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La crise n'est pas là où nous la voyons
Il était une fois un paysan qui avait acheté une terre à crédit à l’orée de son village. Tout le monde était heureux car il était devenu possible de s'approvisionner dans une belle diversité de produits locaux et sains dans la grange que la femme du paysan avait transformé en épicerie. 

Les retombées indirectes de cette nouvelle activité profitaient aussi à l'économie locale. Mais le paysan n'avait pas prêté attention au fait que le taux d'intérêt lié au prêt était révisable. La conjoncture internationale conduisit à une augmentation des taux de sorte qu'il ne put plus faire face aux échéances. La ferme fut saisie, le paysan dut se résoudre au chômage et le village entier entra en crise.

Crise? 
La ferme existe-t-elle toujours? 
La terre est-elle toujours capable de produire? 
Le paysan a-t-il perdu son savoir-faire ? 
Les villageois n'ont-ils plus besoin de s'alimenter? 
Voyons; comment peut-il y a avoir crise si d'un côté il y a un besoin et de l'autre toutes les possibilités d'y répondre? 
Ah oui, il n'y a pas assez d'argent. Et alors?
  • Réalise-t-on que nous vivons à une époque où le potentiel de production dépasse de loin les besoins essentiels de l'ensemble de l'humanité; où les connaissances et technologies abondent dans tous les domaines, où les talents de dizaines de millions de personnes sont inutilisés?
  • Réalise-t-on que depuis que les monnaies ont abandonné leur convertibilité en or (1971), ce ne sont plus que des signes créés par jeu d'écritures comptables dont les règles dépendent de la seule volonté humaine?
  • Réalise-t-on que si une collectivité a un besoin (collectivement souhaitable),la volonté de le satisfaire, les moyens techniques et énergétiques, un excès de main d’œuvre et le savoir-faire, alors le manque d'argent souvent invoqué comme impossibilité ne relève que d'un conditionnement mental à penser à l'envers? Pourquoi à l'envers? 
Parce que la monnaie, par nature, n'est que la représentation symbolique de la vraie richesse (ce que nous offre gratuitement la terre valorisé par l'activité humaine). Dès lors si la richesse réelle existe, la monnaie doit suivre et non l'inverse.

Voilà pourquoi nous sommes au cœur d'une crise qui, pour réelle qu'elle soit par les souffrances qu'elle impose, n'a aucune autre consistance que celle de notre pensée. Il n'est pas anodin de constater que nous sommes confrontés à deux crises majeures; une financière (symbole de la richesse), une écologique (richesse réelle). Il n'est pas anodin non plus de constater que les solutions actuellement préconisées sont contradictoires; la croissance pour la première, la sobriété pour la seconde. Tant que l'on ne verra pas que les deux crises sont liées, tant que l'on restera dans cette contradiction, les choses iront de mal en pis. La crise n'est pas extérieure, elle est intérieure. C'est une crise de conscience qui nous presse à entrer en cohérence. Deux point essentiels pour cela :

La monnaie est un outil collectif, pas privé
  • La monnaie est un outil commun et non privé. Or au fil de l'histoire, le monde des banquiers est parvenu à s'approprier le pouvoir de création monétaire. Vous ne le savez peut être pas, car les choses sont rendues volontairement opaques et trompeuses, mais ce sont les banques, donc des personnes privées qui émettent la monnaie par le crédit. Je dis émettent car, contrairement à ce que l'on nous dit, les banques ne prêtent pas aux uns l'épargne des autres, du moins rarement; elles créent la monnaie à partir de rien (ex nihilo comme on dit) sur la seule foi que l'emprunteur aura la capacité à rembourser son prêt avec les intérêts. Les conséquences de cela sont considérables :
  • C'est la raison principale de l'endettement public. Car les États sont ramenés au même niveau que le citoyen ordinaire. Il doit emprunter sur les marchés la monnaie qu'il lui revient d'émettre lui même légitimement et gratuitement. La dette publique qui ronge les finances des nations n'est pas la conséquence de dépenses somptuaires, mais celle de l'intérêt qui s’accumule et absorbe une part grandissante des impôts.
  • C'est la cause principale de la crise sociale et écologique, car la finalité économique est réduite à la seule rentabilité financière à court terme. L'argent ne va que là où il y a promesse de profit financier, même si c'est nuisible socialement et écologiquement, et il manque dramatiquement là où il serait utile.
  • C'est la cause principale de l'impératif de croissance, car l'intérêt n'est jamais créé avec le montant du principal de sorte que ce qui doit être remboursé est toujours supérieur à ce qui a été émis. Pour contourner cette impossibilité arithmétique, la parade est de pousser toujours le crédit (donc la consommation) pour que d'une année sur l'autre il y ait assez de monnaie pour honorer les échéances.
  • C'est la cause principale de la dérive de nos démocraties, car ceux qui dirigent vraiment sont ceux qui gouvernent l'argent. La démocratie n'est maintenue que par son symbole, celui du suffrage, qui vise à donner au bon peuple l'illusion qu'il choisit ses dirigeants; dirigeants pré sélectionnés par le système et de toute façon soumis aux décisions de ceux qui tiennent les cordons de la bourse.
La vie n'est pas une marchandise
Le problème fondamental, jamais abordé, tient au fait que la richesse prise en compte par l'économie est celle qui découle de l'activité rémunérée. Or cette activité est non seulement loin de représenter la globalité de la richesse de l'activité humaine (bénévolat, éducation des enfants, jardinage, etc.) mais en plus a tendance à se réduire tant en nombre sous l'effet des gains de productivité liés à l'amélioration des technologies, qu'en revenu sous l'effet de la mise en concurrence des forces du travail au niveau mondial. Ainsi, pour générer la richesse financière qui serait nécessaire pour répondre aux défis de notre temps, il faudrait augmenter la production dans de telles proportions que cela reviendrait à aggraver les problèmes pour pouvoir les régler... belle logique de l'absurde !

Il serait temps de comprendre que la bataille pour la survie est gagnée. Il était naturel que les générations qui nous ont précédés aient mis toutes leur forces dans la production, car elles n'avaient ni les connaissances ni les technologies pour répondre aux besoins essentiels. Mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Nous pouvons produire bien au delà de nos besoins, et pas seulement essentiels. La crise écologique est une pressante invitation à mettre de la sagesse dans nos modes de productions et de consommation. Mais nous sommes prisonniers du « devoir gagner sa vie ». 

Comment offrir un revenu à tous en produisant moins? 
Il suffit pour cela de faire entrer dans le champ de l'économie les richesses qui en sont exclues, à savoir les richesses non marchandes, donc celles qui n'ont pas de marché pour les acheter, mais qui sont cruciales au devenir de l’humanité. Par exemple : la mise en œuvre localement de tout ce qui peut contribuer à réduire la consommation d'énergie et la pollution, mise en œuvre d'alternatives pour le transport des personnes et des marchandises, recherches et mise en place de tout ce qui peut améliorer la résilience de nos organisations, actions pour revivifier nos villages et campagnes désertifiés, entretien des forêts et création de haies vives, nettoyages de cours d'eau, soutiens à l'éducation et à l'enseignement, accompagnements de malades et aide hospitalière, etc. Bref du qualitatif, encore du qualitatif, Toujours du qualitatif! 

Mais comment financer tout cela? Soit par création monétaire, à condition que nos États en reprennent le pouvoir, et nous devons, nous, citoyens, faire pression pour cela; soit par mise en circulation de monnaies complémentaires dédiées à cet effet, au niveau national et/ou au niveau local.

Je vous laisse sans doute sur votre faim, car la place manque pour entrer dans les détails, mais sachez qu'un vaste mouvement de monnaies complémentaires se développe dans le monde (plus de 5000 expériences, à date) … Dans tous les cas soyons bien persuadés d'une chose : tout est là pour créer rapidement un monde de suffisance et d'équité pour tous, respectueux de la planète, il «suffit» de libérer notre pensée de sa prison culturelle et idéologique.

Philippe Derudder 
Chef d'entreprise "interpellé" par les contradiction du système... Il démissionne en 1992 et partage depuis le fruit de ses recherches et expériences dans ses livres, conférences et ateliers. Conseil en économies et monnaie alternatives, il anime l'AISES -- Association Internationale pour le Soutien aux Economies Sociétales <http://www.aises-fr.org/>_

Auteur de :
La renaissance du plein emploi ou la forêt derrière l’arbre, Éd. Guy Trédaniel, 1997. Les aventuriers de l’Abondance – Roman – Nouvelle édition 2009 Yves Michel Les monnaies locales complémentaire, pourquoi, comment? Ed. Yves Michel 2012 Co auteur avec André-Jacques Holbecq de : Les 10 plus gros mensonges sur l’économie aux éditions Dangles, 3eme édition actualisée avril 2012 La dette publique une affaire rentable aux éditions Yves Michel, actualisé et ré édité en 2009 Une monnaie complémentaire nationale Pour relever les défis humains et écologiques aux éditions Yves Michel 2011.



 
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