie du Maroc et de l’Islam, courageux dans les positions des auteurs qui vont à contre-courant de la pensée dominante, cet excellent livre qui établit un point d’étape sur le règne du Roi Mohammed VI. Reprenant la formule du Roi Mohammed V, les auteurs de concluent que le Maroc est inéluctablement un « trait d’union » non seulement entre les continents et les civilisations contrairement à la théorie du choc des civilisations, mais encore entre « les valeurs spirituelles et les forces matérielles, entre le respect des traditions ancestrales et le besoin de rénovation et de création ».



Charles Saint-Prot, avec la collaboration de Zeina el Tibi, Mohammed VI ou la monarchie visionnaire, éditions du Cerf, 2019.




 
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