Le principe de réalité.
Badia Benjelloun
L’OTAN gratte à la porte de l’Ours.
Le sommet de l’Organisation de la Coopération de Shanghai a contrasté en tous points avec celui du G7 pendant qu’en toile de fonds se déroulait aux portes de la Fédération de Russie un exercice militaire de l’OTAN d’une grande ampleur. 18 000 soldats de 19 nations participent depuis le 6 juin à des manœuvres conjointes censées éprouver l’interopérabilité des forces militaires de l’organisation atlantique L’opération déployée en Pologne et sur les trois pays baltes, simule dans des conditions on ne peut plus proches de la réalité, une invasion de la Russie. Même Israël est convié à la mise en scène (1) des festivités. La Pologne est devenue le centre de gravité de l’armée des Usa pour ses activités de dissuasion depuis 2017 avec la stationnement de 6000 soldats sous le commandement d’un général qui supervise les forces armées terrestres étasuniennes en Europe. (2) Ce glissement oriental vers une Pologne passée de facto sous contrôle militaire américain permet un rapprochement géographique avec la cible russe tout en marquant un certain retrait de la base initiale de prédilection allemande.
Le gouvernement russe, occupé à des choses sérieuses, n’a pas communiqué sur cette provocation puérile de fantassins en goguette venus faire une reconnaissance de terrain.
Défense anti-aérienne et missiles supersoniques sont les bons gardiens du continent russe.
Réconciliations.
La Russie a réussi à développer des liens pacifiés avec son voisin et ancien frère ennemi chinois depuis 1996 quand fut créé à l’instigation de Poutine le groupe des 5 fondateurs de l’OCS, Kazakhstan Kirghizistan et Tadjikistan. Les vieilles querelles frontalières furent enterrées au profit d’une alliance sécuritaire. Ce n’est que progressivement que cette organisation allait s’enrichir de préoccupations économiques. Elle a pris sa forme actuelle en 2001 dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et le séparatisme (tchéchène et du Xinjiang) quand elle s’est adjointe l’Ouzbékistan.
L’une de ses réalisations majeures a été l’intégration de l’Inde et du Pakistan en 2015, ce qui éloigne les risques de confrontation armée entre les deux entités, l’une et l’autre nées d’une partition orchestrée par l’administration britannique sur le départ. L’Eurasie tente de se construire un ensemble pacifié quand l’Occident sème la guerre et la discorde là où il intervient.
C’est ce travail de longue haleine qu’est venu couronner l’octroi par Xi Jin Ping de la médaille de l’Amitié, la plus haute distinction jamais décernée à un étranger par Pékin. La solennité de l’instant et l’émotion n’étaient pas feintes, fruit de 22 années de rapprochement semées sans doute d’antagonismes qui ont été minorés et résorbés pour que se construise un large foyer de stabilité régionale qui fasse contrepoids à l’hégémonie et au bellicisme occidentaux.
La Chine, vaisseau amiral de la ‘croissance’.
Dès qu’elle eut atteint le degré de développement qui l’affranchisse de son rôle d’usine du monde qui a violenté sa paysannerie transformée en classe ouvrière sous-payée de l’Occident, la Chine s’est orientée vers l’investissement de son excédent dans des pays tiers. Ports, routes, aéroports, voies ferroviaires, usines de montage, pipe-lines, exploration pétrolière et minière, télécommunications, en Asie et en Afrique principalement, nombre de pays bénéficient de cette frénésie. Elle a décidé aussi de développer son marché intérieur et d’orienter sa production pour élever le niveau de consommation de sa population. C’est autant de moins de mis dans un secteur financier mondial hypertrophié et susceptible aux explosions des bulles méthodiquement reconstituées depuis 2008. Les premières incartades du chef de l’exécutif chinois proférées sans ambages à l’égard des Usa date de cette période où était reproché régulièrement au yuan d’être sous-évalué (4) alors que le monde tentait de sortir de la crise financière américaine qui a mis en péril toute la planète. Dès 2009, le directeur de la Banque Centrale de Chine populaire avait rédigé un mémoire demandant une réforme du système monétaire international au sein du FMI et de la Banque Mondiale. Il devrait être adossé à un panier de monnaies afin de répondre aux transformations structurelles liées aux économies émergentes et d’assurer une plus grande stabilité, les fluctuations du dollar et ses secousses sont intégralement transmises à toutes les économies. (5)
Les conditions d’accès au marché des actifs financiers libellés en Yuan exigés par le FMI risquant de les exposer à des attaques spéculatives, la Chine a fini par imposer le Yuan en devenant la première puissance par ses flux commerciaux et d’investissement. C’est en 2015 que le FMI (6) a intégré le yuan dans les Droits à tirer spéciaux, DTS, panier de devises qui sert d’actif de réserve international à l’institution.
Il y a un an, Xi Jin Ping annonce un chantier de1000 milliards d’euros pour relier l’Europe à l’Asie par voie terrestre, ferrée et maritime rend compte de l’amplitude de sa capacité, les fonds provenant pour plus de 90% de la Banque d’investissement de Chine.
Les Occidentaux, sceptiques ou suspicieux n’étaient pas présents. (7)
L’Accord de Partenariat transpacifique signé en 2016 entre douze Etats d’Amérique et d’Asie autour des Usa qui devait être un traité de libre échange pour faire pièce à l’OCS et aux BRICS a été rendu caduque par le retrait étasunien signé par Trump dès janvier 2017.
En face, les désaccords.
La discorde entre les chefs d’Etat du G7 largement exposée avec la mise en scène intempestive d’un habitué de la télé-réalité n’est-elle que la manifestation du comportement d’un enfant gâté mal poli qui gâche par ses bouderies une fête de famille ? Ou bien l’expression d’un sale petit secret mal gardé qui pousse ses symptômes jusque dans les salons et les jardins de la résidence de Charlevoix. Il faut en revenir aux principes de réalité, négligée tant fascine ce rôle surjoué de sale gosse.
Trump avait pavoisé avec une candeur de provincial tout à sa joie d’avoir vu la dette publique décroître de 12 milliards (0,1% du total) dans le premier mois de sa présidence (7), étalant son ignorance, les comptes du budget national connaissent de telles fluctuations ponctuelles dues à retards de paiements et des rentées d’impôts trimestrielles.
Très vite, il lui a fallu ravaler sa prétention à avoir maîtrisé la Bête, les déficits vont se creuser et la dette continuer de s’hypertrophier. Au menu, augmentation des dépenses, militaires et un programme (8) dédié aux infrastructures, 1500 milliards en 10 ans, avec une part assez exotique pour l’imprécision de sa destination, 100 milliards annuels pour doter des initiatives innovantes pour des sources de revenus potentiels. Quand l’ultralibéralisme s’essouffle, la relance keynésienne pointe du nez ! Il était temps de se préoccuper des canalisations d’eau qui fuient et des ponts qui menacent de s’effondrer.
La course aux missiles supersoniques est lancée. Le Pentagone a d’ores et déjà signé un contrat avec Lockheed Martins de 928 millions de dollars, hors budget prévisionnel, pour concevoir un missile air-sol hypersonique, (9) et doter les capacités américaines pour concurrencer Russie et Chine très avancées dans ce domaine.
L’autre contribution majeure de l’administration Trump à la progression inexorable de la Dette, mille milliards de dollars en 6 mois, en date de février 2018, a été la réforme fiscale adoptée fin décembre 2017 qui à elle seule gonflera le déficit budgétaire de 1000 milliards en trois ans. Les calculettes s’affolent devant tant de milliers de milliards !
Dans son rapport annuel publié en avril 2018, le FMI met en garde les USA selon sa terminologie d’usage contre leur politique très expansionniste alors que leur déficit est plus élevé que ne le « justifient les paramètres économiques fondamentaux ». (10) Le commentaire sur la politique fiscale qui exacerbe la polarisation des revenus, enrichit les riches en supprimant ou réduisant les impôts sur les bénéfices des sociétés, est assez rare et délicieux pour être cité « elle influera sur le climat politique ».
Le FMI s’attend à ce que les conditions du financement de la dette publique étasunienne ne se durcissent et ne freinent une croissance soumise à des risques ‘largement supérieures à des normes historiques’. L’enfant gâté veut assurer une croissance et une production à l’abri d’un protectionnisme tout en dépendant d’une Dette exportée et soutenue par un marché financier mondialisé d’une grande susceptibilité.
Tout porte à prévoir un ralentissement de la croissance actuelle des pays développés en particulier des Usa, en d’autres termes une récession en 2019 -2020.
Quelle orientation ?
La seule politique étrangère des Usa jamais pratiquée a été une affaire d’espionnage et de fabrication d’opposants aux Etats mis en couveuse en attendant le déclenchement d’un changement de régime. La seule interface avec le Reste du monde qu’ils aient pu concevoir, c’est une prédation économique assortie d’une dissémination de conflits armés de plus ou moins basse intensité. L’OCS, menée par la Chine première puissance économique et la Russie aux compétences militaires inégalées, se propose au contraire d’instaurer une intégration économique régionale à développement concentrique dans une atmosphère où les antagonismes se résorbent par leur dépassement sans recours aux armes.
Quelle philosophie l’emportera ?
Celle de la force brute du primate inférieur ou celle de l’humain qui n’a pu s’élever que parce qu’il a intégré dans ses caractères innés empathie, coopération et solidarité ?
Badia Benjelloun
11 juin 2018
https://www.epochtimes.fr/la-pologne-centre-de-gravite-en-europe-pour-larmee-americaine-53918.html
https://www.pgpf.org/blog/2018/04/president-trumps-infrastructure-plan-a-closer-look
http://www.imf.org/fr/Publications/WEO/Issues/2018/03/20/world-economic-outlook-april-2018 voir résumé analytique page 2