La guerre d'Ukraine a été lancée par la Russie après huit ans d'agression ukraino-occidentale (2014-2022) contre les russophones de l'Est ukrainien. Leurs 14.000 morts, en majorité des civils, avaient intéressé nos grands médias aussi peu que ceux d'Irak, de Serbie, d'Afghanistan et de Syrie, attaqués, depuis 1991, par les États-Unis en quête mondiale de contrôle pétrolier et gazier et autres matières premières, sous couvert de l'OTAN soumis à commandement unique américain depuis sa fondation (1950). La coalition occidentale, qui a d'emblée ridiculisé l'objectif officiel russe de « dénazification » annoncé en février 2022 - conforme aux « principes politiques » inscrits dans le Protocole de la Conférence de Potsdam (1er août 1945), affirme agir contre la Russie au nom de la « démocratie » (nouveau nom du « Monde libre » de l'époque soviétique).
La guerre se prolongeant, l'« Occident » fait évoluer le concept de « démocratie » et « couvre » la vénération de l'État ukrainien « allié » pour ses criminels de guerre et d'avant-guerre. Ainsi érige-t-il le nazi ukrainien Stepan Bandera (1909-1959) en héraut de l'« indépendance ukrainienne » : léger défaut qu'il lui pardonne autant qu'à la « démocratie » ukrainienne post-Maïdan la promotion des groupements nazis et les coups de gourdin que le multi-millionaire Zelenski, digne successeur du milliardaire Porochenko, administre au peuple ukrainien : destruction du code du travail, des horaires aux salaires, et interdiction des partis et journaux d'opposition, requis par les « investisseurs » états-uniens.
La « démocratie » ukraino-américaine depuis 2004 : « héros national » et majors pétrolières américaines
Bandera n'est devenu un « héros national » que depuis la « Révolution orange » américaine de 2004, et surtout depuis le coup d'État de Maïdan organisé en février 2014 par Washington contre un intolérable gouvernement ukrainien, légal mais prorusse. Sa cheffe d'orchestre la vice-secrétaire d'État aux affaires politiques, Victoria Nuland, madone néo-conservatrice du National Endowment for Democracy (CIA) et russophobe (et sinophobe) compulsive, assure son poste ukrainien depuis 1993, sous gestion démocrate ou républicaine (hors présidence Trump). Elle a avoué le 13 décembre 2013 devant le National Press Club, dans une conférence financée par le groupe pétrolier Chevron, puis le 15 janvier 2014 devant le comité de politique extérieure du Sénat, que le gouvernement américain avait, depuis la chute de l'URSS, « dépensé cinq milliards de dollars » pour faire triompher la « démocratie » en Ukraine ‑‑ et que Chevron avait signé le 5 novembre précédent un accord pour dix milliards de dollars d'investissement en vue de forages qui mettraient fin à la « dépendance du pays envers la Russie ». Mme Nuland, cantinière des putschistes de Maïdan, a depuis lors fabriqué les gouvernements ukrainiens et présidé, avec le reste de l'appareil d'État, au réarmement jusqu'aux dents de l'Ukraine, que Washington a intégrée de fait aux opérations de l'OTAN depuis juillet 2021.
L'intimité
des États-Unis avec le nazisme ukrainien en général a précédé la chute
de l'URSS. Leur intérêt pour la caverne d'Ali Baba ukrainienne, comme
celui de tous les impérialismes, n'a jamais cessé depuis l'« ouverture »
de la Russie tsariste, qui leur avait cédé son économie moderne et
concentrée, de la banque aux matières premières. Comme le Reich occupa
longtemps le devant de la scène ukrainienne, surtout depuis la Première
Guerre mondiale, les banques américaines accompagnèrent celles du Reich
dans l'entre-deux-guerres. Mais au rôle second que dictait alors le
primat allemand.
L'ère allemande du nazisme ukrainien
Car le Reich, première puissance à reconnaître la Russie en 1922, tint
le haut du pavé dans la Russie soviétique traitée en paria par la
« communauté internationale » impérialiste. Même dans l'Ukraine
qu'il avait arrachée, en 1918 (jusqu'à sa défaite de novembre), à la
Russie assaillie de toutes parts par quatorze puissances impérialistes
de 1918 à 1920, et que les bolcheviques reconquirent depuis
1920. En reconnaissant l'État soviétique, Berlin y récupéra sa capacité
de nuisance, « couvert » par le Vatican : auxiliaire du Reich depuis la
fin du
19e siècle et plus encore depuis 1914, la Curie mandata
le clergé catholique germanique à l'espionnage militaire préparatoire au
nouvel assaut projeté.
Les nazis bandéristes dans l'avant-guerre
C'est dans ce contexte que grandit Bandera, produit-type de l'uniatisme
de Galicie orientale (Ukraine occidentale), arme de guerre de l'Église
romaine contre l'orthodoxie depuis 1595-1596. Fils d'un prêtre uniate,
il fut élevé comme ses pareils dans la haine fanatique des Polonais, des
Russes, des juifs et des opposants, sous l'autorité d'Andreï Szepticky
évêque uniate de Lemberg (Lwow en polonais, Lvov en russe, Lviv en
ukrainien) nommé en 1900. Russophobe, polonophobe et antisémite de choc,
Szepticky devait comme tous ses prédécesseurs convertir les orthodoxes
de l'Est, mission liée à la conquête germanique. Ce fut d'abord au
service de Vienne, maîtresse de la Galicie orientale, puis, Pie X
préférant depuis 1907 les puissants Hohenzollern aux Habsbourg
moribonds, l'évêque accompagna jusqu'à sa mort (novembre 1944) le Drang
nach Osten (« poussée vers l'Est ») du Reich, impérial, « républicain »
et hitlérien.
Le Reich, qui finançait avant 1914 « l'autonomisme ukrainien »
contre la Russie, transforma l'Ukraine en fief militaire pendant la
Première Guerre mondiale. Il accrut ensuite l'effort dans la Galicie
orientale, dévolue en 1921 par la France antisoviétique à la Pologne
réactionnaire Depuis 1929, Berlin entretenait l'« Organisation des
Ukrainiens nationalistes » (OUN) que Stefan Bandera (20 ans), « chef de
l'organisation terroriste ukrainienne en Pologne », avait fondée avec
ses fidèles lieutenants Mykola Lebed et Iaroslav Stetsko. Ils
participèrent, à la campagne antisoviétique sur « la famine génocidaire
en Ukraine » décrite dès 1987 par le photographe et militant
syndicaliste canadien Douglas Tottle, pionnier de l'étude du nazisme
ukrainien. Lancée par le Reich et le Vatican, à l'été 1933, c'est-à-dire après
que l'excellente récolte de juillet eut mis fin à la disette ou à la
famine, répercutée avec zèle par tous leurs alliés, dont la Pologne,
avec pour centre Lwow, elle prépara idéologiquement la conquête de
l'Ukraine. Berlin et le Vatican s'étaient engagés par un des deux
articles secrets du Concordat du Reich de juillet 1933 à la mener
ensemble.
Les bandéristes rendirent en Pologne aussi de grands services, non
seulement contre les juifs mais aussi contre l'État. Bandera et Lebed
assassinèrent le 15 juin 1934, année faste des attentats allemands
contre les chefs d'État et ministres, le ministre de l'Intérieur
polonais, Bronisław Pieracki, pourtant en extase, comme ses chefs,
Pilsudski et Beck, devant « l'ami allemand ». Les nazis de l'OUN
jouaient en Galicie orientale, a écrit Grzegorz Rossolinski-Liebe en
2014 dans sa thèse de référence sur Bandera, le même rôle que les
oustachis croates d'Ante Pavelitch, les nazis slovaques du Parti Hlinka,
les Gardes de fer roumains et autres nazis d'Europe orientale : gavés
de marks, ils avaient tous « adopté le fascisme, l'antisémitisme, le
suprématisme racial, le culte de la guerre et toute une gamme de valeurs
d'extrême droite »9. Pour ne pas froisser ses « amis »
allemands, Varsovie commua la peine de mort de Bandera et Lebed édictée
(seulement) en 1936 en prison à vie. L'occupant allemand les en libéra
dès l'invasion de septembre 1939.
Les nazis bandéristes dans la Deuxième Guerre mondiale
Depuis lors, l'OUN uniate, puissante en Ukraine slovaque et polonaise
(absente d'Ukraine soviétique), fut le laquais du Reich. Elle fut
subdivisée en 1939-1940 en OUN-M et OUN-B, respectivement dirigés par
Andrei Melnik et par le trio Bandera-Lebed-Stetsko, divisés seulement
par leur désaccord, de façade, sur « l'indépendance ukrainienne » :
Melnik n'en parlait plus, Bandera chérissait par le verbe «
l'indépendance » dont le Reich ne voulait à aucun prix.
Les deux OUN aidèrent le Sipo-SD (la Gestapo) et l'Abwehr à préparer
l'occupation de la Pologne, puis de l'URSS. Ses membres peuplèrent les
« académies [allemandes] de police » de Pologne occupée et accrurent
leurs ravages après Barbarossa : aux côtés de la Wehrmacht, ils
liquidèrent immédiatement 12 000 juifs en Galicie orientale, et ne
cessèrent plus. Supplétifs du Sipo-SD, ils torturèrent et exterminèrent
sans répit avec la bénédiction des clercs uniates, dont Szepticky,
bénisseur des bandéristes de la 14e Légion des Waffen SS
Galicia (1943-1944) et d'ailleurs. Dans les Einsatzkommandos, les
prisons, les camps de concentration et ailleurs, les deux OUN
massacraient les « ennemis de la nation ukrainienne » : Ukrainiens « non
loyaux », juifs de toute nationalité, Russes et Polonais non juifs,
dont les 100 000 de Volhynie, exploit de Bandera qui perturbe les
actuels rapports (faussement) idylliques Varsovie-Kiev. En Pologne et en
URSS, jusqu'à la libération soviétique complète de l'Ukraine (Lvov,
juillet 1944), ces champions du « nettoyage ethnique » jouèrent dans «
la destruction des juifs » le rôle des « États satellites [du Reich] par
excellence » (Croatie et Slovaquie)1. Le conflit officiel,
très secondaire, entre Berlin et les bandéristes, sur « l'indépendance »
ukrainienne, valut en 1942 à Bandera et Stetsko l'emprisonnement en «
camp d'honneur » à Sachsenhausen (à 30 km de Berlin). Lebed, en fuite,
dirigea en leur nom l'« armée insurrectionnelle ukrainienne » (UPA) :
formée en 1942 de ces polices auxiliaires de la Wehrmacht et de la SS,
l'UPA liquidait les ennemis communs.
Bandera et Stetsko auraient été libérés de leur « bunker d'honneur » hôtelier jusqu'en septembre 1944, contèrent-ils a posteriori
à la CIA. En juillet 1944, une grande partie des massacreurs avait
quitté l'Ukraine dans les fourgons allemands. Berlin fonda pour ses
nazis ukrainiens le « Conseil suprême ukrainien de libération » (UHVR),
puis, en novembre 1944 un « Comité national ukrainien » ‑‑ à majorité
bandériste. Haute preuve de
« résistance nationale et antinazie » ! La prise soviétique de
Berlin les précipita à Munich, centre historique du nazisme intérieur et
de l'expansion du Deutschtum depuis l'entre-deux-guerres,
devenu au printemps 1945 une des capitales de la zone d'occupation
américaine. Sur les « 250 000 Ukrainiens » établis en 1947 « en
Allemagne, en Autriche et en Italie », prétendues « personnes déplacées
», « un grand nombre étaient des membres avérés ou des sympathisants de
l'OUN ».
Le reste des criminels de l'OUN-UPA étaient restés en Galicie orientale
désormais soviétique où, clandestins, ils massacrèrent encore, sous la
houlette de leurs clercs uniates : « en Ukraine occidentale », des «
dizaines de milliers » d'entre eux tuèrent « 35 000 cadres de l'armée et
du parti soviétiques entre 1945 et 1951 », dirigés par leurs amis étrangers, non plus seulement allemands, mais aussi américains.
De la légende post-Stalingrad du combat pour l'indépendance nationale aux articles duMondede janvier 2023
La défaite du Reich se profilant après Stalingrad, l'OUN-UPA commença à
s'inventer une histoire « résistante » : clé de la propagande russophobe
actuelle, cette légende fut diffusée dans tout l'« Occident » quand la
clique Bandera devint officiellement « alliée » contre l'URSS. Ainsi se
développa le mythe d'une « résistance des nationalistes ukrainiens »
aussi antinazie qu'antibolchevique, qu'entretient désormais la grande
presse « occidentale ». Le Monde a consacré les 7 et 8 janvier à Bandera, deux articles à ce héros naïf de l'indépendance ukrainienne. Le premier,
« Stepan Bandera, l'antihéros ukrainien glorifié après l'agression
russe » poussait l'indulgence à tel point qu'il y en eut, peut-être
devant des réactions nombreuses, un second. Le titre fut plus engageant
‑‑ « Guerre en Ukraine : le mythe Bandera et la réalité d'un
collaborateur des nazis » ‑‑, pas le contenu : Bandera « luttait par
tous les moyens pour libérer l'Ukraine des jougs successifs de la
Pologne et de l'Union soviétique ». Il ne collabora avec « l'Allemagne
nazie » que pour ce noble objectif qui lui fit voir en Hitler « un allié
possible pour lancer la révolution nationale ukrainienne contre
l'oppresseur soviétique qui avait orchestré, entre autres atrocités, la
grande famine de 1932-1933, l'Holodomor, décimant de 3 à 5 millions
d'Ukrainiens. » Il avait donc bien des excuses.
Les deux articles, truffés de gros mensonges et de mensonges par omission,
font de Bandera « un symbole de résistance et d'unité nationale », un
héros complexe et « contesté ». Ce qualificatif a indigné Arno
Klarsfeld, qu'alarme désormais la glorification « occidentale » des
nazis ukrainiens : « Le Monde devient un journal partial et
mensonger : Bandera n'est pas une figure "controversée", il a activement
participé à la Shoah. Comment Le Monde qualifierait Goring ?
"controversé" lui aussi ? honte pour un journal sérieux !!! c'est
réellement honteux. » Le 15 mars 2014, le journal admettait encore que
le coup d'État de Maïdan avait mis les nazis à la tête de l'Ukraine.
Certes, avec sa russophobie héritée de l'organe du Comité des Forges, Le Temps,
son prédécesseur : « L'extrême droite ukrainienne, cible inespérée pour
Moscou. La visibilité sur Maïdan des groupuscules néonazis,
ultra-minoritaires, nourrit la propagande russe contre le nouveau
pouvoir à Kiev ». Alors, fondée ou pas? La science historique avait
avancé dès 1987, avec Tottle sur la « famine génocidaire », sur les
massacres et sur les escroqueries de l'OUN-OPA sur ses activités de 1929
à 194514. Rossolinski-Liebe ‑‑ dont l'après-« révolution
orange » en Ukraine a menacé la sécurité personnelle et interdit les
conférences ‑‑, a complété le tableau sur le criminel absolu Bandera.
L'article du Monde du 8 janvier mentionne sa thèse, sans mot dire, et pour cause, de son contenu.
La tutelle américaine sur le dossier ukrainien depuis 1944-1945
Les héros ukraino-nazis de « l'indépendance nationale » ont compté
beaucoup dans les longs préparatifs de la présente ère américaine de
l'Ukraine. Dans leur objectif de conquête mondiale, les États-Unis
incluaient la Russie en général, et l'Ukraine en particulier, mais
durent ici se contenter à l'ère allemande de « l'Europe » d'un rôle
mineur. Le capital financier américain s'était, depuis
1919, associé aux capitaux allemands en Europe orientale. Sa grande
presse, dont Hearst, porte-parole des milieux germano-américains,
participa à la campagne sur « la famine génocidaire en Ukraine » à
partir de 1935 - cinquante ans avant le tapage reaganien sur «
l'Holodomor » (son nouveau nom). La fin de la Deuxième
Guerre mondiale sonna l'heure, sinon de la relève du Reich, de la
collaboration avec les héritiers du Reich en vue, notamment, de la
conquête de l'Ukraine.
La stratégie américaine de conquête de l'Europe entière se dévoila entre
le compromis territorial de Yalta en février 1945, haï d'emblée, et la
décision définitive, en 1947-1948, de liquider, non seulement la zone
d'influence soviétique, mais l'État soviétique avec. La tâche fut
confiée à Frank Wisner et George Kennan. Wisner, avocat d'affaires de
Wall Street, avait été envoyé en 1944 en Roumanie par l'avocat
d'affaires Allen Dulles, chef de l'OSS-Europe depuis novembre 1942, à
Berne : il fallait éviter un avenir soviétique à ce pays champion des
massacres antisémites en négociant avec ses élites qui y avaient trempé. Kennan, diplomate, avait passé sa carrière, depuis 1931 à Riga (Lettonie) puis dans divers postes, à combattre l'URSS.
Le Département d'État confia donc à ce tandem, dans le cadre de la CIA
(successeur officiel de l'OSS) fondée en juillet 1947, l'application de
la directive 10/2 du National Security Council du 18 juin 1948 qui prescrivait la liquidation générale du socialisme européen
Vedette de la Guerre froide, Kennan, raisonnable depuis sa retraite,
mit, en vain, Washington en garde contre l'expansion de l'OTAN à l'Est,
contre la Russie, après 1991.
L'Ukraine occupait dans cette ligne un rôle central, et Washington
s'appuya sur l'expérience de l'Allemagne (occidentale) redevenue alliée à
peine vaincue (comme après la Grande Guerre). L'historien Christopher
Simpson a décrit dès 1988 l'incroyable sauvetage-recyclage par l'OSS et
ses successeurs (« Strategic Services Unit » puis CIA) des criminels de
guerre européens, Allemands et Ukrainiens en-tête. Harry Rositzke, chef
depuis 1945, à Munich, des « opérations secrètes à l'intérieur de l'URSS
» des nazis ukrainiens - et agent loyal qui ne cita aucun nom ‑‑, fit
cet aveu en 1985 : « Nous savions parfaitement ce que nous faisions. La
base du boulot était de se servir de n'importe quelle ordure du moment
qu'elle était anticommuniste ». Les historiens américains
Breitman et Goda, spécialistes de la « Shoah » collaborateurs réguliers
du Département d'État, ont complété le dossier en 2010.
Washington eut grand besoin du Vatican qui, sauveteur de masse des
criminels de guerre via le clergé européen, maintint sa collaboration
avec les héritiers du Reich mais l'adapta à son alignement sur les
États-Unis maîtres de l'« Europe occidentale » et grands bailleurs de
fonds (à usage intérieur, italien, et international). La Curie continua à
gérer son vivier uniate de Lvov, via les prélats et les prêtres
clandestins. Avait succédé à Szepticky décédé en novembre 1944 le chef
bandériste Ivan Bucko, ancien « évêque auxiliaire de Lvov » (depuis
1929), associé aux préparatifs de Barbarossa puis à la «
rechristianisation » ratée des Russes. Washington agréa dès l'été 1945
cet « expert du Vatican sur les questions ukrainiennes [d']opinions
radicalement antirusses », comme « visiteur apostolique des Ruthènes de
l'armée d'Ukraine » (l'OUN-UPA), chef, à Rome, jusqu'en 1971, « des
Ukrainiens en Europe occidentale ».
Dès juillet 1944, juste avant l'entrée de l'Armée rouge à Lvov, les
massacreurs du « Conseil suprême ukrainien de libération » (UHVR)
avaient, prélats compris, traité, sous l'aile romaine, « avec les
gouvernements occidentaux ». Les alliés-rivaux anglais et américains
collaborèrent avec les groupes dirigés, d'une part, par Bandera-Stetsko
(80% des effectifs ukrainiens des « camps de personnes déplacées en
Australie, au Canada, en Grande-Bretagne, aux États-Unis et autres pays
occidentaux à la fin des années 1940 ») et, d'autre part, par Lebed et
le prélat uniate Ivan Hrinioch, agent de liaison avec le Vatican.
Les Américains avaient dès mai 1945 récupéré et installé, tout près de
Munich, comme espion en chef, le général nazi (membre du NSDAP) de la
Wehrmacht Reinhard Gehlen : chef du « renseignement militaire allemand
sur le front de l'Est » dans l'URSS occupée (Fremde Heere Ost,
FHO), Gehlen, responsable des « interrogatoires », avait dirigé les
collaborateurs soviétiques de toutes les régions occupées, dont
l'Ukraine et fabriqué depuis 1942 l'armée Vlassov. Ces soldats de
l'Armée rouge ralliés à la Wehrmacht pour ne pas périr formèrent des
bandes criminelles qui rendirent, en URSS et jusque contre les
résistants français en 1943-1944, les mêmes services que
les nazis uniates. Gehlen, grand criminel de guerre, reçut en 1945
d'immenses responsabilités : l'espionnage de renseignement et d'agression contre l'URSS, mais aussi l'action
anticommuniste en zone américaine. Adenauer, qui l'appréciait autant,
lui confia, à la fondation de la RFA, à l'automne 1949, ses services
secrets : le grand nazi Gehlen dirigea donc le Bundesnachrichtendienst (BND) jusqu'à sa retraite en 1968.
Vu l'expérience allemande acquise depuis la décennie 1930, son apport
en Ukraine fut décisif. Entouré exclusivement d'anciens nazis, dont ses
anciens adjoints en URSS occupée, Gehlen maintint donc sans rupture la
collaboration germano-ukrainienne.
Londres et Washington collaborèrent et rivalisèrent dans l'usage de
Bandera et de ses sbires. Washington fut plus discret mais laissa les
bandéristes (majoritaires) et autres membres de l'OUN se reconstituer à
Munich et alentour. Les alliés-rivaux refusèrent sous tous les prétextes
de livrer Bandera et autres criminels de guerre ukrainiens « réfugiés »
à l'URSS, qui les réclamait depuis le début de 1946 pour les juger. Les
Américains aidèrent Bandera à s'installer à Munich dès août 1945, lui
forgèrent des papiers d'identité (au nom de Stefan Popel) et autres faux
documents, dont l'un d'« interné dans les camps de concentration nazis
du 15 septembre 1941 au 6 mai 1945 [et] libéré du camp de concentration
de Mauthausen » ‑‑ une des légendes de la presse « occidentale »
actuelle. Ils le logèrent et lui procurèrent maintes facilités, dont un
lot de cartes de journaliste, y compris pour un journal « français ».
La CIA confia à Gehlen et à son BND le soin de « traiter » le
compromettant Bandera, au service des « opérations » militaires en
Ukraine - toujours classifiées. Bandera rapportait directement à Heinz
Danko Herre, ancien second de Gehlen à la Fremde Heere Ost
affecté entre autres à l'armée Vlassov et qui, « principal conseiller de
Gehlen » au BND, adorait Bandera : « nous le connaissons depuis à peu
près 20 ans, et, il dispose en Allemagne et en dehors, de plus d'un
demi-million de partisans. » Washington fit traîner la demande de visa
pour séjour aux États-Unis déposée par Bandera depuis 1955, mais le BND
voulait mettre en contact direct son cher Bandera et les nazis
ukrainiens d'Amérique, immigrés par dizaines de milliers depuis la fin
des années 1940 : la complicité entre CIA et ministère de la Justice
américain permit de violer la loi interdisant l'immigration aux nazis. «
Les responsables de la CIA de Munich » finirent par accepter « l'octroi
du[dit] visa en 1959 », mais Bandera ne put gagner les États-Unis : un
agent du KGB l'exécuta à Munich, le 15 octobre 1959, « les Soviétiques
ayant décidé qu'ils ne pouvaient se permettre la résurrection de
l'alliance entre l'espionnage allemand et les fanatiques ukrainiens »
(Breitman et Goda). Voilà pourquoi l'actuel « héros national » de
l'Ukraine « indépendante » n'étendit pas ses activités outre-Atlantique.
Washington avait poursuivi, toujours en collaboration avec le BND, ses
œuvres en Ukraine et alentour, notamment en Tchécoslovaquie, « la CIA
fournissant l'argent, les approvisionnements, l'entraînement, les
facilités radio et les parachutages des agents entraînés » de l'UPA. Aux
États-Unis mêmes, la CIA promut d'autres alliés bandéristes en hérauts
de la « démocratie » ukrainienne, tel Mykola Lebed, « sadique notoire et
collaborateur des Allemands », qui avait début 1945 pris contact avec
Allen Dulles à Berne : elle fit immigrer ce « chef responsable
d'"assassinats de masse d'Ukrainiens, de Polonais et de juifs" »,
dénoncé par des immigrés d'Europe orientale, l'installa à New York en «
résident permanent », puis fit naturaliser ce chef de la propagande «
nationale ukrainienne » aux États-Unis. Depuis 1955, « des tracts furent
jetés par avion au-dessus de l'Ukraine, et des émissions de radio
intitulées Nova Ukraina furent diffusées depuis Athènes pour consommation ukrainienne ». Tous les pays de l'OTAN furent mobilisés à cet effet.
Quand le fiasco hongrois de novembre 1956 eut stoppé les actions
militaires en Europe orientale (et poussé l'obsessionnel Wisner à la
folie), fleurit une prétendue « association sans but
lucratif » (financée, comme le reste, par la CIA), dite Prolog, chargée
d'inonder l'Ukraine de propagande antisoviétique. Briocher, second de
Lebed, en dirigea l'antenne de Munich, l'« Ukrainische Gesellschaft für Auslandsstudien
» (Société ukrainienne pour les études sur l'étranger). En « 1957,
Prolog diffusa 1 200 programmes radiophoniques à raison de 70 heures par
mois, et distribua 200 000 journaux et 5 000 tracts. » Elle organisait
la distribution des « livres d'écrivains et poètes ukrainiens
nationalistes », y compris en Ukraine soviétique, « jusqu'à la fin de la
Guerre froide ». Elle « finançait le voyage des étudiants et des
universitaires ukrainiens aux conférences universitaires, aux festivals
internationaux de la jeunesse » et autres manifestations : à leur
retour, les subventionnés rendaient compte à la CIA. Prolog était le
seul « truchement des opérations de la CIA en direction de la République
soviétique d'Ukraine et de ses quarante millions de citoyens
ukrainiens. »
Dans les années 1960, les bandéristes américains, dont Lebed, firent
leur conversion publique au philosémitisme, dénonçant systématiquement
« les Soviétiques pour leur antisémitisme » ‑‑ thème très en vogue
ces temps-ci. L'aristocrate catholique polono-américain Zbigniew
Brzezinski, pilier depuis les années 1950 de la subversion permanente de
l'URSS et de la scission Ukraine-Russie, préconisa en
1977, comme conseiller à la sécurité nationale de Jimmy Carter,
l'extension de ce magnifique programme. Dans les années 1980, entre
Carter et Ronald Reagan, Prolog se diversifia en direction des « autres
nationalités soviétiques, qui incluaient les dissidents soviétiques
juifs, suprême ironie », selon Breitman et Goda. Tactique géniale, après
des décennies d'hostilité ou d'indifférence aux juifs européens, puisque la propagande « occidentale » transforma une URSS jadis haïe comme judéo-bolchevique en symbole de l'antisémitisme.
Les opérations américano-germano-ukraino-nazies contre l'URSS et l'Europe orientale, nommées « Cartel » puis « Aerodynamic » puis, dans les années 1980, « Qrdynamic », « Pddynamic » et « Qrplumb » n'avaient jamais cessé. L'étude de Breitman et Goda s'achève en 1990, « au seuil de l'effondrement » de l'URSS : tout était alors prêt, en Ukraine, pour la phase suivante, gérée par Mme Nuland et les siens.