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Nous sommes le 13 décembre 2023, il est 9 h 21. La France ignore encore que le réacteur numéro 2 de la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine vient d'entrer en fusion. Malgré la sidération des premiers instants et la confusion due au manque d'informations disponibles, les cellules de crise d'EDF, de la préfecture de l'Aube, de l'Autorité de sûreté nucléaire et du premier ministre sont activées. 

Le président de la République, en voyage officiel au Japon, est informé en temps réel.

Afin de réduire la pression dans l'enceinte de confinement, les ingénieurs de la centrale sont contraints de rejeter de la vapeur fortement radioactive dans l'atmosphère. Dans quelques minutes, le quotidien des riverains de la centrale va être bouleversé, les sirènes hurleront et les habitants dans un rayon de trois kilomètres seront priés de se calfeutrer et d'attendre les consignes des autorités. Cela laisse supposer une population docile, qui fait confiance aux autorités et qui comprend les ordres.

"Mais dans l'exorde de la crise, l'angoisse pèse lourdement sur les consciences. Mal informés des dangers, impréparés, agissant sous l'impulsion de leurs peurs et la volonté de protéger les leurs, certains décident de braver l'interdiction et de fuir."

En gestion de crise, la communication a pour mission d'alerter les citoyens et pour objectif de les protéger. Mais dans l'exorde de la crise, l'angoisse pèse lourdement sur les consciences. Mal informés des dangers, impréparés, agissant sous l'impulsion de leurs peurs et la volonté de protéger les leurs, certains décident de braver l'interdiction et de fuir. Ils s'exposent ainsi aux radiations. Comment expliquer cette désobéissance ? Un manque de confiance dans les autorités, des actes dictés par l'effroi ? La communication de crise ne se satisfait pas de l'instant. Elle requiert un terrain favorable, se construit sur le long terme, avec un souci pédagogique, des réflexes aiguisés et une véritable culture du risque. Depuis l'accident de Fukushima en mars 2011, le ministère de l'industrie tente, avec zèle, de discréditer ceux qui s'opposent au nucléaire. Dans cette fiction, peut-on reprocher aux riverains de la centrale nucléaire sinistrée de désobéir aux consignes ? Avec un curseur focalisé sur la justification du choix nucléaire, l'information sur les risques est étouffée. Pourtant, l'ontologie des crises nous montre qu'une population avisée réagit mieux en situation critique.

Quelques heures plus tard, la panique gagne Paris, situé à une centaine de kilomètres de la centrale, en aval sur la Seine. Le maire invective le gouvernement. Sur les réseaux sociaux, chacun énonce des faits qui se contredisent. Les voix sont discordantes et les politiques cherchent à se justifier.

Dans cette cacophonie, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) classe au niveau 6 l'accident sur une échelle de 7. Ce classement est qualifié d'irresponsable par le premier ministre dont l'objectif est de protéger l'image du pays et de réduire l'impact de la crise sur l'économie.

"L'IRSN classe au niveau 6 l'accident sur une échelle de 7. Ce classement est qualifié d'irresponsable par le premier ministre dont l'objectif est de protéger l'image du pays et de réduire l'impact de la crise sur l'économie."

Deux logiques s'opposent : celle de la population en proie à l'émotion et celle du pouvoir qui tient un discours de raison. En résultent un décalage, une incompréhension et des distorsions dans la communication de crise : la population exige des réponses là où les autorités ne voient qu'une situation aux contours mouvants, des données tronquées et contradictoires.

Dans l'arène médiatique défilent les histoires d'individus plongés dans la crise. Face à l'universalité du drame individuel, le discours officiel, rationnel et rassurant, se construit sur des schémas normalisés autour de promesses, entre empathie, transparence, maîtrise et responsabilité.

Mais les slogans, mises en scène et autres choix rhétoriques démontrent leur vacuité face à la catastrophe. Il en va de la communication de crise comme des contes de fées. La pensée magique prédomine : le media training serait le remède infaillible aux catastrophes. La stratégie se résume alors à la prestation médiatique, la pensée se fissure en « éléments de langage », l'horizon ne dépasse pas le plateau TV.

Cette suffisance explique les failles et les incompréhensions. Car, dans l'équation de la communication, la population n'est pas un simple récepteur : elle est coauteur des récits illusoires, des rumeurs et des mythes qui complexifient les crises. Ce sera le sujet du dernier article de cette trilogie : « Pourquoi l'opinion se trompe-t-elle sur les crises ? »


Episode précédent :

* Article paru dans La Croix, le 8 août 2011 dans la série "Un été dans La Croix. À l'épreuve des crises (2/3)"



 
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