Comprenant aussi une série de propositions concrètes alternatives, notre présente contribution au débat public pour l’action, est une dénonciation de la manière opaque et sectaire dont a été formé et mis en place tout dernièrement à Rabat, le Comité National Marocain du Réseau Académique Nord-Africain sur la Migration. Après avoir fait un plaidoyer pour un agenda national de la recherche en migration et son financement de manière interne pour répondre à nos besoins nationaux, l’étude a montré que ce projet est la préfiguration de l’Observatoire National des Migration que certains veulent maîtriser avec un esprit d’exclusion. Notre dernière partie ci-après, est un appel à une culture des bonnes pratiques et au savoir raison-garder.
Au total, le Maroc appartient à tous ses citoyens sans exclusive, y compris les chercheurs marocains en migration. Le refus d’impliquer institutionnellement certains d’entre eux dans la réflexion pour l’action en matière migratoire, n’a pas sa place, ne saurait être justifié d’aucune manière et ne peut être accepté. On ne peut que dénoncer cette pratique irrecevable.
Rompant avec l’approche d’ouverture et d’inclusion de l’ancien ministre chargé des MRE et des affaires de la Migration, M. Abdelkrim Benatiq, la démarche suivie au ministère délégué par la Direction de la coopération, des études et de la coordination intersectorielle, équivaut à la pratique de l’exclusion et de la mise à l’écart de certains chercheurs, dont le seul tort est de s’être investi totalement dans le domaine de la recherche en migration depuis bien des années, de le faire avec un esprit critique constructif qui n’est nullement admis par certains gestionnaires, et de pratiquer l’engagement citoyen responsable.
Le débat démocratique responsable et pluraliste doit être admis, accepté par tous les preneurs de décisions et les gestionnaires du dossier migratoire. De même, la liberté de pensée et d’expression doit être respectée, sans procéder à des mises à l’écart arbitraires et à des exclusions de chercheurs sur lesquels l’anathème est jeté. On ne doit pas pratiquer à l’égard de ces derniers un «droit de veto » relatif à la participation aux institutions publiques relatives au champs migratoire, lorsque les critères objectifs de cette implication sont réunies, comme ceci s’est réalisé lors de la création toute récente du Comité National Marocain du Réseau Académique Nord-Africain sur la Migration (NAMAN).
Même si les noms des chercheurs ont été fournis par un collègue universitaire expert
en migration, missionné par l’ICMPD sur la base de contacts établis (avec certains seulement) et devenu entre-temps président du conseil scientifique de ce Comité National Marocain, la responsabilité finale des noms retenus à ce comité national (et de ceux exclus ou «oubliés», incombe au ministère délégué, chargé des MRE, qui est le chef de file du projet. Contrairement à ce qui a pu être avancé par certains pour se dédouaner, ce n’est pas l’UE (comment pourrait-elle le faire), mais c’est le directeur de la coopération, des études et de la coordination intersectorielle, qui a désigné et mandaté un universitaire pour établir une liste de chercheurs à impliquer dans le projet qui a comme chef de file le ministère délégué chargé des MRE
On peut penser qu’ils se sont mis pleinement d’accord sur les critères, les priorités et d’autres considérations pour la «sélection » des chercheurs. Le directeur de la coopération au ministère délégué l’a-t-il fait de lui-même dans le cadre de sa marge de manœuvre, de ses propres critères, ou bien sinon avec les directives de la hiérarchie (à quel niveau depuis le dernier remaniement ministériel avec les attributions et prérogatives très limitées de la ministre déléguée chargée des MRE ?), du moins avec l’aval de cette même hiérarchie !?
Ce département délégué a normalement la liste de tous les chercheurs en migration pour avoir organisé, durant le dernier mandat ministériel, de nombreuses rencontres de réflexion et d’échanges avec les chercheurs et pris en charge également leur participation à la semaine mondiale de Marrakech sur les migrations, sous les auspices de l’ONU du 4 au 10 décembre 2018.
Dès lors, on ne peut que protester vivement contre les agissements intolérables précités, qui constituent une très mauvaise pratique, mus par des considérations et motivations qui laissent à désirer, en prenant l’opinion publique à témoin et en attirant l’attention de la hiérarchie des responsables au niveau du ministère délégué chargé des MRE et du département dont celui-ci dépend, à savoir le ministère des affaires étrangères, de la coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger.
Savoir raison garder
Espérons donc que les preneurs de décision concernés sachent raison garder, rompent radicalement avec des comportements nuisibles en vigueur et qu’ils tirent les enseignements dans la perspective d’instaurer une culture de bonnes pratiques en matière de gestion du dossier migratoire, à l’heure où, dans le cadre de l’Union Africaine, le Maroc assure au plus haut niveau de l’Etat, le rôle de Leader dans le domaine migratoire et appelle les États africains à pratiquer une politique d’ouverture et d’inclusion.
Relevons à ce propos le paragraphe 57 de l ‘Agenda Africain sur la Migration, qui constitue un apport majeur du Royaume du Maroc à l’UA : « les stratégies nationales africaines sur la Migration doivent répondre à une approche pangouvernementale et pan-sociétale, qui associe l’ensemble du gouvernement et de la société, en impliquant non seulement la participation de tous les ministères concernés, les collectivités locales, mais également de la société civile et du secteur privé, des diaspora, des institutions nationales des droits de l’Homme, des milieux universitaires et des autres acteurs agissant dans le domaine de la migration ».
Faisons-en sorte qu’avec la préparation et le lancement (en cachette) de ce Comité National NAMAN, qui implique notamment des départements ministériels et des institutions nationales, cette démarche d’exclusions soit vite corrigée afin d’impliquer dans l’intérêt national et celui des migrant(es) au Maroc et de la «Jaliya », toutes les compétences académiques du domaine existant au Maroc et parmi la communauté des citoyens marocains établis à l’étranger. Par ailleurs et ceci nous paraît une condition incontournable à cette participation, le financement extérieur de la recherche, est à orienter exclusivement en réponse aux besoins nationaux du Maroc, en dehors de tout agenda sécuritaire, même si au départ, avec la première thématique «light » retenue celle de la diaspora et plus particulièrement des «compétences marocaines à l’étranger », ceci n’apparaît pas.
C’est à l’honneur de certains chercheurs universitaires en migration de s’être retirés du projet ou bien d’avoir refusé d’y participer dès le départ, en liaison soit avec l’ambiguïté sécuritaire du projet à l’échelle régionale, soit au même moment pour d’aucuns, en raison de l’ostracisme pratiqué à l’égard d’autres chercheurs. Encore une fois et encore, l’éloignement absolu de l’agenda sécuritaire et l’implication de TOUTES les chercheuses et TOUS les chercheurs de longue date en migration, toutes disciplines confondues (avec bien entendu l’ouverture sur les jeunes chercheurs et chercheuses), constituent pour nous des exigences fondamentales. Elle sont incontournables et ne se négocient pas.
Ce partenariat scientifique avec les institutions chargées du dossier migratoire au Maroc, réclamé par les uns et les autres depuis bien longtemps, est à assurer dès le départ sur des bases inclusives, claires, transparentes, exclusivement académiques et scientifiques et ouvertes sur l’avenir.
Rabat, le 4 juillet 2020
Abdelkrim Belguendouz
Universitaire à Rabat, chercheur en migration