Les traits de personnalité typiques de la psychopathie sont considérés comme négatifs. De par le principe de l’évolution, cette personnalité est désavantageuse pour un individu et son incidence devrait donc diminuer avec le temps. Pourtant, force est de constater que les traits psychopathiques persistent au fil des générations. Jonathan Goodman, chercheur en biologie évolutive à l’Université de Cambridge, explique pourquoi cette condition peut finalement être considérée comme un avantage évolutif.
Être psychopathe : faire semblant d’être digne de confiance
Gagner
la confiance de ses semblables a toujours été fondamental dans
l’histoire sociale humaine. Seule la confiance permet une bonne
coopération entre les individus. C’est ce qui a permis de développer des
outils, des villes, puis toutes sortes de technologies, y compris dans
des environnements extrêmes. Cela a abouti au monde que nous connaissons
aujourd’hui. C’est d’ailleurs cette collaboration qui a permis à
l’Homme de dominer le globe plus que toute autre espèce, souligne
Goodman.
Mais plus les groupes sociaux se sont agrandis, moins il
était possible de connaître parfaitement chaque individu. Peu à peu, il
a fallu accorder sa confiance à des étrangers. Ces derniers pouvaient
malheureusement tricher et faire semblant d’être dignes de confiance
pour profiter des avantages de la collaboration. « On pense donc que
les groupes culturels ont développé des outils puissants, comme la
punition. Ils servaient à dissuader la tricherie dans les partenariats
coopératifs », explique le chercheur.
Les psychologues évolutionnistes pensent par ailleurs que les gens ont développé ce que l’on appelle « une capacité de détection des tricheurs ».
Les tricheurs étaient ainsi désavantagés. Aujourd’hui encore, au
quotidien, nous choisissons d’accorder (ou non) notre confiance sur la
base de certains signaux, remarque Goodman. Cela se produit par exemple
lorsque nous choisissons un restaurant ou bien lors de n’importe quel
achat. Nous choisissons alors implicitement de faire confiance à ce
qu’annonce le fabricant ou à ce que déclare le vendeur.
Les personnes psychopathes sont parfaitement capables de faire semblant.
Un avantage évolutif plus qu’un trouble mental
Il
s’avère néanmoins que plus la société est complexe, plus il est facile
pour les gens de feindre une propension à la coopération, note le
chercheur. Encore faut-il être capable de feindre sans jamais révéler
son intention véritable. C’est en cela que les psychopathes se
démarquent des autres. Ils sont en effet dénués d’empathie et de
remords, ils parviennent aisément à gagner la confiance des autres tant
qu’elle leur est utile, puis la trahisse dès qu’ils n’en ont plus
besoin.
La psychopathie concerne 1 à 3 % de la population
générale et 20 à 30 % de la population carcérale. Le psychologue
judiciaire Nathan Brooks a mené une recherche en 2016. Elle a révélé que
les traits psychopathiques étaient particulièrement fréquents parmi les personnes occupant des postes importants
au sein des entreprises, avec une prévalence comprise entre 3 et 21 % !
Bien que non criminelle, cette psychopathie peut semer le chaos dans
une entreprise. Elle impacte énormément les autres employés,
expliquaient les auteurs de cette étude. Ce genre de personne peut
également se livrer à des pratiques commerciales contraires à l’éthique
et illégales.
Des études ont montré par ailleurs que les psychopathes ont plus de relations que les autres. Cela suggère qu’ils disposent de nombreuses opportunités de reproduction – un critère que l’on sait déterminant pour l’évolution. Par conséquent, comment expliquer que les psychopathes ne soient finalement pas plus nombreux au sein de la population ?
Être psychopathe : un moyen de prospérer malgré un contexte familial difficile
«
Si tout le monde était psychopathe, nous serions constamment trahis.
Nous perdrions alors probablement complètement notre capacité à faire
confiance aux autres », explique Goodman. En outre, la psychopathie s’explique moins par la génétique que par la « plasticité phénotypique humaine ». Il s’agit de la capacité innée des gènes à s’exprimer différemment selon les circonstances.
Ainsi, un enfant qui ne reçoit pas de soins ni d’amour est plus susceptible de « s’éteindre émotionnellement ».
C’est une sorte de mécanisme évolutif conçu pour limiter le
traumatisme. Cet enfant deviendra probablement un adulte dénué
d’émotions et donc, potentiellement un psychopathe. En résumé, s’il
existe une prédisposition génétique, un contexte familial difficile
favorisera le développement des traits typiques de la psychopathie.
Du
point de vue évolutif, on peut donc voir la psychopathie comme un
ensemble de caractéristiques qui permet de prospérer lorsque l’on est
face à une situation tragique. « Plutôt que de se concentrer sur le
fait d’être bon ou digne de confiance uniquement parce que cela peut
aider à avancer, promouvoir ces qualités pour leur propre bien peut
aider les personnes ayant des tendances antisociales à bien traiter les
autres sans arrière-pensées », conclut le chercheur.
Cependant, nous sommes dans un monde où les menteurs pathologiques ont tendance à être célébrés et à réussir.
Il sera donc sans doute nécessaire de redéfinir le succès en termes
d’éthique. Tout ne doit pas être une question de statut social et de
richesse.