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Ils sont sur tous les plateaux télé en temps de crise. Sur toutes les radios et toutes les chaînes (françaises) d’information en continu, mais pas seulement. Les Claude Moniquet, Mohamed Sifaoui, Roland Jacquard, Jean-Charles Brisard et compagnie cumulent: ils sont à la fois incontournables et… horripilants
.

Le phénomène n’est pas neuf, mais il a pris une résonance toute particulière ces derniers mois lors des attentats de Charlie-Hebdo, de Paris et de Bruxelles: tout se passe en effet comme si les télévisions se mettaient en devoir, en ces cas d’urgence médiatique, d’inviter au pied levé une série d’«experts» choisis sur une liste plutôt courte, des hommes (l’apparition de femmes dans ces cénacles relève du miracle) censés apporter au grand public leur décodage du haut de leur éminent savoir qu’ils consentent à partager. Mais des problèmes se posent, le moindre n’étant pas que leur expertise, souvent autoproclamée, ne coule pas de source…

Le site français Acrimed.org, observatoire acéré des médias, a répertorié une série d’assertions proférées par ces experts sur les plateaux de radio ou de télévision à la suite des attentats de Paris puis de Bruxelles. Citons quelques perles. Comme Roland Jacquard, «président de l’Observatoire international du terrorisme», qui disait sur RTL que «c’était préparé à l’avance». Ou l’ex-colonel Pierre Servent qui, sur Europe1, affirmait que «Daesh, comme Al-Qaïda, auparavant, sait très bien jouer des opportunités».

« 8.500 autoradicalisés »…
Sur le site de Télérama, le blogueur maison Samuel Gontier s’en donnait à cœur joie au lendemain du funeste 22 mars bruxellois. Citant Roland Jacquard sur France 5, qui lâche que «les chiffres de la montée du radicalisme sont impressionnants: 8.500 personnes autoradicalisées», le chroniqueur commente, ironique: «Rien que le mot autoradicalisés est impressionnant». On se demande d’ailleurs d’où il sort cette donnée. Car, le propre d’un bon «expert», c’est d’asséner des affirmations avec un tel aplomb que nul n’oserait demander ses sources.

Entre autres incongruités, Gontier n’a pas non plus raté un certain Guillaume Bigot, auteur de l’immortel essai intitulé Les Sept Scénarios de l’apocalypse, invité sur I-Télé, pour exposer ses vastes connaissances sur la Belgique: «Dans ce pays, il y a deux ethnies, qui se regardent en chiens de faïence, les Français et les Flamands. Et les migrants musulmans sont regroupés complètement en eux-mêmes»…

« Le premier qui décroche a gagné »
Mais, au fond, comment les médias audiovisuels sélectionnent-ils leurs experts? Le magazine Télérama a consacré un gros dossier à la problématique. Un confrère de RTL y fait un aveu: «Dans l’urgence, la capacité des intervenants à meubler importe plus que leur expertise. Quand il se passe quelque chose, on appelle, on appelle, on appelle. Et c’est le premier qui décroche qui a gagné». Avec ce détail que tout le monde se dispute les mêmes experts, donc c’est souvent le dernier de la liste qui décroche.

La qualité de l’expertise se retrouve donc clairement mise en cause. Sur le sujet – très pointu – du terrorisme, le constat se révèle donc le plus souvent accablant. Le 25 mars, notre confrère David Thomson, de Radio France International, considéré comme l’un des rares vrais spécialistes francophones du djihad, expliquait sur le site des Inrockuptibles pourquoi ces vrais faux experts pullulent sur les plateaux. «Quand une arrestation ou un attentat se produit, le passage en mode breaking news et live nécessite par définition des intervenants qui sont invités pour analyser, apporter des éléments de contexte et de compréhension mais qui, la plupart du temps, meublent en réalité le vide avec du vide. Les rédactions généralistes n’ont pas toujours les armes pour déceler le mouton noir, parfois elles savent qu’elles ouvrent leurs micros à des personnalités douteuses mais elles estiment ne pas avoir d’alternative. L’offre de spécialistes est limitée parce qu’il existe peu de personnes qui travaillent sérieusement, sur le long terme, de façon empirique, sur ce sujet très particulier.»

Les vrais experts existent donc, mais ils se comptent sur les doigts de la main. Citons avec Thompson, Jacques Raillane, Wassim Nasr ou Romain Caillet. Ce dernier, qui s’est converti à la religion musulmane, est décrié par certains qui le disent proche des djihadistes. Personne, en tout cas, ne conteste sa compétence s’agissant du sujet. Ces rares experts n’ont pas le don d’ubiquité et, du reste, refusent souvent de s’exprimer à chaud, quand, en l’absence d’infos, il s’agit surtout de meubler les interminables sessions télévisuelles en direct.

Comment reconnaître un vrai expert ?
Mais qui sont donc ceux qui en revanche acceptent de participer aux plateaux TV à titre d’«experts»? Entre les «ex» de tel ou tel service secret, les «consultants en sécurité», les «directeurs» d’instituts inconnus mais à l’intitulé ronflant et les journalistes baroudeurs qui ont tout vécu et vont tout dire, comment séparer le bon grain de l’ivraie? David Perrotin, du site Buzzfeed, s’est amusé à décrire les qualités requises pour reconnaître un «vrai» expert antiterroriste. A partir des tweets envoyés par une série de «spécialistes», il énumère celui «qui veut que vous ne ratiez aucune de ses apparitions télé», celui «qui a des informations exclusives… qui sont parfois des intox», celui «qui l’avait bien dit avant les autres», celui «qui se félicite d’avoir été le premier à le dire», celui «qui balance des chiffres dont lui seul connaît les sources», etc.

Parmi les «usual guests» des télés françaises, il arrive qu’un cri de vérité retentisse. C’est ainsi qu’Acrimed relève dans le papier susmentionné la sortie étonnante de Mathieu Guidère (d’ailleurs pas le plus incompétent du lot). Sur Arte, il avait commencé son intervention le 22 mars par ces mots: «J’aimerais vraiment dire qu’il faut arrêter la médiatisation. D’ailleurs vous ne devriez pas nous inviter, moi je vous le dis sincèrement parce que c’est la logique, le terrorisme est médiatique, il n’existe que par cela. Or on est vraiment en train de le servir».

Dépasser son niveau de compétence…
Guidère est un cas: ce professeur de l’Université de Toulouse, islamologue compétent -il vient de sortir chez Gallimard le Retour du califat- se laisse pourtant présenter sur les plateaux télé comme spécialiste du terrorisme, ou de l’islam radical, ou encore spécialiste des mouvements radicaux… Parce qu’il faut bien relier ses titres à l’actualité qui justifie sa présence en direct. Car les radios et télévisions, dans l’urgence, ne se soucient guère du principe évident que chacun possède un niveau de compétence et que le dépasser nuit à la qualité des commentaires.

Le criminologue belge Dan Kaminski (de l’UCL) en atteste après un direct par téléphone sur France Info, le 22 mars, dans une lettre adressée au responsable de l’émission et postée sur son compte Facebook: «Votre collègue m’a posé la question à laquelle je vous avais pourtant précisé de pas vouloir répondre (les faits et leur explication). Tentant ensuite d’exprimer ce que je considérais comme relevant de mon expertise, j’ai été coupé sous prétexte que je choquais vos auditeurs». Edifiant.

Le constat est saumâtre. De vrais faux experts qui enfoncent des portes ouvertes mais recourent aussi au discours anxiogène tout en se montrant volontiers va-t-en-guerre… Mais que fait la police?

Baudouin Loos
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